Le secret d’un amour qui dure toujours? L’ocytocine
Jean-Charles et Marinette, un couple de sexagénaires du nord de la France, affichent plus de 40 ans de mariage. Et sont toujours heureux ensemble. Ils ont pris l’habitude de se voir comme une espèce en voie de disparition dans un monde où les divorces se répandent. Pourtant, les neurosciences l’ont prouvé: oui, on peut être ensemble depuis longtemps et amoureux comme au premier jour!
Cet article a été publié dans l’hebdomadaire “La Vie”, retrouvez d’autres contenus connexes
Piliers biologiques de l’amour durable
Ce qu’ils ont découvert remet totalement en question nos idées reçues sur l’amour. Chez ces amoureux au long cours, comme Jean-Charles et Marinette, deux réseaux neuronaux spécifiques s’activent, les piliers biologiques de l’amour durable. D’abord, le réseau neuronal de l’attachement, qui lie trois régions cérébrales: le cortex insulaire, où naît le besoin de l’autre, le cortex cingulaire qui permet de ressentir pleinement nos émotions et le pallidum, qui oriente les actions vers un but.
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Mais on retrouve aussi dans le cerveau de ces vieux amants, et c’est sans doute le plus surprenant, les étincelles typiques des premiers jours de l’amour, au sein de deux régions proches l’une de l’autre et qui communiquent entre elles: l’aire tegmentale ventrale (VTA, pour ventral tegmental area, en anglais) et le noyau accumbens, qui forment ce qu’on appelle le circuit de la récompense. C’est là, dans les profondeurs de notre boîte crânienne, bien en dessous du système cognitif, que naît et dure la passion.
L’hormone de l’attachement
Des chercheurs ont ainsi constaté qu’une injection directe d’ocytocine dans le cerveau d’un campagnol des prairies en présence d’un individu du sexe opposé créait une tendance durable à rester avec l’autre, à se blottir contre lui. Chez l’humain, l’ocytocine est surtout présente en grande quantité chez la mère au moment de l’accouchement et de la lactation, ce qui explique la bouffée d’amour ressentie par la femme au moment de la naissance de son enfant.
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Mais pas seulement. En fait, dès qu’on parle d’amour chez l’humain, l’ocytocine est partout! Comme chez le campagnol des prairies, celle-ci fonctionne comme un philtre d’amour. Elle intervient dans le désir. Pendant les relations sexuelles, le taux d’ocytocine monte en flèche chez les hommes et les femmes. Mais elle joue aussi un rôle important dans le processus d’attachement. Plusieurs études ont ainsi montré que, lorsqu’on pulvérisait une solution contenant de l’ocytocine devant le nez de volontaires, ceux-ci faisaient davantage confiance aux autres personnes présentes.
Plus étonnant encore, l’ocytocine accroît la perception de la beauté de l’être aimé. ”C’est un peu comme l’effet du rouge à lèvres, du fard et du fond de teint, expliquait ainsi Serge Stoléru dans La Vie en mars 2019, mais ici, au lieu d’un maquillage, externe, appliqué sur le visage de la femme, l’ocytocine agit comme si elle rehaussait, à l’intérieur de l’esprit de l’homme, la beauté de la femme qu’il aime.” Il serait même possible de prédire si deux personnes seront encore en couple quelques mois plus tard, en mesurant leur niveau d’ocytocine dans le sang…
Connexion avec l’autre
Ce sentiment de connexion avec l’autre n’est pas qu’une impression: les cerveaux sont vraiment connectés. Uri Hasson, un scientifique états-unien de l’université de Princeton, a ainsi mesuré l’activité de notre boîte crânienne lorsque nous entrons en communication avec quelqu’un d’autre. Parfois, c’est le calme plat, ou presque… Mais il arrive aussi que nous soyons sur la même longueur d’onde: il se passe alors la même chose dans le cerveau de celui qui parle que de celui qui écoute.
Parfois, la connexion est telle que celui qui écoute anticipe même les réactions cérébrales de l’autre. Lorsque deux personnes sont en synchronie cérébrale, elles se comprennent spontanément. Uri Hasson va même jusqu’à affirmer que ce type de communication (littéralement quand deux esprits se rencontrent) est un seul et même acte accompli par deux cerveaux. Cette synchronisation peut être très forte dès la rencontre et se renforcer avec le temps.
La chimie de l’amour durable
Alors pourquoi est-ce si difficile, pour certains, de maintenir une relation amoureuse sur le long terme? Il semblerait que certaines personnes en soient plus capables que d’autres. ”Des études suggèrent ainsi qu’il pourrait exister une relation statistique entre la qualité de la relation conjugale et la forme que revêtent des gènes précis chez les êtres humains : le gène qui synthétise le récepteur de la vasopressine (un autre neuropeptide social) chez les hommes et celui qui synthétise le récepteur de l’ocytocine à la fois chez les femmes et les hommes”, expliquait ainsi le psychiatre Serge Stoléru dans La Vie en mars 2019. Ce sont aussi nos expériences affectives vécues dans l’enfance, les styles d’attachement, sécurisants ou non, que nous avons expérimentés, qui programment le cerveau et déterminent notre capacité à aimer. Mais pas de panique, on sait aujourd’hui qu’on peut corriger ces lacunes grâce à des thérapies fondées sur la parole.
Surtout, le problème vient sans doute davantage de la façon dont nous vivons. Notre environnement ne nous aide pas à préserver l’intensité et la constance de l’amour. ”La première des choses à faire pour avoir une relation amoureuse épanouissante, c’est de chasser toutes les sources de stress”, conseille ainsi Arthur Aron. Lorsque nous sommes stressés par notre travail, par exemple, nous passons moins de temps avec notre conjoint, ce qui, presque mécaniquement, abîme peu à peu le sentiment de connexion à l’autre. Nous avons aussi de plus en plus de mal à communiquer avec lui parce que le stress altère nos capacités cognitives.
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Ce qui a pour conséquence de provoquer chez lui des attitudes négatives (rejet, prise de distance), qui nourrissent notre malaise. Résultat: le couple devient lui-même une source de stress et nous sommes alors convaincus que c’est la relation qui est le problème.
Une émotion renouvelable à l’infini
Surtout, les chercheurs soulignent l’importance des émotions positives lorsqu’elles sont vécues ensemble. Uri Hasson a ainsi montré que la synchronisation des cerveaux était plus forte encore lorsque nous partageons une même émotion comme la joie, la gratitude, ou bien l’enthousiasme. Pour cela, il faut passer du temps ensemble. ”L’idéal serait de faire chaque semaine une activité nouvelle et enrichissante avec votre conjoint”, conseille notamment Arthur Aron.
Parmi ces émotions positives, l’une est particulièrement bénéfique pour le couple: le sentiment d’élévation, c’est-à-dire ce que l’on éprouve face à des lieux, des actes ou des personnes admirables et qui nous donne l’impression de nous élever intérieurement. Contempler la nature, une œuvre d’art, ensemble, par exemple, agit sur notre système nerveux autonome (la partie du système nerveux responsable des fonctions non soumises au contrôle volontaire). Et cela retentit notamment sur le nerf vague, ce long conduit nerveux qui prend naissance dans le tronc cérébral, tout au fond du crâne, et qui raccorde le cerveau au cœur.
Or une augmentation de l’activité du nerf vague apaise l’organisme en ralentissant le rythme cardiaque et augmente le taux d’ocytocine qui favorise l’attachement. Le rythme naturel du couple qui dure? Un mélange de moments de proximité, de connexion, mais aussi de temps où chacun vaque à ses activités et qui permet au couple de se régénérer. Un peu comme l’enfant qui s’éloigne un temps de sa mère pour explorer les alentours, puis revient la serrer dans ses bras pour se rassurer.
Il n’y a que des moments d’amour
Des moments que la psychologue nomme “résonance positive” et qui, non seulement nourrissent et fortifient la relation, mais sont aussi bons pour la santé des deux conjoints. Car les scientifiques en sont désormais convaincus: vivre une relation amoureuse de qualité fait du bien à notre santé. De nombreuses études ont montré que cela avait des effets concrets sur la santé cardiovasculaire ou encore le système immunitaire. ”En clair, il est aussi important pour votre santé et votre longévité d’avoir une relation amoureuse stable et épanouissante que d’arrêter de fumer, de faire attention à votre alimentation ou de pratiquer une activité sportive!” affirme ainsi Arthur Aron. Aussi vital d’être amoureux que de manger cinq fruits et légumes par jour… Alors on lâche tout et on prend le temps de s’aimer!
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