17 janvier 1968. Dans la nuit, trente-et-un soldats nord-coréens franchissent en silence la zone démilitarisée et pénètrent dans les terres de leur voisin démocrate. Leur mission : égorger le président sud-coréen en sa demeure de Séoul. Pendant deux jours, ils glissent dans les montagnes avec aisance mais leur entraînement ne peut rien contre la malchance : deux campagnards sortis couper du bois découvrent leur campement. Étrangement, le commando décide de les laisser partir après leur avoir fait promettre de rien dire. Les deux rescapés préviennent immédiatement la police. 

Ces bûcherons chanceux ont sans doute sauvé la vie de Park Chung-hee, le président sud-coréen. Au 29 janvier, le commando nord-coréen ne compte que deux survivants : tous leurs camarades ont été abattus, certains à seulement cent mètres de la Maison Bleue. La Corée du Sud optent pour la loi du talion. Sur ordre de Park Chung-hee, les services de contre-espionnage montent une unité spéciale pourvue d’une mission unique : assassiner Kim Il-sung, le « Président éternel de la République » de Corée du Nord. Elle est baptisée unité 684, ou groupe numéro 2325 du 209ème détachement

On ignore toujours comment les militaires sud-coréens ont assemblé le commando 684. Selon certaines sources, ses membres provenaient essentiellement des rues. « Des officiers du renseignement ont approché des hommes qui semblaient avoir fait du sport, avec un physique robuste, et les ont enrôlés, expliquera quarante ans plus tard l’un des officiers en charge de l’entraînement des assassins. Un cireur de chaussures, un livreur de journaux, un employé de cinéma ou un vigile. » Des témoignages discordants affirment que ces individus étaient en réalité des prisonniers et des marginaux. Le plan initial recommandait le recrutement de condamnés à mort.

La violence de cette « opération noire » cadre avec la raideur des relations inter-coréennes en plein cœur de la Guerre froide : en dépit des appels au calme du bloc soviétique, les communistes avaient alors pour objectif de « libérer » leurs voisins démocrates en déclenchant une révolution. La Corée du Sud se sentait assez vulnérable pour craindre que son allié américain ne lance des négociations avec Kim Il-sung. La prise du navire de recherche USS Pueblo par la marine nord-coréenne au moment même du raid sur la résidence de Park Chung-hee a sans doute transformé ces craintes en panique : pour défendre sa souveraineté et prouver sa force, le pays devait riposter vigoureusement.

L’entraînement du groupe de « décapitation stratégique » numéro 2325 a commencé au printemps 1968 sur l’île rocailleuse de Silmido, dans la mer Jaune. Comme la provenance des recrues, la nature de cet entraînement fait toujours débat. En 2010, un ancien chef de peloton assurait encore que les relations entre officiers et recrues étaient dépourvues de brutalité. Les trois années de formation du commando ont pourtant coûté la vie à sept de ses membres. Le ministère des Armées sud-coréen soutient que deux recrues ont été exécutées pour désertion, une autre pour avoir menacé un supérieur et trois autres pour viol. Un ancien officier affirmait néanmoins en 2018 : « Pendant un exercice de survie en mer, un homme est mort de fatigue. »

Contre toute attente, les relations inter-coréennes ont connu une embellie à compter du printemps 1971. Soudain, débarrasser le Nord de son glorieux leader ne semblait plus judicieux. Les recrues du groupe 684 ont vite compris que leur mission était devenue obsolète – tout comme eux. Leur entraînement et ses douleurs avaient été vains. Le 23 août, une mutinerie sanglante a éclaté dans le camp de Silmido. Les raisons de ce soulèvement sont troubles, elles aussi. Selon une enquête diligentée en 2006 par le gouvernement sud-coréen, les mutins étaient mal nourris et ne recevaient plus aucune solde depuis le troisième mois de la formation. Cependant, une rumeur persistante raconte que l’état-major avait décidé de ne jamais rendre les recrues à la vie civile pour ne pas ébruiter son projet d’assassinat de Kim Il-sung, voire de les exécuter. 

Cette nuit-là, les officiers de Silmido avaient reçu l’autorisation de consommer de l’alcool pour la première fois depuis trois ans. Les 24 recrues ont profité de leur ivresse pour enfoncer la porte du directeur du camp et lui défoncer le front de deux coups de marteau. Avec les 120 cartouches trouvées sur place, ils ont ensuite abattu 18 de leur 24 gardes sans essuyer la moindre perte. Les blessés étaient achevés au sol. Un officier ayant quitté l’île deux mois avant le massacre affirmera quarante ans plus tard : « Ils savaient que nous étions plus faibles qu’eux. » Le carnage achevé, les recrues ont embarqué dans un bateau et atteint la péninsule. Au volant d’un bus volé, ils ont alors mis le cap vers Séoul.

Le véhicule du groupe 684 a été intercepté par l’armée dans un quartier sud de la capitale quelques heures plus tard. Les aspirants assassins ont brièvement combattu avant de comprendre que leur périple arrivait à son terme : après quelques minutes de fusillade, 20 de 24 mutins se sont suicidés en dégoupillant des grenades contre leur thorax. Les quatre survivants des explosions ont été arrêtés et exécutés en secret au mois de mars suivant. Incapables de reconnaître que leur incompétence et leur cruauté les rendaient responsables de ce carnage, les autorités sud-coréennes ont ordonné la destruction de toute trace de l’unité 684. Pendant des décennies, elles ont soutenu que les responsables de la bataille de Séoul étaient des « agents communistes armés ».

Plus de 7700 espions sud-coréens auraient pénétré en Corée du Nord entre 1953 et 1972. Environ 5300 ne seraient jamais revenus. Aujourd’hui encore, la Corée du Sud peine à reconnaître l’ampleur de ses « opérations noires » contre son voisin communiste : le premier rapport officiel sur la mutinerie de Silmido est paru en 2006. Les familles des officiers assassinés ont reçu une maigre compensation en 2010. Quant à l’identité de la majeure partie des 31 membres de l’unité 684, elle est toujours inconnue.

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