LE DEUXIÈME ACTE
Écrit et réalisé par Quentin DUPIEUX – France 2024 1h20mn – avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel, Raphaël Quenard, Manuel Guillot, Françoise Gaziot… Festival de Cannes 2024 : Film d’ouverture, hors compétition.
Du 12/06/24 au 16/07/24
Comment concilier le système D et le star-système ? Ce défi, Quentin Dupieux fait en sorte de le relever à chacun de ses films. C’est un homme-orchestre, on le sait, qui se charge d’à peu près tout dans son cinéma (scénario, image, réalisation, montage), sauf de l’interprétation. Le cinéaste a donc besoin des acteurs, surtout des célébrités, qui lui permettent de financer ses films, tournés très vite, avec une grande économie de moyens. Est-ce à dire qu’il profite de leur talent par cynisme ? Non, l’hurluberlu barbu les admire et sait ce qu’il leur doit. Mais on devine que cette passion est conflictuelle, teintée d’agacement. Le Deuxième acte surjoue cartes sur table ce tiraillement, à travers l’histoire d’un tournage. Un tournage spécial, car, bien évidemment, nous voilà une fois encore transportés en Absurdie. Au pays du non-sens.
Soit quatre acteurs de profession, qui incarnent chacun un personnage. Le premier qui apparaît est David (Louis Garrel), un tombeur poursuivi par une jeune femme, Florence (Léa Seydoux), folle amoureuse de lui. Il aimerait s’en défaire en la poussant dans les bras de Willy (Raphaël Quenard), un bon pote à lui, avec lequel il échange longuement, en marchant sur une route. De son côté, Florence tient absolument à présenter David à son père (Vincent Lindon). Les quatre se retrouvent dans un restoroute, au milieu de nulle part. Curieuse intrigue, qui semble bien faible, à nous, spectateurs, mais aussi aux acteurs – l’un parle de « daube » à son partenaire de jeu. Mais cette médiocrité est troublée par le fait qu’assez vite on ne sait plus très bien si les répliques des acteurs renvoient à une répétition, à la vraie prise ou à des conversations hors de leur rôle.
Film dans le film, strates multiples de réalité, confusion entre réel et fiction : on reconnaît la griffe Dupieux et son usage de la mise en abyme, source de vertige. L’excentrique s’amuse cette fois avec le statut des quatre stars en question, leur degré de célébrité, leur « image », qu’il caricature ou déjoue. Au-delà, il raille l’égocentrisme démesuré, la compétition et l’entre-soi, l’obsession de séduire et la docilité des comédiens. La satire est à la fois féroce et tendre. Souvent percutante dans l’humour, car connectée aux débats qui agitent la société actuelle. En vrac, et pour ne pas trop divulguer, citons juste quelques-uns des thèmes sur lesquels les effets hilarants s’appuient : le genre et les orientations sexuelles, le petit rail de coke sniffé en catimini, la liberté d’expression brimée, le harcèlement, l’intelligence artificielle, le chaos annoncé avec le dérèglement climatique, Paul Thomas Anderson…
Le Deuxième acte se focalise uniquement sur la parole des acteurs, faisant le vide autour d’eux. Il prolonge la mise à nu de Yannick, n’emploie qu’un seul décor (le restoroute) mais cette fois nous entraîne à l’extérieur, dans une campagne que Dupieux a le chic de rendre floue, ne filmant pour ainsi dire que le ciel, bas et lourd ! Toujours inventive et originale avec trois fois rien, sa mise en scène crée dans la plupart des séquences quelque chose qui attire immanquablement l’œil et le retient…
Le film est une comédie loufoque mais au fond gris, sinistre. Celui qui fait le plus rire ici est aussi celui qui émeut. Dans l’ombre des quatre célébrités, il est la fausse cinquième roue du carrosse. Il s’appelle Manuel Guillot, c’est un inconnu ou presque, qui joue le patron du restoroute, tétanisé par l’angoisse de bien faire. À travers lui se joue l’opposition entre les « vrais gens » et les privilégiés hors-sol… (J. Morice, Télérama)
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