« En France, on n’a pas de pétrole, mais on a du lithium », lance Emmanuel Macron en octobre 2022, appelant à « réconcilier le climat, l’industrie et la souveraineté énergétique ». Quelques jours auparavant, le groupe français Imerys, spécialisé dans l’exploitation de minéraux, annonçait un projet tombant à pic : ouvrir une mine de lithium souterraine dans l’Allier afin de produire des batteries de véhicules électriques.Décarboner la voiture avec du lithium « made in France » en créant des emplois locaux : que demander de plus ? Deux ans après l’annonce, pourtant, le projet ne fait toujours pas l’unanimité. Pendant quatre mois, jusqu’en juillet 2024, un débat public sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP) s’est tenu sans permettre aux partisans, opposants et observateurs plus ou moins critiques de s’accorder sur l’opportunité du projet.
Quant à l’Autorité environnementale, elle a publié son avis sur l’étude d’impact du projet le 21 novembre. Si elle estime que le dossier comporte des « insuffisances » et des « lacunes » concernant les potentielles nuisances environnementales du projet, elle ne se prononce pas sur son opportunité.
Qu’ils soient favorables ou non à cette mine, nombre d’acteurs du débat mettent donc en avant des arguments écologiques. D’où la question à un million (de batteries) : faut-il soutenir ou non ce projet, et à quelles conditions ?
Un projet massif
Tout le monde s’accorde déjà sur un point : le projet aura des impacts sur l’environnement local. Concrètement, Imerys souhaite exploiter, à partir de 2028 et pendant vingt-cinq ans, un filon de lithium connu de longue date, situé sous l’une de ses carrières de kaolin (une argile servant à la porcelaine), dans la commune d’Echassières, à 50 kilomètres au nord de Clermont-Ferrand. Mais l’Autorité environnementale indique dans son avis qu’« une demande de concession minière de cinquante ans sera déposée en 2025 », soit une durée deux fois plus longue « compte tenu des résultats des derniers sondages ayant conclu à des capacités plus importantes du gisement ».
Il s’agirait dans tous les cas du plus gros site d’extraction de lithium en Europe, avec un investissement d’1 milliard d’euros et des installations massives. Baptisé « Emili » (exploitation de mica lithinifère par Imerys), le projet consisterait dans sa version actuelle – donc susceptible de changer – à extraire 2,1 millions de tonnes de granite par an.
Sur le site d’Echassières, une première usine, dite « de concentration », serait créée pour séparer les minerais : deux tiers des volumes seraient des stériles (des roches non valorisables) ou des résidus de concentration, à entreposer dans la fosse de la carrière de kaolin existante ou à utiliser comme remblais dans la mine.
Le tiers restant est composé, pour une grosse moitié, de coproduits valorisables – notamment du feldspath (un minerai utilisé dans l’industrie céramique) – et pour une petite moitié (330 000 tonnes par an) de « mica lithinifère », la roche qui contient le fameux lithium.
Ces produits seraient acheminés par une canalisation souterraine vers une plateforme de chargement de trains construite à quinze kilomètres à l’est, à Saint-Bonnet-de-Rochefort. Le feldspath serait ensuite directement envoyé par wagons chez les clients potentiels, et le mica lithinifère partirait vers une deuxième usine, dite « de conversion » qui serait créée à Saint-Victor, près de Montluçon, à 60 kilomètres à l’ouest.
Dans cette usine de conversion, les 330 000 tonnes de mica lithinifère subiraient une série d’opérations pour les transformer en 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium, envoyées ensuite par camion sur des sites de production de batteries. De quoi équiper, chaque année, 700 000 véhicules électriques aux standards actuels.
Ces ultimes opérations dans l’usine de conversion nécessiteraient de faire venir par train plus de 200 000 tonnes par an de réactifs – gypse, chlorure de potassium ou acide sulfurique. Au terme de ces opérations, il resterait 600 000 à 800 000 tonnes par an de résidus supplémentaires, parfois polluants, et quelques dizaines de milliers de tonnes d’autres coproduits potentiellement valorisables.
Les multiples étapes permettant de transformer, chaque année, deux millions de tonnes de roches en 34 000 tonnes de lithium ne se feront évidemment pas sans nuisances ni consommation de ressources. C’est sur cet enjeu que s’établit un premier niveau de débat : quels sont les impacts réels du projet et comment les minimiser ?
Si Imerys n’a pas encore apporté toutes les réponses à ce sujet, son dossier de présentation recense les incidences possibles. D’abord les pollutions visuelles, sonores ou olfactives, certes limitées par le caractère souterrain de la mine, mais générées sur tous les sites à cause du passage de camions ou de l’usage de produits chimiques.
De même, la construction et le fonctionnement de ces sites auront un impact paysager et sur la biodiversité. Elles nécessiteront également 446 mégawattheures d’électricité – un quart de la consommation départementale –, ainsi que 495 gigawattheures de gaz par an.
Inquiétudes sur l’eau et les déchets miniers
Surtout, deux sujets d’inquiétude majeurs ont émergé du débat, et sont repris dans l’avis de l’Autorité environnementale. D’abord la disponibilité de la ressource en eau, nécessaire à plusieurs étapes de la transformation. Imerys dit avoir besoin de 600 000 m3 sur le site d’extraction d’Echassières, qu’il compte capter dans la Sioule, un affluent de l’Allier. Ce prélèvement représente, selon l’industriel, 0,1 % du débit moyen annuel, et 0,6 % du débit d’étiage (la moyenne du débit estival, plus faible).
L’usine de conversion, pour sa part, aurait aussi besoin de 600 000 m3 d’eau, prélevés cette fois à la sortie de la station d’épuration de Montluçon, qui rejette ses eaux traitées dans le Cher. Cela représenterait une perte de 0,1 % du débit moyen de la rivière, et de 2 % de son débit moyen d’étiage.
A première vue, ces chiffres paraissent raisonnables. Mais la situation hydrologique locale est très tendue et s’aggrave à cause du changement climatique, notamment pour la partie du Cher concernée, classée en zone de répartition des eaux, ce qui « proscrit tout nouveau prélèvement », rappelle le compte rendu du débat. Et même si Imerys ne prévoit pas de pomper directement l’eau du Cher, tout ce qui sera prélevé à la sortie de la station d’épuration ne sera pas reversé dans la rivière.
Le problème est que les débits d’étiage, sur lesquels sont basées les estimations de prélèvements d’Imerys, sont des moyennes sur plusieurs mois qui masquent de fortes variations. Certains jours, la Sioule et a fortiori le Cher connaissent un débit extrêmement faible, ont indiqué des hydrologues et des pêcheurs. Pomper une partie de cette eau aurait donc des conséquences sur les écosystèmes.
« Les poissons ne peuvent pas se mettre entre parenthèses trois jours », a ainsi affirmé, pendant les échanges, l’un des animateurs du schéma de gestion des eaux du Cher. Et d’autres conflits d’usage sur l’eau sont redoutés, avec la production d’eau potable, l’irrigation ou les loisirs…
De quoi mettre en péril le projet ? Imerys promet en tout cas d’optimiser la consommation d’eau, et même de recycler 90 % de celle-ci en continu sur ses sites. Un taux très élevé, et très questionné lors du débat.
L’industriel doit fournir des études complémentaires sur l’impact de son projet sur la ressource en eau… qui pourraient par exemple l’amener à prévoir de plus grands bassins de stockage sur ses sites, à remplir en hiver. Mais Imerys, comme l’Etat, excluent à ce stade une interruption de l’activité sur ces sites dans l’éventualité d’un manque d’eau temporaire.
Deuxième gros sujet d’inquiétude : le devenir des résidus miniers, dont une partie serait chargée de produits polluants. Confronté à de nombreuses questions, Imerys a d’abord promis de caractériser plus précisément ces rebuts. Alors que les déchets et résidus du site d’Echassières doivent être stockés dans la carrière ou servir de remblai dans la mine, beaucoup craignent des infiltrations de polluants à travers le massif de granite.
La zone compte en effet de nombreuses sources d’eau et se situe sur la forêt des Colettes (2 000 hectares, classés en partie Natura 2000). Imerys rétorque que le risque est faible car le site semble assez étanche, selon une première étude, mais une seconde, attendue en fin d’année, doit préciser ce résultat, concernant notamment les risques d’infiltration à long terme.
Sur l’autre site de Montluçon, la problématique est plus prégnante. « Le devenir des déchets reste flou : choix du ou des sites, modalités de stockage, modes de transport selon les résidus », note la CNDP dans sa synthèse du débat. Que faire de ces 500 000 tonnes par an ? Là encore, la CNDP, l’Autorité environnementale et de nombreux acteurs du débat demandent à Imerys de nouvelles études.
« La mine propre n’existe pas »
« Les problématiques environnementales sont réelles », admet la Chambre de commerce de l’Allier, pourtant favorable au projet de mine, dans son avis à la CNDP. Sans nier ces risques, Imerys se veut rassurant, et promet notamment de « développer le projet en conformité avec la norme IRMA, référence de l’exploitation minière responsable ».
Mais les critères de cette norme en matière d’environnement et de droits humains sont si drastiques que seules neuf mines dans le monde sont parvenues au bout du processus d’audit, sans qu’aucune d’elles ne respecte la totalité des critères.
L’ONG France nature environnement (FNE) Allier le rappelle dans sa contribution au débat, comme de nombreux participants : « La mine propre n’existe pas. » La question est donc plutôt de savoir à quelles conditions ouvrir une telle mine, ou pas.
Pour les représentants patronaux locaux, le Conseil départemental et la communauté d’agglomération de Montluçon, la contribution de la mine à la « souveraineté » et à la « transition », ainsi que ses avantages économiques – notamment la création de 500 emplois directs et 1 000 indirects – surpassent ses impacts.
Le gouvernement est sur la même ligne. Alors ministre de l’Economie, Bruno Le Maire qualifiait Emili de projet « exemplaire sur le plan environnemental et climatique », et a signé en juillet, pendant le débat public, un décret le classant comme projet d’intérêt national majeur (PINM), provoquant une forte incompréhension chez certaines parties prenantes. Un tel classement permet au projet de bénéficier d’une accélération de certaines procédures, sans pour autant le dispenser d’une évaluation environnementale et des autorisations nécessaires.
En face de ces soutiens de poids, certaines organisations locales, ainsi que les antennes des Soulèvements de la terre et de la Confédération paysanne, jugent que les impacts environnementaux du projet sont rédhibitoires. Et que celui-ci ne peut pas contribuer à la transition écologique tant qu’une politique globale de sobriété n’est pas actée.
La sobriété, prérequis nécessaire à l’extraction minière ?
Un deuxième niveau du débat se joue en effet autour de cette notion de sobriété. « La question préalable est de savoir si nous sommes d’accord avec le modèle de société qu’on nous impose et qui rend ce besoin de lithium nécessaire », écrit par exemple l’association Préservons la forêt des Colettes, très opposée au projet.
Les « anti » s’appuient en particulier sur le travail de la journaliste Celia Izoard, autrice de La Ruée minière au XXIe siècle (Seuil, 2024), qui a été auditionnée durant le débat et qui juge que la mine d’Imerys ne se justifie que si l’usage du lithium est « encadré » par l’Etat, en vue de l’utiliser uniquement pour des véhicules très légers, dont les batteries contiennent moins de lithium.
Entre les « pour » et les « contre » se positionnent de nombreux syndicats, organisations environnementales, partis de gauche ou écologistes qui expriment un « oui mais » ou un « ça dépend », avec des conditions plus ou moins strictes… Tous s’accordent cependant sur la nécessaire exemplarité environnementale et sociale du projet, l’impératif de garantir des retombées économiques sur le territoire, ou encore le besoin de transparence et d’inclusion des citoyens et des pouvoirs publics.
Le secrétaire de l’Union départementale CGT Allier, Laurent Indrusiak, se dit ainsi « plutôt pour » le projet, tout en listant ces points de vigilance. Un positionnement proche de celui de la CFDT et de la fédération de l’Allier du PCF.
Sur la ligne « oui mais », d’autres participants insistent plus fortement sur la nécessité d’être sobre dans l’usage du lithium. Le groupe Les Ecologistes au Conseil régional, par exemple, « reconnaît l’intérêt de l’exploitation de ce gisement » et estime qu’on « ne peut pas faire subir à d’autres pays les conséquences de notre mode de vie induites par l’extractivisme », tout en appelant à « réfléchir à notre rapport aux mobilités et à tendre vers un modèle de société plus sobre ».
« Ce projet pose le dilemme de l’atteinte à la biodiversité, d’une consommation élevée d’eau et d’énergie, de la gestion de déchets, au nom de la transition écologique », écrivent les élus écologistes.
Dans ce même entre-deux; mais plus sévère, l’antenne régionale de la FNE juge que « sans un modèle structurant d’aménagement du territoire et de mobilité, le projet Imerys paraît relever de la transition industrielle, business as usual, plus que d’un véritable projet de transition énergétique ».
Sans non plus s’opposer par principe au projet, la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) propose une série de recommandations, et affirme que « sobriété et hiérarchisation des usages sont les maîtres mots » mais sont « pourtant trop absents des politiques publiques, françaises et européennes ». Une position soutenue par le Réseau action climat (une coalition d’ONG, incluant Greenpeace ou les Amis de la Terre) et le WWF.
La France insoumise, enfin, dit « s’opposer au projet », en attendant que soient prises en compte ses « exigences », notamment l’absence de risque de pénurie d’eau. Plus largement, écrit la formation, « l’exploitation du lithium ne peut se faire qu’à la condition de répondre à des besoins essentiels et déterminés par la puissance publique dans le cadre d’une planification écologique démocratique ».
La France aura besoin d’un peu de lithium et de beaucoup de sobriété
Alors, à quel point une politique de sobriété globale doit-elle précéder l’ouverture d’une mine en France ? Faut-il extraire du lithium pour des SUV ou des citadines légères ? Avec 1,3 personnes à l’intérieur, comme c’est le cas aujourd’hui, ou plus ? Avec des politiques qui favorisent le train et le vélo ?
Sur le papier, faire de la sobriété un préalable a ses avantages : avec une même quantité de lithium on peut équiper, au choix, un gros SUV électrique, cinq petites citadines ou 250 vélos à assistance électrique. Mais un tel prérequis a aussi ses inconvénients, car attendre un consensus national sur une sobriété radicale avant d’électrifier massivement le parc automobile, c’est risquer de ne pas décarboner assez vite. C’est l’autre dilemme de la transition : faire vite à petits pas ou attendre pour mieux sauter.
Pour le chercheur Cédric Philibert, auteur de Pourquoi la voiture électrique est bonne pour le climat (Les Petits Matins, 2024), l’alerte climatique impose d’électrifier sans attendre.
« Le fait est que 80 % des kilomètres parcourus [en France] le sont en voiture et que nous sommes pris par l’urgence climatique. Si nous arrivions à faire tomber ce taux à 70 %, sans report sur l’avion, ce serait déjà formidable », arguait-il dans nos colonnes, en mars 2024.
A parc automobile constant, l’électrification aurait en effet un impact climatique immédiat, car le bilan carbone d’une voiture électrique est inférieur à celui d’une voiture thermique dès 30 000 à 40 000 kilomètres d’utilisation, rappelle une note du cabinet Carbone 4.
Par ailleurs, plusieurs études montrent que, même si des politiques de sobriété plus radicales étaient mises en place, les besoins en lithium du pays augmenteraient. L’Ademe a ainsi évalué qu’en 2050, dans son scénario le plus sobre, la France consommerait trois fois plus de lithium qu’en 2020. De même, le scénario de l’association négaWatt, qui pousse pourtant loin les curseurs de la sobriété, prévoit une hausse de la consommation de cette ressource en France.
Pour autant, la sobriété restera une nécessité absolue. En effet, une autre note de négaWatt, publiée en 2023, a mesuré que si les réserves mondiales prouvées de lithium étaient équitablement réparties parmi la population mondiale, la France n’aurait pas de quoi électrifier tout son parc automobile actuel. Sa « juste » part de lithium correspondrait en fait à la production prévue de la mine d’Imerys dans l’Allier, pas plus. Il faudra donc répartir ce lithium dans plus de véhicules, de plus petite taille, et miser au maximum sur son recyclage.
Si Imerys dit s’engager à exploiter sa future mine de manière « responsable », l’entreprise refuse le débat sur l’usage qui serait fait de ce lithium. « Une position fallacieuse, car lmerys mobilise largement l’argument de la transition écologique pour justifier son projet », juge Fanny Verrax, professeure à l’EMLyon et ex-présidente de SystExt, une association de réflexion sur l’extractivisme.
Quant à l’Etat, il a été interpellé à de nombreuses reprises au cours du débat public sur sa « stratégie extractive de long terme », inexistante pour l’heure, note le compte rendu. C’est pourquoi la CNDP appelle à une véritable délibération collective sur la question de l’extraction des ressources minières en France.
Le soutien de l’exécutif et des responsables politiques locaux envers le projet Emili laisse craindre que la mine voie le jour bien avant ce grand débat.
Alternatives Economiques, en partenariat avec la Fondation Gabriel-Péri, la Fondation Jean-Jaurès, la Fondation pour l’écologie politique et le Labo de l’ESS, organise à Paris, le mardi 3 décembre à 18 heures, une projection-débat autour du film Transition sous tension. Enquête sur l’ouverture d’une mine de lithium, de Violeta Ramirez. Evenement public et gratuit. Inscriptions ici.
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