La productivité française à l’épreuve du Covid
Comment la France peut-elle rester compétitive après un choc comme celui causé par la crise sanitaire en cours ? C’est la question à laquelle tente de répondre le deuxième rapport du Conseil national de la productivité. Instituée en 2018 au sein de France Stratégie, cette instance est présidée par Philippe Martin et composé de onze économistes dont Olivier Blanchard, Gilbert Cette, Alexandra Roulet ou encore Xavier Ragot. Tous les Etats de l’Union européenne membres de la zone euro ont mis en place un conseil similaire, dans le but d’améliorer la coordination de leurs politiques économiques.
Le rapport propose une comparaison internationale des mesures liées à la crise sanitaire. Il montre en particulier qu’en matière d’effort global, la France occupe une position modeste, avec des montants équivalant à 7,6 % de son PIB (185 milliards d’euros), loin par exemple de l’Espagne qui, en consacrant 11,1 % de son PIB à soutenir l’économie (138,6 milliards d’euros), est le pays à l’action la plus volontaire.
La France se distingue également par la composition de son intervention publique : les mesures d’urgences sont de faible ampleur comparées à nos voisins européens (3,8 % du PIB contre 8 % au Royaume-Uni), en revanche le plan de relance est plus consistant (3,8 % de son PIB contre 3,6 % en Allemagne) et davantage étalé dans le temps (quatre ans, contre deux ans pour l’Allemagne).
Alerte zombie
Reste que ces mesures de soutien provoquent une « augmentation des dettes des entreprises [qui] risque de mettre en péril leur viabilité future ».
En ce qui concerne les dettes fiscales et sociales, les auteurs du rapport estiment que l’Etat doit agir en « créancier responsable et flexible », consentant à des réductions de dette lorsque c’est nécessaire. Ils incitent même à la transformation de certaines de ces créances en actions (quitte à prévoir un « plan de sortie »), ce qui serait bénéfique à l’entrepreneur comme à l’Etat, sans aboutir à une « remise en cause généralisée du remboursement des dettes auprès des institutions publiques ou des prêts garantis ».
En ce qui concerne les dettes privées, parmi les options sur la table, le Conseil en privilégie deux qui lui semblent les plus efficaces : la renégociation directe des dettes entre l’entreprise et ses créanciers d’une part, et l’encouragement, par des subventions, des créanciers à accepter une réduction des créances d’autre part. Cette deuxième solution a par exemple été mise en place pendant la deuxième vague dans le secteur de l’immobilier : les propriétaires consentant à l’abandon du loyer de novembre obtenaient un crédit d’impôt égal à 50 % de ce loyer.
C’est l’un des mantras des auteurs du rapport : éviter au maximum de soutenir des entreprises non viables
Peu onéreuses (gratuite pour la première), ces propositions limitent également l’incitation à maintenir en vie des entreprises zombies. C’est l’un des mantras des auteurs du rapport : éviter au maximum de soutenir des entreprises non viables, ce qui empêche une réallocation de ressources vers des entreprises plus efficientes, et se répercute négativement sur la productivité.
Or, le Conseil souligne le nombre anormalement bas de liquidations et de redressements d’entreprises en 2020, en baisse de 35,9 % par rapport à 2019 sur l’ensemble des entreprises françaises. Alors que le nombre de défaillances d’entreprises s’était largement contracté lors du premier confinement, une reprise était attendue à l’automne. Celle-ci n’a toujours pas eu lieu.
« Cela suggère fortement que ce sont davantage les interventions publiques (prêts garantis par l’Etat, chômage partiel, etc.) et les mesures prises par les banques (moratoires) qui permettent aux entreprises en difficulté de se maintenir que des questions techniques qui expliquent cette dynamique paradoxale », expliquent les économistes.
Reste qu’il n’y a pas, selon eux, de quoi s’inquiéter. Une étude du ministère de l’Economie a montré que les faillites d’entreprises représentent habituellement 40 % de la croissance de la productivité du travail, en permettant une réallocation des emplois et du capital vers d’autres entreprises plus productives. Dans le scénario, improbable d’après le CNP, d’une poursuite de cette baisse du nombre de faillite dans les mois à venir, la productivité du travail serait peu touchée. Sa croissance passerait de 1,7 % à 1,5 % par an dans le secteur marchand pour une diminution de 30 % des défaillances.
Des Français mal formés
Pour le Conseil, bien plus que la « zombification », le risque majeur aujourd’hui « est de subir un nombre élevé de défaillances d’entreprises productives ou d’entreprises « systémiques » avec un effet d’entraînement sur les chaînes de valeurs ». Les experts estiment toutefois que « ce risque a jusqu’ici été réduit, par les prêts garantis et les mesures sectorielles d’aides aux entreprises ».
Cela ne leur interdit pas de formuler une inquiétude à plus long terme sur la « performance médiocre de la France en matière de formation initiale et continue ». Le rapport rappelle que « la France est l’un des pays de l’OCDE où le lien entre le statut socio-économique des parents et la performance aux tests [scolaires] est le plus fort ». Et que le système éducatif français reproduit plus que d’autres les inégalités socio-économiques, celles-ci se répercutant sur l’accès à l’emploi.
Le CNP pointe le rôle très marginal qu’a la formation continue dans la réduction des inégalités scolaires
Le CNP pointe également le rôle très marginal qu’a la formation continue dans la réduction de ces inégalités, en dirigeant plutôt le système de formation professionnelle « vers les salariés déjà en emploi que vers les chômeurs et les personnes en besoin d’insertion professionnelle ». Plombant d’autant la productivité du travail.
Certains désignent déjà les jeunes entrant sur le marché du travail de ces pays touchés par la récession comme une « génération perdue ». Le postulat est simple et étayé par de nombreuses études : « Lors d’une récession, la cohorte de jeunes entrant sur le marché du travail a plus de difficultés à s’insérer que la cohorte précédente. »
Pour eux, la baisse du nombre d’expériences professionnelles semble ne pas se rattraper au cours de la vie. Cet « effet cicatrice » reste difficile à démontrer, reconnaissent les économistes, qui soulignent que plusieurs travaux arrivent à la conclusion qu’en moyenne « les jeunes entrant sur le marché du travail lors d’une récession « perdent » des opportunités qui se traduisent par des salaires d’environ 10 %-15 % plus faibles pour leur premier emploi ».
Les effets négatifs d’une récession s’illustrent également par d’autres aspects de la vie sociale : le nombre d’enfants, le taux de divorce, la santé déclarée ou la mortalité sont autant de facteurs affectés de manière négative par une entrée sur le marché du travail en période de récession. Avec un impact immédiat sur la productivité de la cohorte concernée.
La qualité plutôt que la quantité
Le CNP considère le ralentissement de la productivité du capital humain comme la principale source du ralentissement de la productivité globale en France : « Entre 1976 et 1986, il contribuait pour 2,2 points à la forte croissance de la productivité, de 3,4 % en moyenne annuelle », alors que « depuis 2004, sa contribution n’est plus que de 0,6 point annuellement » pour une croissance totale de la productivité de 0,7 %.
Depuis quelques années, une limite semble atteinte dans le niveau de diplôme global de la population en âge de travailler, qui atteint un quasi-plateau. Pour le Conseil, le réservoir de productivité le plus important est l’amélioration de la qualité des diplômes plutôt que de la quantité de diplômés. L’inadéquation des compétences (utilisation sous-optimale des compétences d’un individu dans son emploi) est aussi un frein à la productivité que soulignent les auteurs du CNP – et que développe longuement un nouveau rapport de France Stratégie.
Ces multiples freins structurels à l’augmentation de la productivité en France, mis en avant par le Conseil, s’ajoutent à la récession entraînée par la crise du Covid, et aux conséquences qui risquent de se faire ressentir tout au long de la vie professionnelle des jeunes entrant sur le marché du travail.
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