L’éradication de la polio, illustration de tout ce que les « antivax » du coronavirus détestent
SANTÉ – Le bonheur des uns fait-il le malheur des autres? En tous cas, l’annonce mardi 25 août par l’organisation mondiale de santé (OMS) de l’éradication de virus responsable de la poliomyélite a dû faire vibrer certaines oreilles “antivax”. À l’heure où une part grandissante de l’opinion se dit méfiante quant à un vaccin éventuel contre le coronavirus, la victoire contre la polio renverse bien des fables.
Un succès indéniable
Il y a d’abord les chiffres, sans équivoque. Dans les années 40 et 50, la polio entraînait le décès ou le handicap grave d’un demi-million de personnes chaque année dans le monde. En 1988, on comptait encore 350.000 cas de malades de la poliomyélite sur le globe. Aujourd’hui, elle est éradiquée après 70 ans d’un combat systématique.
Un bilan d’autant plus impressionnant que, si la maladie est connue depuis l’antiquité, elle n’a jamais eu de traitement curatif. Seul le traitement préventif est efficace contre le virus, c’est-à-dire les deux vaccins encore utilisés aujourd’hui: par voie intramusculaire, qui contient des souches inactivées du poliovirus, et par voie orale, qui en contient des souches vivantes.
Les effets indésirables, souvent cités par les anti-vaccins, sont minimes: on estime qu’une dose sur 2,7 millions peut entraîner une paralysie, lorsque le virus affaibli réussit tout de même à vaincre le système immunitaire de l’hôte. Mais même dans ce cas rarissime, la maladie contractée n’est pas contagieuse.
L’éradication de la maladie, c’est aussi la démonstration que l’immunité de groupe protège les plus faibles. La couverture vaccinale en France est de 96%, ce qui permet aux personnes immunodéprimées, qui ne peuvent supporter l’injection d’un vaccin, d’être protégées par le reste du groupe. Un concept de protection des plus faibles que rejettent souvent les antivax comme une injonction dictatoriale, ainsi que le relève cette thèse soutenue en 2020 à l’Université de Grenoble sur la désinformation en ligne.
Le fruit d’un travail mondial
À l’heure où l’on cherche comment contrôler une pandémie qui n’a épargné aucun pays, l’alliance mondiale dans la lutte contre la polio a pris des accents exemplaires… et totalement à rebours des théories du complot. C’est en 1988 qu’une vaste initiative a eu lieu pour en finir avec la maladie, nommée “Global Poliomyelitis Eradication” (GPEI) et impulsée par l’OMS.
À l’époque, c’est la plus ambitieuse opération sanitaire mondiale, la première visant à l’éradication totale d’une maladie sur le globe. Elle s’appuie sur une gouvernance qui rassemble une bonne partie des cibles des attaques conspirationnistes d’aujourd’hui: le Rotary International, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies américain, l’UNICEF… et à partir des années 2000, la Gates Foundation, aujourd’hui très active sur le front de la recherche vaccinale contre le coronavirus.
Pire encore aux yeux des anti-vaccins: l’organisation, dotée d’un budget de plusieurs milliards de dollars, est aujourd’hui un exemple pour les grandes initiatives pour la vaccination des pays en développement. GAVI, l’alliance du vaccin créée en 2000 qui réunit partenaires publics et privés, s’inspire en partie de l’expérience acquise de la lutte mondiale contre la polio pour l’étendre à toutes les grandes campagnes préventives: tuberculose, tétanos, diphtérie…
L’implication des pouvoirs publics et des donateurs ne serait rien sans le travail des labos, et là encore, les acteurs engagés contre la polio seront familiers à ceux qui s’intéressent à la lutte contre le Covid. Le principal fournisseur de vaccins contre la maladie aujourd’hui éradiquée est Sanofi, suivi par GSK, Bibcol, Serum Institute… Des acteurs qui, d’après certains antivax, ne chercheraient pas à soigner la maladie mais plutôt à la répandre afin de gagner plus d’argent.
Une histoire complexe et parfois sombre
L’aspect le plus incompatible de la victoire contre la polio avec la narration des anti-vaccins n’est peut-être pas dans sa réussite éclatante, mais dans ses zones d’ombres. Il y a au centre du refus de la vaccination l’idée que l’on cache des choses, que la vaccination sert de funestes desseins ou des échecs catastrophiques. Mais depuis la moitié des années 50, les errements de la lutte contre la polio sont bien connus et illustrent la complexité des campagnes de vaccination.
Dans les années 60, les foies de singes utilisés dans la préparation du vaccin étaient contaminés par un virus animal, le virus simien 40. Des millions de doses furent préparées et distribuées à partir de ces extraits, non seulement aux États-Unis, mais aussi en URSS, en Chine, au Japon, jusque dans les années 80. Les chercheurs estiment aujourd’hui que ce virus, inoculé à plus de cent millions d’individus, pourrait être co-cancérigène.
Pire encore: aux États-Unis, en 1955, alors qu’une grande campagne commençait contre la maladie, c’est par erreur le virus vivant qui a été injecté à 120.000 enfants à la place d’un virus inactivé, causant 40.000 épisodes infectieux, 55 paralysies, et 5 morts.
Les ratés ne sont pas que médicaux, mais aussi organisationnels: si le GEIP peut aujourd’hui se féliciter d’avoir réussi son pari, le retard pris est considérable. L’agenda décidé en 1988 estimait que la maladie aurait disparu en 2000, avec un budget d’un peu plus de 100 millions de dollars! Une telle erreur de prévision n’a pu qu’inciter à la suspicion des professionnels, comme en témoigne cet article paru en 2009 dans la revue Nature, et qui estime “vouée à l’échec” la campagne de vaccination globale.
Ces errements parfois tragiques, au même titre que la réussite de l’éradication du virus, donnent toute sa réalité à la recherche vaccinale. De la même manière que la disparition d’une maladie répandue et handicapante comme la polio démontre l’efficacité du traitement préventif, ces épisodes moins glorieux rappellent qu’il ne s’agit pas là, bien au contraire, d’une conspiration savamment orchestrée mais bien d’une entreprise humaine, avec ses échecs comme ses succès.
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