Bâtiments effondrés, décombres, visages désespérés et sacs mortuaires. « La vie quotidienne ici est effrayante et difficile », lance Hamza Chalan, 27 ans, photographe, cinéaste et journaliste basé à Gaza. « Je peux pas vraiment décrire ce qui se passe, mais le mot “désastre” est celui qui résume le mieux la situation. »
Hamza rapporte quotidiennement ce qu’il voit sur le terrain. Le monde extérieur dépend surtout des reporters locaux et des journalistes civil·es pour sa couverture de Gaza, vu que les organes de presse ne sont pas autorisés à envoyer des correspondant·es sur le territoire.
Il y a deux semaines, Reuters et l’AFP ont reçu une lettre des Forces de défense israéliennes (l’IDF) après leur demande de ne pas prendre pour cible leurs journalistes à Gaza lors des frappes aériennes et des opérations militaires. Cette lettre de réponse de l’IDF indiquait qu’elle ne pouvait pas garantir la sécurité des journalistes qui travaillent dans la bande de Gaza, tant que le Hamas mène délibérément ses activités « à proximité des journalistes et des civil·es ».
Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), au 5 novembre, au moins 36 journalistes (31 Palestinien·nes, quatre Israéliens et un Libanais) ont été tué·es depuis l’escalade de la crise le 7 octobre.
J’ai pris contact avec Hamza pour lui demander comment il travaillait dans ces conditions. Pour être honnête, je ne m’attendais pas vraiment à une réponse – je n’étais probablement pas la seule à avoir essayé de le contacter. Deux heures plus tard, j’ai reçu une réponse : « Salut, pas de problème. Ce serait bien si tu pouvais m’appeler, parce que j’ai pas Internet là. »
J’ai immédiatement essayé d’appeler Hamza, mais son téléphone ne sonnait pas. J’ai eu un mauvais pressentiment mais j’ai continué à fixer mon téléphone, en espérant que son nom apparaisse sur mon écran. J’ai fait défiler son profil Instagram en attendant son appel. Il y a à peine un mois, il postait des vidéos de plats traditionnels palestiniens, de magnifiques couchers de soleil au bord de la mer, d’autres contenus sur l’histoire de Gaza et la beauté de la Palestine. Aujourd’hui, son fil se compose de décombres, de souffrances humaines et de sacs mortuaires. Le contraste est douloureux.
Un peu plus tard, Hamza m’appelle. « Je me sens épuisé et malade. La situation s’aggrave de jour en jour à Gaza, elle devient de plus en plus inhumaine. Je vois la souffrance dans chaque quartier, dans chaque rue et à chaque coin de rue. »
En arrière-plan, j’entends le son de l’appel à la prière, des sirènes et des cris de panique. Notre conversation téléphonique est interrompue à plusieurs reprises et, à chaque fois, j’ai peur pour lui. Au fur et à mesure qu’on parle, je suis de plus en plus consciente que tout ça est bien réel. Que les terribles images de souffrance qu’on a vues ces dernières semaines ne sont pas que des images, mais une réalité quotidienne. Je me sens coupable d’être en sécurité chez moi.
Hamza me parle des terribles conditions de vie à Gaza. « Je dors dans la rue avec une couverture, remet-il. Beaucoup de journalistes dorment dans les espaces publics. » Il me dit que les gens ne peuvent pas se doucher parce qu’il n’y a pas assez d’eau, qu’il est difficile de trouver des toilettes, et qu’il en va de même pour la nourriture et l’eau. « Y’a des longues files d’attente pour obtenir de la nourriture. On mange des petits repas beaucoup trop chers et on ne sait même pas si les ingrédients sont périmés. Une petite bouteille d’eau coûte le double de ce qu’elle coûtait auparavant. »
« La culture palestinienne est très généreuse, mais la plupart des gens n’ont plus rien, ni nourriture ni boisson, ajoute-t-il. Même si on veut s’entraider, on peut pas.» Hamza me dit aussi que sa situation n’est même pas la pire, puisque son travail lui permet de se déplacer dans Gaza et de trouver de la nourriture plus facilement que les familles, qui ne peuvent aller nulle part.
Si les journalistes veulent rendre compte de la situation autant que possible, ils doivent aussi prendre soin d’eux-mêmes et de leur famille. « D’un côté, je suis bien parce que je m’en sors comme ça, mais d’un autre côté, je me sens très mal parce que je suis pas avec ma famille et que je vois ce qui est fait à mon peuple », explique-t-il.
« Certains jours, je me sens seul. Tout le monde a besoin de sa famille, surtout dans des moments comme celui-ci. Je m’inquiète constamment de savoir si la mienne est toujours en vie et vice versa, mais on peut pas toujours se joindre à cause de la mauvaise couverture téléphonique. C’est terrible de penser que si quelque chose arrive à ta famille, tu l’apprendras que bien plus tard. »
Pourtant, lorsqu’il se réveille, Hamza commence immédiatement sa journée en capturant des images dans différentes zones de Gaza. « Je le fais pour plusieurs organes de presse », dit-il. Parfois, un média lui demande de se rendre dans une zone spécifique. S’il sait qu’il y a un danger, il attend que la zone lui semble suffisamment sûre, mais il y a toujours un risque. Il poursuit : « D’autres journalistes ont suivi leur intuition et sont mort·es. On risque notre vie pour couvrir cette catastrophe humanitaire. Si on ne le fait pas, qui le fera ? »
Par son travail, il espère faire en sorte que la communauté internationale voit et ressente ce que vivent les Palestinien·nes, il veut pousser le monde à agir contre l’opération militaire d’Israël et en faveur du sauvetage des civil·es palestinien·nes. « Même si vous voyez ces images terribles, vous ne ressentirez pas ce que les gens ressentent ici. C’est particulièrement déchirant de voir des enfants mourir. »
Hamza souligne également que rien de tout ça n’est nouveau, que les Palestinien·nes de Gaza ont vécu d’autres guerres et souffrent depuis des années. « Beaucoup de gens ici sont religieux et essaient de s’accrocher à leur religion, comme moi. Je suis musulman et je crois que l’heure de la mort arrive au bon moment pour tout le monde. Et c’est Allah qui détermine ce moment. » Cette foi l’aide à prendre les risques auxquels il est confronté dans son travail. « En fin de compte, peu importe que je reste à l’intérieur ou que j’aille dehors pour prendre des photos. Partout où je vais, je cours le risque d’être tué. »
Avant de raccrocher, Hamza me demande une faveur : « Je suis désolé de te dire ça, mais si je meurs, s’il vous plaît, continuez à parler de moi. Continuez à parler de la Palestine. Continuez à parler de l’occupation et des Palestinien·nes. Continuez à parler des journalistes qui sont tué·es. Faites tout ce qui est en votre pouvoir. On demande à la communauté internationale de nous entendre et d’agir. »
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