Le scandale social des dividendes
C’est un domaine ou nous sommes champions d’Europe. Pourtant, ni le Président de la République ni le MEDEF ne font du bruit pour se réjouir de cette France qui gagne : en 2022, les entreprises françaises ont été, encore une fois, les plus grosses distributrices de dividendes du continent.
Selon le rapport annuel de la société de gestion Janus Henderson, « les entreprises françaises ont le plus contribué à la croissance des dividendes européens, représentant près d’un tiers de l’augmentation annuelle » à elles toutes seules.
La finance avant l’énergie
Janus Henderson comptabilise les dividendes versés par les 1 200 entreprises à la plus forte capitalisation boursière, ce qui est très loin de représenter l’ensemble des firmes en distribuant. Mais ses données permettent une comparaison internationale, et rappellent régulièrement que les entreprises françaises font montre de grandes largesses pour leurs actionnaires.
Car pour ces derniers, tout va bien, merci ! Les entreprises françaises s’inscrivent certes dans une tendance mondiale en forte progression en 2022 avec 1 560 milliards de dollars distribués, une hausse de 13,9 % une fois débarrassé des effets de change et autres détails techniques.
La finance représente à elle seule un quart des montants de dividendes distribués, les entreprises de l’énergie arrivant en deuxième position avec 12 % du total
Le débat s’est beaucoup focalisé en France, à juste titre, sur les superprofits réalisés par les compagnies pétrolière, TotalEnergies en tête, qui apparaît comme la 14e plus grosse entreprise mondiale pour la distribution de dividendes.
Mais les chiffres de Janus Henderson soulignent que ce débat a éclipsé le fait qu’une autre activité distribue des niveaux de dividendes bien plus élevés : la finance. Elle représente à elle seule un quart des montants distribués, les entreprises de l’énergie arrivant en deuxième position avec 12 % du total. Comme la montée des taux d’intérêt va encore renforcer le résultat d’exploitation des banques, gageons que leurs actionnaires devraient de nouveau se réjouir en 2023 !
Des dividendes français à un niveau record
Mais revenons à la France. La première estimation des comptes nationaux de l’Insee pour le quatrième trimestre 2022 permet de se faire une première idée du total des dividendes versés l’an dernier par les sociétés financières et non financières : on atteint pratiquement 270 milliards d’euros. Un record historique : jamais les entreprises françaises n’ont versé autant de dividendes à leurs actionnaires depuis 1949 !
A titre de comparaison, l’Unedic a attribué 33,4 milliards d’aides aux chômeurs l’an dernier. Et l’institution de nous informer au passage que les réformes Macron de l’assurance chômage vont retirer 6,7 milliards d’aide aux sans emploi en régime de croisière. Il ne s’agirait pas que l’argent coule à flot vers n’importe qui !
A quoi servent les dividendes ?
C’est entendu, les entreprises françaises distribuent beaucoup de dividendes. Et alors, maugrée les thuriféraires du capitalisme actionnarial, vous pensez peut-être qu’ils finissent dans un puits sans fond ou sous les matelas ! Non, ils servent au financement de l’économie, assurent-ils.
Ce discours a le charme de la simplicité… mais pas de la véracité. Car en vrai personne ne sait ce que deviennent les dividendes.
Contrairement à ce que l’on croit souvent, ils sont loin de tous revenir directement dans les poches des particuliers. Selon la première estimation que l’on peut faire pour 2022, un peu plus des trois quarts des dividendes versés par les entreprises non financières partent en ressources vers d’autres entreprises qui sont leurs actionnaires. Qu’en font-elles après ? Nul ne le sait.
On peut juste constater que, dans les années 1980, les entreprises distribuaient en dividendes nets (versés moins reçus) des montants correspondant à la moitié de ceux consacrés aux nouveaux investissements (formation nette de capital fixe). En première estimation pour 2022, le montant des dividendes nets serait désormais équivalent à ceux des investissements (après être monté beaucoup plus haut avant la crise des subprimes).
Pertes en ligne fiscales
Les ménages, eux, ont reçu environ 55 milliards. Qu’en font-ils ? Les recettes du Prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital à 30 %, instauré par Emmanuel Macron, devraient être de l’ordre d’au moins 16,5 milliards. Or Bercy anticipe 5,7 milliards de recettes totales de PFU en 2022, en dépit d’une base fiscale plus large que les dividendes (elle inclut les intérêts et les plus-values).
On peut raisonnablement penser qu’une grande part des dividendes reçus par les ménages va juste nourrir la spéculation financière. Pourquoi ? Parce que l’essentiel va dans les poches des riches et des très riches
Et ce n’est pas qu’une erreur de prévision : pour 2021, les dividendes nets versés par les entreprises françaises ont été d’un peu plus de 50 milliards, le PFU a rapporté 4,9 milliards. Bref, il y a de la perte en ligne côté fiscal sur les dividendes.
Ces derniers servent-ils à financer le capital de nouvelles sociétés françaises qui cherchent à se développer ? Selon le cabinet EY, les introductions en Bourse d’entreprises françaises ont mobilisé 350 millions de dollars l’an dernier, 3,74 milliards en 2021. On est bien loin des montants de dividendes…
En fait, on peut raisonnablement penser qu’une grande part des dividendes reçus par les ménages va juste nourrir la spéculation financière. Pourquoi ? Parce que l’essentiel va dans les poches des riches et des très riches. Comme l’a montré récemment l’Insee, les 1 % les plus riches concentrent un quart du patrimoine financier, les 5 % la moitié, les 10 % les plus aisés quasiment les deux tiers (64 %).
Des revenus d’épargne qui doivent faire des petits – et si possible des gros petits ! Et c’est bien ce qui se produit : comme l’avait montré une note de France Stratégie pour l’année 2020, les revenus du capital éligibles au PFU constituent plus de la moitié des revenus déclarés par les 0,1 % les plus aisés.
Entre la sous-déclaration et le faible taux d’imposition imposé par Emmanuel Macron dès son arrivée au pouvoir, les grosses distributions de dividendes par les entreprises françaises sont devenues un important facteur d’accroissement des inégalités. Un véritable scandale social.
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