La gauche doit prendre le risque du pouvoir
Les résultats du second tour des élections législatives, le 7 juillet, auront donc apporté un sursis à la démocratie face au danger que représente l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite.
Grâce au front républicain initié par les forces écologistes et de gauche, unies dans le Nouveau Front populaire (NFP), nous avons même eu l’heureuse surprise de voir ces dernières arriver en tête, les partisans d’Emmanuel Macron se hissant à une deuxième place que leurs résultats du premier tour ne laissaient guère présager, reléguant du même coup le Rassemblement national (RN) et ses alliés à la troisième position.
Toutefois, la dynamique politique que la création du NFP semblait avoir lancée se heurte notamment à l’alliance des députés macronistes et de la droite Les Républicains (LR), qui a privé le bloc de gauche de la présidence de l’Assemblée nationale.
La newsletter d’Alternatives Économiques
Chaque dimanche à 17h, notre décryptage de l’actualité de la semaine
Cela, joint aux atermoiements et aux déchirements que la gauche a étalés en place publique concernant la désignation de son postulant à Matignon, est l’un des prétextes qui ont servi à Emmanuel Macron pour écarter la candidature de Lucie Castets à Matignon, une fois celle-ci désignée.
Et maintenant ? Que doivent faire les forces de la gauche et de l’écologie ?
Une divergence stratégique
Si le risque d’éclatement du NFP semble temporairement écarté, des tensions internes le traversent cependant. Il faut en premier lieu les identifier clairement et en débattre sereinement et collectivement.
Les convergences au sein de la gauche et de l’écologie politique sont aujourd’hui bien plus fortes qu’elles ne l’ont été au cours des périodes où elles ont gouverné ensemble
Certes, nous l’avons dit à maintes reprises, les convergences au sein de la gauche et de l’écologie politique sont aujourd’hui bien plus fortes qu’elles ne l’ont été au cours des dernières périodes où elles ont gouverné ensemble. Les gauches n’ont-elles pas eu par deux fois, avec la Nupes puis avec le NPF, la capacité de s’accorder sur des programmes communs, même si la motivation de la préservation d’un maximum d’élus était également présente ?
Toutefois, des fractures multiples traversent les structures partisanes de la gauche, souvent en leur sein même. Aux ambitions personnelles, aux héritages historiques, aux divergences réelles sur certains sujets comme sur les stratégies de communication, est venu apparemment se greffer un nouvel élément de divergence. Il est d’ordre stratégique et peut se synthétiser dans les quatre options suivantes.
Première option : faut-il rester strictement fidèle au programme qui a été porté par le NFP, au risque de ne pas exercer le pouvoir faute de majorité à l’Assemblée ou d’être presque immédiatement renversé dès les premiers textes budgétaires, qui ne pourraient être adoptés que par un 49.3 suivi d’une sanction du gouvernement ?
Ou faut-il accepter d’y renoncer partiellement (au moins à court terme) pour revendiquer l’exercice du pouvoir sur la base d’une négociation avec d’autres forces politiques (essentiellement Ensemble et le groupe Liot), soit texte par texte (deuxième option), soit sous la forme d’un programme commun et d’une participation de ces dernières au gouvernement mené par la gauche (troisième option) ?
Cela entraîne le risque alors, diront les adversaires de ces stratégies, de la « trahison », de la déception et donc in fine du renforcement du RN, qui apparaîtrait dès lors comme la seule alternative politique.
Quatrième option, faut-il venir en soutien d’un gouvernement s’appuyant sur les députés macronistes et de la droite dite républicaine (ou d’une partie d’entre elle), suivant en cela la logique du front républicain ?
Comment des forces politiques pourraient-elles ne pas être au clair sur des options aussi divergentes qu’essentielles ?
Dilemmes stériles et purement théoriques, diront certains, puisqu’Emmanuel Macron a tranché et n’envisage que la dernière option. Il n’en est rien, selon nous, car comment des forces politiques pourraient-elles ne pas être au clair sur des options aussi divergentes qu’essentielles ?
En outre, quand bien même l’alternative n’en serait pas réellement une aujourd’hui, on ne peut exclure qu’elle le redevienne rapidement demain, étant donnée l’instabilité politique caractérisant la période. Par ailleurs, si – posée ainsi –, cette querelle apparaît comme purement conjoncturelle, elle traverse en réalité de manière récurrente les forces de la gauche et de l’écologie dans l’histoire.
Trop souvent présentée dans les antagonismes entre des gauches désignées ou auto-proclamées « de gouvernement », « de rupture » ou « radicale » (antagonismes qui sont plus des processus de délégitimation entre différentes composantes que des concepts clairement définis), cette question nécessite aujourd’hui qu’on la prenne au sérieux.
Une politique de rupture
S’il était indispensable d’appeler sans aucune ambiguïté au front républicain, la dernière option – soutenir un gouvernement macroniste et de droite – doit selon nous être écartée. Les forces de gauche et de l’écologie doivent en effet porter une politique qui rompe radicalement avec celle menée par les gouvernements précédents, durement sanctionnée par les derniers suffrages.
La rupture doit notamment se faire sur deux éléments principaux. En premier lieu, sur les questions de politique économique et budgétaire, elle doit se donner cinq lignes rouges. Il faut renoncer au refus de toute hausse d’impôts, générant injustice sociale et fragilisation du consentement à l’impôt, épuisement des services publics, incapacité d’investissement pour l’avenir (notamment dans la transition écologique, la santé et l’éducation, la recherche et la formation) et déséquilibre des comptes publics.
Des mesures en faveur du pouvoir d’achat des plus défavorisés et des classes moyennes inférieures doivent être prises. Les aides aux entreprises doivent être conditionnées selon des critères sociaux et environnementaux. Et la France doit renoncer au redressement brutal de ses comptes publics via une baisse de ses dépenses, et mener le combat au niveau européen afin d’éviter que notre continent ne refasse l’erreur commise après la crise de 2008, qui s’est traduite par un décrochage européen.
La gauche ne doit pas non plus mêler ses voix à ceux qui, soi-disant pour répondre aux préoccupations des électeurs de l’extrême droite, mettent au centre du débat les questions identitaires et le combo « sécurité, immigration, assistanat, classes moyennes », ne faisant ainsi qu’accroître la vague populiste et réactionnaire. Dire cela n’impose ni naïveté, ni renoncement à nos valeurs et à nos principes républicains, encore moins une quelconque complaisance avec l’antisémitisme ou toute forme de racisme.
S’arcbouter sur son programme et rester à l’écart du pouvoir est un pari qui, en l’état, semble mener tout droit à la catastrophe démocratique
S’arcbouter sur ses positions et son programme, et rester à l’écart du pouvoir en attendant le départ anticipé d’Emmanuel Macron ou la fin de son quinquennat, pour espérer gagner l’élection présidentielle avec un nouveau front républicain, est un pari qui, en l’état, semble mener tout droit à la catastrophe démocratique. Ne serait-ce que faute d’un leader en capacité de le réaliser.
Les forces de gauche et de l’écologie doivent donc s’efforcer de s’engager dans la deuxième ou la troisième option, une alliance texte par texte ou un nouveau programme commun élargi, avec les lignes rouges identifiées ci-dessus – le choix entre les deux dépendant, bien sûr, de la réaction de ses adversaires politiques.
La violence des urgences qui signent l’époque, qu’elles soient sociales, économiques, écologiques ou géopolitiques, comme la situation dégradée d’un grand nombre de nos concitoyens du fait de ces enjeux, imposent à la gauche de prendre le risque du pouvoir.
Laisser un commentaire