Je souffre du syndrome de l’intestin irritable. Je vis près des toilettes et loin des gens – BLOG
L’apparence
Je repars avec mon Doliprane et mon Spasfon en poudre, et bien sûr un petit antidépresseur que je regarderai de travers tout le reste de la journée; que je couperai en deux, en me disant qu’un quart de ce dosage pourrait peut-être me soulager quelques heures, me vider la tête, me débrancher. Je ne le prendrai pas parce qu’il contient du lactose et que le retour d’une crise est ma hantise.
Si j’en prenais un, un jour, je crois que je prendrais la boîte en entier.
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Je m’appelle Juliana et j’ai peur de manger
Depuis plus d’un an, le syndrome de l’intestin irritable qui m’avait totalement oubliée s’est rappelé à mon bon souvenir et me provoque des crises très handicapantes. Malheureusement cette maladie n’est pas très aimée du milieu médical, car elle combine plusieurs disciplines et que notre société aime classer les sciences dans des cases hermétiques qu’on ne peut relier.
Envisager l’équilibre global du corps n’est pas dans notre culture, qui trie la mécanique et le psychologique, même si des canaux identifiés, le sympathique et le parasympathique relient le cerveau au ventre, et à tous les organes vitaux. La tête c’est le psy, le ventre c’est le gastro, les ovaires, c’est le gynéco. Prenez rendez-vous.
Quand ces canaux déraillent, que faire? Plus rien. Sinon attendre, souffrir, pleurer, faire semblant. Supporter, tenir son ventre, espérer, fermer les rideaux.
Se lever, y croire, être terrassée, se recoucher. Un quotidien fait de stress, de peur, de phrases révélatrices de notre évidente incapacité à poursuivre.
Je ne peux pas. Je voudrais, mais je ne peux pas.
Réponse du public: “Quand on veut, on peut.”
Gifle cinglante.
Pour moi, c’est différent. Ma vie se résume à être près des toilettes et loin des gens. À craindre les départs, les voyages, les cassures dans le rythme bien maîtrisé de l’agenda. Moi qui ai fait le tour du monde et mille autres folies.
Moi qui brandissais mon épée, cheveux aux vents et pied sur l’accélérateur.
Que me reste-t-il à part ce peignoir ridicule et ce désordre tout autour?
Je m’apitoie dans la culpabilité. Le monde souffre de tant de maux, des gens, des hommes, des frères, des amis, des enfants, atteints de douleurs, de noyades, d’amputations, de meurtres…
Comment seulement oser évoquer sa propre souffrance?
Mais je ne suis qu’une coquille vide, bercée par une ritournelle de lamentations.
Mes intestins s’étranglent et convulsent. Je les ébouillante pendant des heures pour les calmer. Je regarde des vidéos de femmes qui me ressemblent et qui sont toutes devenues professeures de yoga ou naturopathe. Je cherche sinon la cause, des causes probables à cette nouvelle vie, emprisonnée par mes intestins. Je suis seule et pourtant mariée. Je suis seule et malgré tout active et entourée. Je suis seule et j’ai trop mal pour continuer à manger.
Rien de pire que cette sensation qui me distend l’abdomen, la peur d’éclater au sens littéral, l’étouffement et l’impossibilité de retrouver l’équilibre. La panique s’empare de moi, et si je mourais là, sans un adieu, congestionné à mort par des intestins vengeurs?
Je jette un regard insistant à ce petit cachet. Mange-moi, Alice.
Drama queen
Ces journées blanches sans visibilité, ce désespoir insidieux qui n’est qu’un mode de vie temporaire, il faut le croire, ces ciels de traîne déchirés par la lumière des appels de mes sœurs, leur soutien, leurs rires.
Si le mal vient de très loin, il faut partir à sa recherche, comme la première fois.
Il faut s’hypnotiser pour guérir, pratiquer l’EMDR, le Reiki, les régimes.
Il faut recoller les souvenirs qui font mal et se demander chaque fois si l’on tient le coupable.
Le violeur, le pendu.
Les cachets, les produits, les abus.
On m’a d’abord abusée et depuis, j’ai abusé. L’œuf ou la poule. L’œuf et la poule cuisinés ensemble dans la même casserole.
Des sachants, qui ont fait de grandes études pour lire dans les âmes, guillotineront les vrais coupables d’un coup de crayon sur leur bloc-notes. Désigneront du menton les complices. Me rendront justice à travers les âges.
J’entends plus bas, dans la vallée, les chants d’ailleurs, je veux repartir et m’enfuir à nouveau, je ne tiens plus en place, j’étouffe.
Sur mon île natale de l’autre côté du monde, mon père regarde le soleil se coucher sur une mer qui monte sans cesse, alors que je regarde ce même soleil s’allonger sur la plus haute montagne d’Europe.
Je voudrais monter sur son dos brûlant et le suivre jusque de l’autre côté.
Mais pour cela il faudrait sortir. Et pour sortir, il faudrait s’habiller. Et pour s’habiller, il faudrait se lever.
Demain est un nouveau jour, et demain, une fois encore, j’essaierai.
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