Si vous demandez à quelqu’un de nommer le terroriste le plus célèbre de tous les temps, il y a de fortes chances qu’il réponde Oussama Ben Laden, le cerveau derrière les attentats du 11 septembre. Mais il y a 50 ans, avant que l’on associe l’islam fondamentaliste au terrorisme, l’ennemi public numéro un était un militant de la gauche radicale, surtout connu pour son engagement dans le mouvement de libération de la Palestine : le mystérieux Carlos le Chacal.

Né Ilyich Ramírez Sánchez au Venezuela en 1949, le Chacal était le fils aîné de l’avocat millionnaire José Altagracia Ramírez-Navas. Bien qu’il ait tiré sa fortune du boom pétrolier, Ramírez-Navas était un marxiste convaincu au point d’appeler ses trois enfants Vladimir, Ilyich et Lénine, d’après le prénom, le deuxième prénom et le pseudonyme du leader révolutionnaire russe. Finalement, Sánchez adoptera Carlos comme nom de guerre.

Malgré ses convictions, Ramírez-Navas inscrit son fils dans une école préparatoire à Londres, au cœur du monde capitaliste. Là-bas, Sánchez se la coule douce au lieu de travailler, si bien que son père l’envoie à l’Université de l’Amitié des Peuples Patrice Lumumba à Moscou, un foyer d’idéologie communiste. Il y rencontre de nombreux étudiants palestiniens et s’implique dans leur lutte contre les forces d’occupation israéliennes. Mais son parcours universitaire sera de courte durée : en raison de ses résultats décevants et d’un conflit avec la direction de la faculté, le Chacal est expulsé en 1970, peu de temps après avoir commencé ses études. 

C’est à ce moment-là que Sánchez s’installe à Beyrouth et devient un révolutionnaire à plein temps. Il rejoint le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un parti marxiste-léniniste partiellement basé au Liban, qui existe toujours aujourd’hui et qui est le troisième plus grand parti en Palestine après le Hamas et le Fatah. Comme d’autres partis palestiniens, le FPLP possède une branche paramilitaire qui a mené des attaques terroristes contre des citoyens israéliens. Cette branche a été particulièrement active dans les années 70, notamment grâce à des attaques coordonnées par Sánchez lui-même.

Au début de son militantisme au sein du FPLP, Sánchez est envoyé dans l’un des camps du parti en Jordanie, où il apprend à manier les armes et à détourner des avions. En 1973, l’organisation le renvoie à Londres, où il commence à constituer un réseau de collaborateurs et à repérer des cibles potentielles d’enlèvement et d’attentat. 

La première mission de Sánchez est d’assassiner l’homme d’affaires Joseph Edward Sieff, président de Marks & Spencer et de l’Association sioniste de Grande-Bretagne – mission qui échoue lorsque son arme s’enraye. Il est contraint de fuir les lieux après avoir seulement blessé sa cible, mais l’histoire fait la une des journaux internationaux. 

Pendant ce temps, le FPLP forge des alliances avec d’autres groupes radicaux de gauche dans le monde. Parmi eux figure l’Armée rouge japonaise, un groupe marxiste visant à démanteler la monarchie japonaise et à promouvoir la cause d’une révolution communiste internationale. 

Le 13 septembre 1974, le groupe assiège l’ambassade de France aux Pays-Bas, prenant plusieurs otages et exigeant que les autorités françaises libèrent un de leurs collaborateurs en détention. L’attaque aurait été coordonnée avec l’aide de Sánchez, qui aurait également fait exploser un café à Paris le 15 septembre alors que les négociations pour l’ambassade étaient en cours. L’explosion fait deux morts et plus de 30 blessés, dont deux enfants qui ont été mutilés.

Quelques mois plus tard, en janvier 1975, Sánchez planifie d’utiliser des roquettes pour abattre deux avions d’une compagnie israélienne au décollage de l’aéroport d’Orly à Paris. Les deux tentatives – à une semaine d’intervalle – échouent. La seconde se solde par une fusillade entre des membres du FPLP et la police, mais le Chacal parvient à s’échapper. 

En juin, son proche collaborateur Michel Moukharbal est arrêté par la police française pour son rôle dans l’attentat d’Orly. Moukharbal commence à coopérer avec la police et la conduit à l’appartement de Sánchez. Celui-ci laisse entrer les autorités et son ami, leur offre des boissons, puis les abat tous avec une mitraillette. Seul un des trois détectives survit. 

L’incident le place en première page des journaux du monde entier. Tout à coup, la capture d’un individu jusque-là inconnu des autorités et du public devient la priorité numéro un de tous les services de police français. La chasse à l’homme dure une dizaine d’années, contribuant au mythe qui commence à émerger dans la presse. 

Lors de la perquisition d’une des cachettes de Sánchez, un journaliste tombe sur un exemplaire du livre Chacal de l’auteur britannique Frederick Forsyth, un thriller décrivant un complot fictif visant à assassiner l’ancien président français Charles de Gaulle. Peu après, la presse donne à Sánchez le surnom de « Carlos le Chacal ». 

Mais le plus grand coup de l’année reste à venir. Le 21 décembre, Sánchez et cinq autres membres du FPLP s’introduisent de force dans une réunion à Vienne, au siège de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), une organisation intergouvernementale qui régule les prix du pétrole pour ses membres et, en pratique, pour le monde entier.

Le groupe tue deux agents de sécurité et un économiste libyen, puis prend en otage une soixantaine de participants. Il se procure ensuite un avion, libère certains des otages et embarque les 42 autres dans de multiples vols sur des milliers de kilomètres, terminant leur périple à Alger. Entre-temps, il exige que les radios et les chaînes de télévision autrichiennes lisent toutes les deux heures une déclaration dénonçant l’occupation de la Palestine. Les diffuseurs obtempèrent pour éviter qu’un otage soit exécuter toutes les 15 minutes. 

À l’arrivée du groupe, l’ancien dirigeant algérien Houari Boumédiène coordonne la libération de tous les otages et offre l’asile à Sánchez. Boumédiène avait accédé au pouvoir par un coup d’État sans effusion de sang en 1965, à la suite de la guerre d’indépendance algérienne. Il s’est rapidement fait connaître comme l’un des plus grands leaders révolutionnaires de gauche du monde, offrant l’asile à d’autres dirigeants de mouvements de libération anticolonialistes, dont Nelson Mandela et des membres des Black Panthers. 

Il apparaît par la suite que le calvaire de l’OPEP a été financé par un président arabe anonyme, certains suggérant qu’il pourrait s’agir de l’ancien président libyen Mouammar Kadhafi. Sánchez aurait également reçu des dizaines de millions d’euros de rançon, qu’il prétend avoir perdus. Mécontent de ses réponses, le FPLP le vire de l’organisation en 1976. 

En 1978, Sánchez fonde sa propre organisation pour faire avancer la cause de la libération de la Palestine, la Lutte arabe armée. Entre-temps, il se lie d’amitié avec de puissants acteurs dans différents pays. La Stasi lui offre même un quartier général à Berlin-Est et un personnel de 70 personnes. 

Au cours de la décennie suivante, Sánchez parcourt l’Europe de l’Est pour faire ce qu’il sait faire le mieux : perpétrer des attentats terroristes pour le compte d’organisations politiques marxistes. En 1981, par exemple, il est recruté par la police secrète roumaine pour faire exploser les bureaux munichois de Radio Free Europe, une station de radio anticommuniste critique du régime roumain. Il passe ensuite quelques années en Hongrie, où il est maintenu sous surveillance. 

Selon des archives récemment découvertes, Sánchez est alors considéré à la fois comme un atout et comme une menace par les régimes du bloc de l’Est, en raison de sa nature imprévisible et impitoyable. Grâce à ses multiples faux passeports émis par différents gouvernements, il est difficile pour les autorités de le traquer et de l’empêcher d’entrer dans leur pays. Elles hésitent même à l’expulser purement et simplement par crainte de représailles.

Finalement, même les pays d’Europe de l’Est l’abandonnent sous la pression de l’Occident. Sánchez est contraint de fuir à Damas, en Syrie, en 1986, où il est accueilli par les dirigeants à condition qu’il renonce au terrorisme, ce qu’il accepte. En raison de son abdication volontaire, les forces de sécurité internationales le laissent pour ainsi dire traîner en Jordanie et en Syrie pendant quelques années, jusqu’à ce qu’elles apprennent que Saddam Hussein a tenté de le recruter pour organiser des attentats contre ses ennemis occidentaux. 

La chasse à l’homme internationale reprend et Sánchez est finalement arrêté au Soudan en 1994. La même année, il épouse son avocate, Isabelle Coutant-Peyre. La Française devient sa troisième épouse, après Magdalena Kopp, une Allemande de l’Est avec laquelle il s’était marié et avait eu un enfant dans les années 70 et qui avait divorcé en 1994, et Lana Abdel Jarrar, une Jordanienne pour laquelle il s’était converti à l’islam afin de pouvoir avoir plusieurs épouses. 

L’arrestation de Sánchez a surpris de nombreux experts du renseignement, vu le nombre d’années qu’il avait réussi à passer en cavale. « Cet homme est un anachronisme historique dont l’idéologie ne s’inscrit dans aucune forme actuelle de terrorisme d’État », avait déclaré Vincent Cannistraro, ancien expert en contre-terrorisme de la CIA, au New York Times au moment de son arrestation. « Il n’était utile à personne. » Une fois en France, le Chacal a été condamné à trois peines de prison à vie lors de trois procès qui se sont tenus entre 1997 et 2017.

En 2003, Sánchez a publié un livre intitulé L’islam révolutionnaire avec l’aide du journaliste français Jean-Michel Vernochet. Il y fait l’éloge d’Oussama Ben Laden et de son islam comme réponse post-communiste à l’impérialisme américain, passant métaphoriquement le relais au nouveau roi du terrorisme international.

Ces dernières années, Sánchez a tenté à plusieurs reprises de faire appel pour être libéré, en vain. Aussi extraordinairement charismatique qu’il puisse être, il semble que Carlos le Chacal va passer le reste de ses jours à pourrir en prison.

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