Le nombre d’agriculteurs quittant la profession, 4% en 2021 selon l’Agence Bio, est pourtant stable. Le taux de “déconversion” oscille ces dernières années entre 4% et 5%, “mais on surveille de près les chiffres pour 2022, car la crise sanitaire et l’augmentation des prix de l’énergie ont impacté le pouvoir d’achat des ménages”.
Un plafond de consommation atteint?
“Si plus personne n’achète de bio, les producteurs ne vont plus se convertir”, alerteÉtienne Gangneron, vice-président de la FNSEA en charge du bio, contacté par Le HuffPost. C’est automatique, si les Français ne remplissent plus leurs cadis de produits bios, aucun intérêt pour les agriculteurs d’en produire. La croissance vertigineuse du bio qui augmente en moyenne de 10% par an depuis 2012 peut-elle alors s’écrouler?
Le bio était pourtant jusqu’ici présenté comme le gagnant des confinements. 70% des Français disent avoir acheté des produits biologiques pendant le confinement et 8% d’entre eux pour la première fois, selon une étude publiée en juin 2019 par l’Agence Bio, groupement d’intérêt public sous tutelle du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et du ministère de la Transition écologique. Si les produits bios ont continué de séduire les ménages pendant la pandémie, le pic de la demande du bio semble être atteint.
Agence Bio
La demande de bio marque le pas
“Jusqu’à aujourd’hui le bio marchait parfaitement bien sur ses deux pattes, l’offre et la demande. C’est la première année que la jambe de la demande marque le pas”, explique Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, au HuffPost. Dopées par un effet pandémie en 2020, les ventes de produits “AB”, le label des produits bio, ont reculé de près de 2% en 2021 par rapport à 2020, selon l’Institut d’études IRI qui inspecte la composition des achats des Français en magasin.
Les Français ont changé leurs pratiques d’achats depuis le confinement explique Laure Verdeau: “ils achètent près de chez eux dans les petits commerces, ils pensent produits locaux et moins bios”. Selon elle, manger bio et local va pourtant de paire: “En France, seulement 20% du bio est importé”. Un pourcentage qui monte tout de même à 35% en prenant en compte les produits tropicaux (banane, mangue, ananas…).
“Produit régional”, “agriculture raisonnée”, “100% naturel”, les promesses “vertes” fleurissent sur les emballages brouillant l’esprit des consommateurs. “Les allégations marketing sur les paquets et les labels qui ne respectent qu’une partie du cahier des charges du bio n’aident pas à soutenir les vrais produits bios dont la production est sans pesticide et préserve la biodiversité”, regrette Laure Verdeau. Face à cette offre pléthorique, la demande est perdue et se détourne du logo “AB”.
Un marché en berne surveillé comme le lait sur le feu
Les courbes de l’offre et de la demande progressent en miroir. Si les Français achètent moins de bio, la production va être excédentaire. La filière laitière en paye déjà les frais. La production a augmenté de 12% en 2021 mais la demande n’a pas suivi le rythme. Conséquences: le lait se vend des bagatelles, son prix a chuté de -30% en 2021. En bout de chaîne, la rémunération des producteurs a, elle aussi, dégringolé.
“Le marché du lait s’effondre, je quitte la bio”, assène amer Simon Chabasse, éleveur laitier dans le Cantal. La désillusion accompagne l’éclatement de la bulle économique du bio. Dans l’esprit des agriculteurs, la transition au bio laissait présager un avenir serein avec des produits vendus à prix justes et des salaires dignes d’un dur labeur manuel. D’autant plus que la conversion pour être certifié “bio” est un parcours du combattant: pendant trois ans les agriculteurs doivent produire en bio tout en vendant le fruit de leur travail au prix du conventionnel.
″Ça serait encore pire en conventionnel, les prix de vente sont encore plus bas qu’en bio” Christophe Osmont, éleveur bio
L’État soutient cette transition par des aides financières: jusqu’à 900 euros par hectare et par an pour les cultures maraîchères, un montant plafonné de 12.000 à 20.000 euros selon les régions. “Les agriculteurs bios vivent avec les aides de la PAC (Politique agricole commune NDLR), j’ai reçu pendant cinq ans une prime de 13 000 euros pour ma conversion bio, c’est énorme”, témoigne Christophe Osmont. Mais la transition est très coûteuse et nécessite de nombreux investissements, “pour mettre aux normes la ferme familiale j’ai notamment dû construire un grenier à céréales et veiller à ce que les cochons aient une cour extérieure pour qu’ils vivent en plein air”, détaille l’agriculteur bio.
Pendant sa première année de conversion, Christophe Osmont s’en est bien sorti financièrement “mais ça devient de plus en plus difficile”, avoue-t-il. Sans aucun regret sur son choix de conversion, ses convictions écologiques et l’importance qu’il porte au bien être animal qui le font tenir: “Je ne vais pas revenir en arrière pour le conventionnel, je préférais encore arrêter d’être agriculteur, mais je me demande souvent si l’agriculture biologique est viable sur le long terme”. Fermement convaincu, il ajoute que ”ça serait encore pire en conventionnel, les prix de vente sont encore plus bas qu’en bio”.
Des règles de plus en plus exigeantes
Le poids en plus pour les agriculteurs bios ce sont les règles pour obtenir une certification, de plus en plus exigeantes. Le nouveau cahier des charges européen pour l’agriculture biologique appliqué depuis le 1er janvier 2022 pourrait décourager certains agriculteurs de poursuivre l’aventure bio: “De nombreux producteurs continueront à faire du bio comme avant sans appliquer ce nouveau cahier des charges”, constate Étienne Gangneron. Ces nouvelles règles du bio interdisent par exemple certaines pratiques comme l’écourtage ou l’ablation de la queue pour les porcs, renforcent l’accès plein air, obligent l’intégration de légumineuses dans les rotations…
Les agriculteurs s’épuisent donc à répondre aux attentes des consommateurs toujours plus demandeurs de produits de qualité. Un effort que les producteurs étaient jusque-là près à faire en retour d’un engouement des Français pour le bio. La filière générait plus de 13 milliards de chiffre d’affaires en 2020, selon l’Agence Bio. Mais face à une demande qui se tasse, les doutes sur une conversion ou les réflexions sur un retour à l’agriculture conventionnelle sont légitimes.
“Arrêtons de dire que le bio c’est fini et que la demande ne répond plus parce que ça va finir par vraiment arriver”, s’inquiète Laure Verdeau de l’Agence Bio. Le bio a encore de l’avenir assure la directrice à condition que la demande reparte. Avant le salon de l’agriculture, l’Agence Bio est partie à la chasse aux promesses de dons du côté des interprofessions afin de lancer des campagnes de sensibilisation. Laure Verdeau explique qu’Interfel, l’interprofession pour les fruits et légumes, a notamment “réalloué 200 000 euros de son budget” pour vanter les mérites du bio. La filière joue toutes ses cartes pour que le bio retrouve sa place dans les assiettes des Français.
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