À cette occasion, Le HuffPost a proposé à Adrien Le Louarn, assistant parlementaire à Bruxelles, de décrypter, dans une vidéo à voir en tête de cet article, la série qui met à l’honneur ce rôle crucial des travailleurs de l’ombre. Dans cette co-production franco-allemande, Samy (Xavier Lacaille) incarne un jeune assistant parlementaire du député Michel Specklin (Philippe Duquesne) qui semble tout aussi perdu au Parlement que son nouvel assistant.
Ensemble, ils vont tenter de défendre un amendement interdisant le finning, le découpage d’ailerons de requin. Mais ils vont se frotter aux jeux de pouvoirs et à la pression des lobbies qui défendent des intérêts privés.
Les tractations au “Mickey Mouse Bar” du Parlement
La série rappelle déjà à quel point lobbyistes et parlementaires se côtoient quotidiennement puisque les groupes de pression ont accès au bâtiment s’ils sont inscrits sur le registre de transparence, une liste publique bien réelle qui répertorie les différents groupes de pression à Bruxelles. Ils sont peu plus de 12.000 en date du 9 mai 2022.
Si les rencontres ne se font jamais par hasard, comme c’est le cas dans la série avec Samy, elles se font bien à la cafétéria du Parlement, lieu majeur de l’institution qui porte un nom pourtant hautement improbable.
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“Il y a un décalage complet puisque la cafétéria principale du Parlement européen s’appelle le ‘Mickey Mouse Bar’”, ironise Adrien Le Louarn, qui travaille pour la députée Manon Aubry, co-présidente du groupe de la Gauche au Parlement européen. “Derrière ce nom enfantin et sympathique, ce lieu permet en fait à l’industrie du tabac de faire passer ses idées puisque c’est dans ces fauteuils multicolores que les lobbyistes vont discuter de sujets très importants avec les députés.”
“Les amendements clé en main” des lobbies
Dans Parlement, Guido Bonafide (Nicollo Senni), le lobbyiste qui défend les intérêts des pêcheurs, va jusqu’à rédiger des amendements à la place des députés, les soumettant directement à Samy l’assistant parlementaire. Là encore du déjà-vu à Bruxelles.
“Cette scène montre à quel point les lobbyistes sont déterminés pour défendre leurs intérêts en écrivant quand ils en ont besoin, des amendements clé en main à un paquet de députés”, explique Adrien Le Louarn, qui tempère toutefois en précisant que ces lobbies ne peuvent pas agir seuls. “Si ces amendements finissent par être présentés et adoptés, c’est grâce à la complicité de certains députés qui acceptent de les défendre. Sans ce relai dans l’hémicycle le pouvoir des lobbies est nul.”
Ce poids des lobbies sur les votes au Parlement a encore fait l’actualité le 3 mai dernier avec la polémique autour de l’interdiction de la pêche au chalut. L’eurodéputé LREM Pierre Karleskind, président de la commission de la Pêche du Parlement européen, a tout fait pour préserver cette pratique décriée, déposant un amendement visant à n’interdire les techniques de pêche destructrices que dans les zones de protection stricte… Ce qui est déjà le cas en France. Un amendement jugé “hypocrite” par l’ONG Bloom, estimant qu’il s’agissait typiquement ”de celui du lobby de la pêche industrielle chalutière bretonne.”
Le fléau des portes tournantes
Pour influencer la politique au niveau européen, les lobbies peuvent compter sur un levier d’action majeur: les portes tournantes. Une expression pour qualifier les anciens assistants parlementaires, députés ou commissaires européens qui finissent par passer de l’autre côté de la barrière, en devenant lobbyiste. C’est le cas de Rose (Lize Kingsman) dans Parlement, qui défend les intérêts des banques après avoir démissionné de son poste d’assistant parlementaire d’une députée britannique pro-Brexit.
Pour Adrien Le Louarn, ce phénomène est l’un des plus grands fléaux du Parlement à l’heure actuelle. “Ces gens-là sortent du public avec un carnet d’adresses et une expérience de comment fonctionne la machine bureaucratique. Ils vont pouvoir mettre au service des intérêts privés toutes ces compétences acquises, comme pour le lobby du tabac, ou des multinationales.”
C’est ainsi que Connie Hedegaard, ancienne commissaire européenne à l’Action pour le climat, a été recrutée par Volkswagen, ou que José Manuel Barroso, ancien président de la Commission européenne a rejoint la banque Goldman Sachs. Le problème est tel que la médiatrice européenne a lancé une enquête autour de ce “pantouflage” à Bruxelles en mai 2021. À l’heure actuelle les règles sont peu contraignantes et les institutions se reposent beaucoup sur la confiance en leurs commissaires à ne pas aller travailler pour ces groupes de pression.
Parler aux lobbies, une vraie stratégie
Adrien Le Louarn avoue ne pas beaucoup fréquenter de lobbies. Déjà pour une raison très simple: “Je travaille pour un groupe de gauche radicale (…) Les lobbies sont des professionnels, quand il doivent faire passer leurs idées, ils savent qu’ils doivent aller vers ceux qui sont le plus à même de les défendre. Quand on est un lobby de la pêche, on va essayer d’aller voir les groupes libéraux plutôt que ceux de la gauche ou les écologistes.”
Tenter de “draguer” des députés européens c’est aussi se risquer d’être décrédibilisé en public. Manon Aubry répertorie publiquement sur Twitter ce qu’elle appelle les “liaisons dangereuses” avec ces lobbies. Elle avait d’ailleurs lancé en novembre 2021 son “Prix des lobbies”, un prix parodique pour dénoncer les pratiques au niveau du parlement européen. Une récompense décernée à des lobbyistes qui avaient tenté de séduire la députée… en vain.
Toutefois fréquenter les lobbies peut s’avérer être très stratégique. “Parler à des lobbies qui défendent des intérêts opposés aux nôtres est intéressant, car cela nous permet parfois de découvrir l’argumentaire des adversaires et ainsi de mieux nous préparer pour les contrer”, explique Adrien Le Louarn.
Derrière l’étiquette de lobby ne se cachent pas uniquement les multinationales. De nombreuses ONG défendant les droits des femmes ou de l’environnement sont également inscrites sur le registre de transparence. C’est le cas de Greenpeace ou WWF notamment. “On fait une différence entre ceux qui font du lobbyisme et du plaidoyer: ceux qui défendent des intérêts privés et l’intérêt commun”, conclut l’assistant parlementaire, estimant qu’il ne faut pas mettre tous les groupes de pression dans le même panier.
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