Le plan du gouvernement pour relocaliser peut-il marcher ?
La pandémie de Covid-19 a provoqué une crise économique sans précédent dont l’issue est encore incertaine. Elle a suscité la mise en place de mesures de soutien d’urgence inégalées en période de paix. A la différence de la crise de 2008, les secteurs les plus affectés n’appartiennent pas à l’industrie, ce qui explique pourquoi la France, forte de son tourisme, de ses restaurants et attractions culturelles, a vu son activité particulièrement ralentie.
Pourtant, l’industrie a attiré une nouvelle fois l’attention, à la fois parce qu’elle apparaît comme ayant fait défaut durant cette période et parce qu’elle semble être une solution à la crise. En effet, de nombreux produits et équipements de protection médicale étaient en offre insuffisante face à une demande démultipliée. Les approvisionnements en masques, blouses de chirurgie, ventilateurs de réanimation, entre autres, ne couvraient pas la demande. Très vite, les observateurs ont conclu que la pénurie était associée à l’absence de production sur le territoire national, elle-même le résultat de la désindustrialisation.
Patriotisme économique à double tranchant
Rappelons cependant que ce qu’aurait permis une localisation nationale de la production, c’est, à la limite, l’interdiction des exportations, la réquisition de la production, voire la réglementation des prix.
Mais ces mesures autoritaires n’auraient que partiellement résolu la tension sur l’offre et, à l’inverse, auraient créé des tensions avec les clients et menacé l’investissement futur de ces entreprises sur le territoire. Car, en supposant qu’il existât des entreprises sur le territoire adressant ces marchés, de deux choses l’une : soit les capacités de production de ces entreprises auraient eu la taille du marché domestique et elles n’auraient pu honorer, à court terme, l’élévation immense et soudaine de la demande ; soit ces entreprises servaient les marchés étrangers, principalement européens, et on voit mal comment on aurait pu leur interdire de continuer à les servir sans souffrir de représailles désastreuses.
Reste que, même si la pénurie ne peut s’expliquer par le faible poids de l’industrie en France, l’opinion a souffert de l’idée que les consommateurs français pouvaient dépendre de l’approvisionnement étranger en matière de produits jugés de première nécessité pour combattre la pandémie.
En outre, face à la sensibilité de l’économie au choc spécifique induit par le coronavirus, le faible poids de l’industrie dans la spécialisation française a cristallisé la comparaison avec l’Allemagne, dont la résistance au choc a semblé, jusque-là, plus forte.
Injonctions à réindustrialiser
Les injonctions à réindustrialiser sont apparues dans le débat et ont trouvé un écho dans le plan de relance du gouvernement, ce dernier étant à la fois soucieux de satisfaire le patriotisme économique de l’opinion et de relancer l’investissement industriel, notamment dans des activités jugées stratégiques.
Plusieurs fonds de soutien à l’industrie ont été créés, dont l’accès est conditionné à un projet d’investissement sélectionné par la Banque publique d’investissement (Bpifrance) et qui sera alors en partie subventionné. Un de ces fonds est spécialement dédié à la relocalisation et a vocation à financer des extensions ou la création de capacités de production se substituant à une activité autrefois déployée à l’étranger.
Mais peut-on faire revenir l’industrie ? Ces politiques seront-elles à la hauteur de l’ambition ? Avant d’y répondre, il faut rappeler quelques éléments sur la désindustrialisation et pourquoi elle est problématique.
La désindustrialisation désigne le recul de l’emploi industriel dans l’emploi total. Nombre de pays de l’OCDE ont connu depuis plusieurs décennies une diminution de la part des emplois manufacturiers dans l’emploi marchand, à la faveur de l’essor des services. Cette diminution ne s’exprime pas seulement en termes relatifs, mais aussi absolus : entre 1997 et 2017, la France a ainsi perdu 25 % de ses emplois manufacturiers.
Le changement de la structure de l’emploi a eu cependant des ampleurs différentes selon les pays : plus forte aux Etats-Unis et au Royaume-Uni (- 29 % et – 38 % respectivement), la diminution de l’emploi industriel est plus faible en Italie et en Espagne (- 15 et – 17 % respectivement). Seule l’Allemagne n’a guère perdu d’emplois manufacturiers (- 1 %), bien qu’elle s’accorde avec le reste des pays sur leur recul dans l’emploi total.
En dépit de cette tendance, l’industrie concentre beaucoup d’attention parce qu’elle reste un moteur incontestable de l’économie. Elle est en effet à l’origine de l’essentiel de la dépense en recherche et développement (R&D) privée, du dépôt des brevets, des exportations et de l’investissement. Elle est donc une source majeure de compétitivité.
En outre, si l’industrie conserve ce pouvoir entraînant, c’est parce que sa dynamique dépasse ses frontières sectorielles de plus en plus étroites. En effet, l’activité industrielle entraîne la demande de services (par exemple, des services informatiques ou juridiques), tout comme elle est associée de plus en plus à une valeur ajoutée en services (par exemple, des services de maintenance, de design, de connectivité).
L’industrie perdue peut-elle se retrouver ?
Les subventions aux projets de relocalisation mises en place dans le cadre du plan « France Relance » peuvent-elles permettre un retour de l’industrie ? On manque encore de recul sur les chiffres pour mesurer le plein effet de ces mesures. En novembre dernier, le bilan anticipé du gouvernement dénombrait 31 projets de relocalisation pour des investissements de 680 millions d’euros, subventionnés par l’Etat à hauteur de 140 millions d’euros.
La relocalisation ne se produira de manière pérenne que si les conditions structurelles de l’activité industrielle dans l’Hexagone ont changé
A ce stade, l’ampleur des relocalisations est donc faible. Il faut mettre en vis-à-vis de ces 31 projets les quelque 120 000 exportateurs qui sont le vivier des entreprises qui pourraient délocaliser. De même, les investissements de relocalisation de 680 millions d’euros sont à relativiser face à un investissement total des sociétés non financières en 2019 de 321 milliards d’euros, et des investissements entrants d’entreprises étrangères de 30 milliards d’euros.
La relocalisation ne se produira de manière pérenne que si les conditions structurelles de l’activité industrielle dans l’Hexagone ont changé, et non parce que les entreprises bénéficient momentanément d’une subvention.
Gare aux effets d’aubaine
Les deux critères majeurs qui pèsent dans la décision de délocaliser sont le coût de production et l’accès au marché. Concernant le second, force est de reconnaître que le dynamisme asiatique ne se dément pas, alors que les marchés occidentaux sont plus à la peine.
Le motif du coût de production se fonde, lui, sur des éléments très structurels et jugés pérennes, du coût du travail au coût des matières premières en passant par la fiscalité, les qualifications, les infrastructures. La décision n’est donc réversible que si les motifs disparaissent face aux avantages de la localisation domestique.
Mais les investissements ont des coûts irréversibles, donc réinvestir en France est une décision qui engage le long terme. Les entreprises qui relocalisent ont, en général, gardé des actifs en France. Souvent les aides accélèrent des plans d’extension des capacités de production qui étaient déjà dans les tuyaux. Elles réduisent l’attentisme des acteurs en période d’incertitude.
Par conséquent, si on ne peut qu’être favorable à l’augmentation des capacités de production hexagonales, on peut douter que le fonds de relocalisation sera un levier d’une amplitude qui dépasse les effets d’aubaine.
Sarah Guillou est économiste à l’OFCE, co-responsable du pôle « Politique publique et compétitivité des entreprises », département innovation et concurrence.
Ce texte est publié en partenariat avec l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
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