Le titre de séjour « métiers en tension », une avancée sous conditions
« On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent. » Avec cette phrase, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé la couleur du titre de séjour « métiers en tension », l’une des mesures très commentées du projet de loi immigration, qui doit être présenté dans les prochains mois. Nouveau venu dans la législation, ce titre doit répondre aux pénuries de main-d’œuvre dans des secteurs où l’offre d’emploi excède la demande, comme l’hôtellerie-restauration, le nettoyage ou l’aide à domicile, tout en permettant de lutter contre le travail illégal. Le ministre du Travail Olivier Dussopt a toutefois précisé qu’il ne concernerait que « quelques milliers, voire dizaines de milliers, de personnes ». Loin d’une régularisation de toutes les personnes sans papiers, dont le nombre est estimé à 400 000. Que change ce nouveau titre de séjour ?
La possibilité de régulariser des travailleurs sans papiers existe déjà en droit français depuis la loi Hortefeux, qui introduit en 2007 une carte « salarié » (au départ pour faire venir de la main-d’œuvre étrangère), et surtout depuis la circulaire Valls de 2012, qui fixe les grandes orientations de la régularisation par le travail des personnes sans papiers. Problème : l’obtention d’une carte « salarié » implique une demande d’autorisation de travail par l’employeur. Le travailleur est donc dépendant du bon vouloir de son patron. De plus, l’obtention de ce titre se fait au cas par cas, à l’appréciation des préfectures. Il s’agit d’une admission exceptionnelle au séjour. Le refus n’est donc pas opposable devant un tribunal.
Résultat : sur 247 000 premiers titres de séjour délivrés chaque année, « environ 7 000 ont lieu sur ce fondement, dont 4 000 à Paris », relève Marilyne Poulain, ancienne responsable syndicale CGT qui suit de près le sujet. Soit moins de 3 %. La demande d’autorisation de travail doit être renouvelée à chaque nouveau contrat ou employeur, sous peine de compromettre le renouvellement de la carte salarié au bout d’un an. Bref, le système actuel est asservissant pour les travailleurs et source de nombreux dysfonctionnements.
Que prévoit le nouveau titre « métiers en tension » ? Comme auparavant, il sera d’une durée d’un an, soumis à une condition de résidence de trois ans et à la délivrance de bulletins de salaire (huit sur vingt-quatre mois). Mais exit la demande d’autorisation de travail par l’employeur. Le nouveau titre aura l’avantage de permettre l’accès à tous les métiers en tension, sans solliciter une nouvelle autorisation de travail à chaque fois. « On fait entrer la régularisation par le travail dans le plein droit », à l’instar de la régularisation pour motifs familiaux ou sanitaires, souligne Marilyne Poulain. Une avancée certaine. A noter que ce nouveau titre doit s’ajouter à la circulaire Valls, qui couvrira les cas hors métiers en tension.
Beaucoup d’incertitudes
Tout n’est pas rose pour autant. Soumettre la régularisation à l’existence de métiers en tension s’inscrit toujours dans une vision utilitariste de l’immigration. Ce n’est pas nouveau, mais ça ne change pas. Le projet de loi ne prévoit pas non plus de revenir sur certaines incohérences législatives, comme le fait, depuis la loi Cazeneuve de 2016, de ne pouvoir obtenir une carte pluriannuelle que si l’on justifie d’un CDI depuis un an au moins. Une aberration dans certains secteurs où l’intérim est la règle, comme le BTP, la propreté ou le ramassage des déchets.
Autre ombre au tableau, le projet de loi prévoit de soustraire à l’ancienneté de séjour les périodes comme étudiant, saisonnier agricole et demandeur d’asile
Autre ombre au tableau, le projet de loi prévoit de soustraire à l’ancienneté de séjour les périodes comme étudiant, saisonnier agricole et demandeur d’asile. C’est une restriction forte. En outre, beaucoup d’inconnues subsistent. Que se passera-t-il si un métier, auparavant sur la liste des métiers en tension, en sort ? Le travailleur perdra-t-il alors son titre de séjour ? Cela n’aurait pas de sens, mais la question n’est pas tranchée. Autre enjeu fondamental : le périmètre même de la liste, aujourd’hui en cours de révision. « Dans certaines régions, la liste des métiers en tension ne prend pas en compte la restauration, la logistique, le nettoyage ou le BTP, justement parce que les postes de travail dans ces secteurs sont occupés par des travailleurs sans papiers », indique Jean-Albert Guidou, de l’union locale de la CGT à Bobigny. Quels seront les secteurs retenus ? « Cela dépendra des branches. Le résultat peut être assez arbitraire », craint Morade Zouine, avocat spécialiste en droit de l’immigration.
Enfin, plusieurs points de vigilance doivent être gardés à l’esprit. Ce nouveau titre de séjour ouvrira-t-il les mêmes droits que la carte « salarié » ? Autrement dit, ses détenteurs pourront-ils s’inscrire à Pôle emploi, comme c’est le cas actuellement ? Donnera-t-il bien droit au regroupement familial au bout de dix-huit mois de présence régulière ? Les temps partiels seront-ils toujours reconnus ?
Sur tous ces sujets, le gouvernement pourrait être tenté de faire des concessions à droite, ce qui ferait du nouveau titre une régression ou en réduirait la portée. Dans ce cas, son intérêt serait des plus limités.
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