LITTÉRATURE — Quand j’ai expliqué à mes amies, à mes sœurs, que je lisais des livres lesbiens, elles étaient très étonnées. Que ça existe d’abord, et que ça m’intéresse ensuite. Leur sentiment était à peu près identique: pourquoi avoir besoin d’appeler un livre mettant en scène deux héroïnes qui s’aiment “un livre lesbien”? Pourquoi “inventer” le terme de “littérature lesbienne”? Un livre est un livre et que ce soit un héros ou une héroïne, qu’il ou elle soit vampire, détective, pilote de ligne ou de vaisseau spatial, qu’importe!
Qu’est-ce qui qualifie, dans leur imaginaire, un livre lesbien? Un roman érotico-pornographique avec des scènes de sexe entre femmes ou un livre sentimental type Harlequin spécial lesbiennes?
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Je leur ai demandé si elles avaient déjà lu un livre avec des personnages lesbiens.
Réponse, “Non”.
Je leur ai demandé si elles se souvenaient d’un livre avec des personnages gays.
Pourquoi y a-t-il si peu ou pas de livres gay ou lesbiens dans vos bibliothèques?
“Oui, peut-être, ça ne me revient pas, mais sûrement”. Une de mes sœurs a fini par citer la nièce du Dr Scarpetta dans la série de Patricia Cornwell, personnage largement secondaire.
Si le genre du héros et son attirance sexuelle ne sont pas importants, ai-je encore demandé, alors pourquoi y a-t-il si peu ou pas de livres gay ou lesbiens dans vos bibliothèques?
“Heu… Aucune idée.”
Je leur ai expliqué pourquoi, moi, lesbienne, j’en ai eu marre de lire des histoires qui ne me parlaient pas. J’ai essayé de leur faire comprendre que les histoires hétérosexuelles avaient pour moi autant d’intérêt que le mode d’emploi de mon grille-pain. Je voulais trouver des livres qui font écho à ce que je suis. Je voulais lire des histoires de coming-out, d’outing, d’acceptation, de sentiment d’exclusion ou d’intégration, des histoires familiales à résonance gay, de familles homoparentales, mais sans le pathos habituel! Ras-le-bol des témoignages/histoires vraies et sordides de gens qui ont été mis à la porte de leur famille, torturés ou traqués dans leurs pays. Marre des histoires de lutte pour les droits LGBT et des essais féministes!
Je voulais retrouver les mêmes livres que j’avais aimé lire, mais avec plus d’héroïnes (et par héroïne, j’entends personnage principal et non secondaire): je voulais des superhéros gays, des Willow (1), des Colombo-Jessica Fletcher-Hercule Poirot gouines, des jedi queers et des vampires lesbiennes.
C’était aussi simple d’avoir accès à de la littérature LGBT, lorsque j’étais ado, que d’acheter la pilule du lendemain dans une pharmacie
Et tout comme pour la pilule du lendemain, il fallait soupçonner que ça existe. Ce qui n’était pas mon cas et puis d’ailleurs, je n’avais pas fait mon coming-out. Si je comprenais que quelque chose manquait toujours dans les livres que je lisais, je ne savais pas encore quoi.
J’ai même lu et relu les Beignets de tomates vertes (2) sans y voir clairement la romance lesbienne. C’est à l’école que j’ai trouvé ce livre. La documentaliste m’a parlé d’une belle histoire d’amitié et je pense qu’elle était sincère.
Jamais, dans mon cursus scolaire (je suis née dans les années 70), je n’ai étudié de livre où un personnage avait de près ou de loin un contact avec la question LGBT. Pas plus au lycée qu’à la Fac. Il n’est pas très étonnant que j’aie mis si longtemps avant de même penser à l’idée que des livres lesbiens pouvaient exister. Il a fallu que je maîtrise l’anglais et que je tombe par hasard sur les livres de Sarah Waters et de Gerri Hill.
Il y avait pourtant la fanfiction, je ne sais pas exactement comment je suis passée à côté. Dans les années 90, des plumes anonymes se révèleront grâce au développement d’internet, en écrivant de nouveaux épisodes de Xéna, la princesse guerrière ou de Buffy contre les Vampires, sous le prisme lesbien. Des autrices comme Mélissa Good, et plus tard Lee Winter ou Roslyn Sinclair. La fanfiction lesbienne arrivera à son apogée en France, avec le couple fictif de la série “Once upon a time”, Regina/Emma.
Lorsque j’ai écrit une version lesbienne du conte du Chat Botté (3), on m’a dit “c’est plutôt curieux, pourquoi as-tu voulu écrire un conte qui existe déjà? Pourquoi tu n’as pas créé ton propre conte?” Au-delà du fait que le sujet venait d’un appel à texte, je lisais déjà énormément de contes lesbiens anglophones. Deux versions différentes (4) de la Belle et la Bête m’ont réellement fait comprendre pourquoi j’ai toujours été frustrée par les contes de mon enfance. Le prince charmant était si loin de ce que j’attendais! Réécrire cette histoire de Chat Botté comme j’aurais voulu la lire a été une sorte d’exutoire. C’est le même exercice que la fanfiction: réécrire l’histoire telle que j’aurais souhaité la connaître.
Je ne suis donc pas tellement étonnée par la réaction de mes proches quant à l’existence d’une littérature lesbienne, n’ayant moi-même pas été la plus perspicace sur le sujet!
Pourquoi si peu de livres de fiction mettant en scène des personnages principaux lesbiens paraissent chez les éditeurs du marché grand public?
Peut-être parce que les maisons d’édition ne sont pas intéressées par un marché de niche. La cible est trop réduite — rappelons, en effet, que les livres hétéros sont lus par tous, mais que les livres gays et lesbiens ne sont lus que par les LGBT! Enfin, c’est en tout cas ce que tout le monde semble croire. C’est pourtant loin d’être vrai, car autour de moi, des hommes hétéros et gay lisent et écrivent du FF (5), des femmes hétéros lisent et écrivent du MM (6).
Factuellement, toutes les maisons d’édition anglophones lesbiennes ont été créées par des auteures passionnées et très actives dans les causes LGBT ou simplement lesbiennes, que ce soit en Angleterre ou aux États-Unis. Len Barot alias Radclyffe/LL.Raand pour Bold Strokes Books, Salem West et Ann McMan pour Bywater Books. Linda Hill pour Bella Books (anciennement Naiad Press). Il en va de même pour les rares maisons d’édition francophones, Homoromance éditions, les Reines de Cœur, Dans l’Engrenage ou KTM.
En vérité, intellectuellement, je suis d’accord avec mon entourage, le genre et la sexualité du personnage principal ne devraient pas être la condition pour en faire un genre de littérature. Et pourtant, nous avons tous nos préférences. Je n’aime pas les biographies, j’adore la fantasy. Mais je sais où trouver tous ces livres et j’y ai accès très facilement.
Une littérature quasiment invisible
Je ne suis pas étonnée qu’autour de moi, on ne connaisse pas la littérature lesbienne, car elle est quasiment invisible. Sur Amazon France, pour trouver des livres gays et lesbiens, il faut aller dans la catégorie “Sexualité et érotisme”. Tous les livres gays et lesbiens ne sont pourtant pas des livres érotiques. Et c’est le même casse-tête sur toutes les autres plateformes, librairies ou sites marchands français. Les livres lesbiens sont soit dans la catégorie ”érotique” soit non classés. C’est donc l’image que renvoie le monde français de la distribution du livre. Je dis bien français parce que si vous allez sur Amazon en Allemagne, au Canada ou sur Amazon.com, la catégorie “gay et lesbienne” est rangée sous le chapeau “Romance”, ce qui change pas mal la vision des choses, ne croyez-vous pas?
Je n’ai pas trouvé mieux que la citation mise en exergue par Wikipédia sur le sujet pour résumer la question (7): “Je n’ai jamais compris pourquoi la fiction hétéro est censée être pour tout le monde, mais quoi que ce soit incluant un personnage gay ou qui comprenne une expérience gay, est seulement pour les queers.”
1 Ai-je besoin de vous rappeler le personnage de Willow dans la série Buffy contre les vampires?
2 Roman américain de Fannie Flagg paru en 1987
3 Le marquis de Carabas et son Chat botté, 2020, éditions Homoromance
4 Thorn, de Anna Burke, ed. Bywater books et Roses and Thorns: Beauty and the Beast Retold de Chris Anne Wolfe, Windstorm Creative
5 FF : féminin-féminin, autre nom du roman lesbien
6 MM: masculin-masculin, par opposition au FF, roman gay
7 Jeanette Winterson, auteur du best-seller de 1985, Oranges are not the only fruits
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