Les campings vont-ils devenir hors de prix ?
Sous le soleil d’une belle matinée de mai, les pelleteuses sont à l’œuvre, creusant ici des tranchées pour refaire les réseaux, préparant là le futur « city stade ». De l’autre côté du terrain, qui réserve une superbe vue sur la mer encadrée par des pins maritimes, des mobile homes flambant neufs, enveloppés d’un élégant bardage aspect bois, reposent de guingois sur leur emplacement, attendant d’être calés.
Situé sur les hauteurs du Val-André, coquette station balnéaire de la baie de Saint-Brieuc, le camping municipal 3 étoiles est en pleine mutation : la délégation de service public a changé de main en 2023, attribuée pour vingt ans à Sandaya, un groupe d’hôtellerie de plein air haut de gamme.
Le nouveau gestionnaire ambitionne de faire du site vieillissant un joli 4 étoiles, qui comptera 110 emplacements locatifs, contre 66 auparavant. Des mobile homes « modernes et plus qualitatifs », décrit le directeur Cyril Massarin, en faisant visiter l’un d’eux, aux allures de petit appartement cosy et bien décoré.
Une piscine doit aussi être construite l’an prochain. « C’est un investissement que la commune ne peut pas porter », justifie le maire Pierre-Alexis Blévin, qui ne se voit pas non plus gérer l’infrastructure : « C’est un savoir-faire qu’on n’a pas. »
Une nouvelle clientèle de CSP+
Les temps ont changé. Ils sont loin, les campings façon Trente Glorieuses, prairies en bord de mer où l’on venait poser sa tente ou sa caravane, avec un bloc sanitaire pour tout équipement.
Ces dernières années, l’hôtellerie de plein air penche de plus en plus vers le haut de gamme : mobile homes suréquipés, espaces bien-être, piscines dignes de parcs aquatiques…
« La qualité des hébergements a fortement progressé. Pour rester au goût du jour, il faut les changer tous les dix ans. Après les infrastructures, la montée en gamme porte maintenant sur le serviciel : les prestations, les clubs enfants… », dépeint Etienne Page, directeur de Yelloh ! Village, une franchise de 4 et 5 étoiles créée en 2000.
« Il y a des campings haut de gamme qui sont de véritables resorts [complexes touristiques, NDLR]. Cela attire une nouvelle clientèle de catégories socioprofessionnelles élevées, jusque-là peu séduites par le camping, et des étrangers avec un pouvoir d’achat plus important. Petit à petit, les 4 et 5 étoiles gagnent du terrain, parce qu’ils sont plus rentables, le panier moyen y est plus élevé », dépeint Alix Merle, autrice d’une étude de marché pour l’institut Xerfi, parue en avril 2024.
Une tendance amorcée depuis une bonne décennie, qui s’est accélérée ces dernières années, portée par la popularité du camping. Depuis la crise sanitaire, il bat des records de fréquentation.
Les raisons du succès sont plurielles : rapport qualité-prix, quête de nature, repli sur les vacances en France, mais aussi retour en force des clientèles européennes… La montée en gamme s’explique également par l’arrivée dans le secteur de nouveaux acteurs et de capitaux.
« L’implantation de locatifs, à partir des années 1990 et surtout 2000, a permis d’augmenter le chiffre d’affaires et d’allonger la saison. Les banques ont prêté plus d’argent et les investissements ont commencé. Ça a créé une dynamique positive », retrace Nicolas Dayot, le président de la Fédération nationale de l’hôtellerie de plein air (FNHPA), patron d’un 4 étoiles indépendant dans le Finistère.
Si les 3 étoiles restent les plus nombreux (un tiers du parc), la part des 4 et 5 étoiles ne cesse d’augmenter
Si les 3 étoiles restent les plus nombreux (un tiers du parc), la part des 4 et 5 étoiles ne cesse d’augmenter : ils représentent désormais 21 % des campings, contre 14 % en 2010, année de création de la cinquième étoile. Les deux catégories supérieures pèsent même 43 % des emplacements. Elles sont aussi les plus prisées : en 2022, elles ont concentré 58 % des nuitées.
Deuxième parc au monde derrière les Etats-Unis, premier d’Europe avec 29 % des campings du Vieux Continent, la France n’est pas la seule concernée par cette gentrification. « On l’observe partout en Europe, en Espagne, en Croatie, dans le nord de l’Italie », souligne Nicolas Dayot. Mais le marché français apparaît moteur, dopé par la concurrence entre les grands acteurs qui ont émergé dans le secteur.
« Course effrénée à la premiumisation »
En quelques années, ce domaine historiquement porté par des petits propriétaires indépendants a connu une mue spectaculaire, avec le développement rapide de groupes et de chaînes tels que Sandaya, Yelloh ! Village ou encore Tohapi, qui ont racheté ou franchisé nombre de campings.
Chacun a développé son concept : glamping (contraction de glamour et camping) pour Huttopia, parcs aquatiques et toboggans chez Capfun… « Contrairement aux hôtels, c’est un secteur dans lequel les marques émergent depuis tout récemment », observe Olivier Lachenaud, fondateur de la franchise Camping Paradis, inspirée de la série télé. Créée en 2020, positionnée sur les 3 et 4 étoiles « à taille humaine », elle a connu une croissance fulgurante, comptant aujourd’hui 90 campings.
Ces groupes représentent maintenant environ 17 % des campings, mais 35 % des emplacements. Ils concentrent même les deux tiers du chiffre d’affaires du secteur, qui atteint aujourd’hui 4 milliards d’euros, contre 800 000 en 2000.
« A partir du début des années 2010, des acteurs financiers sont rentrés dans l’actionnariat des chaînes, ce qui leur a permis d’investir dans des infrastructures très coûteuses : piscines, spas… Des acteurs majeurs ont émergé. Les campings affichent aujourd’hui des marges très élevées, parce qu’ils sont plus grands, qu’ils concentrent la fréquentation. Ils arrivent à mieux répercuter le coût de leurs équipements et, grâce à ceux-ci, ils peuvent justifier des prix plus élevés. Ça attire encore les investisseurs », commente Alix Merle.
« La clientèle premium est plus étroite que la clientèle historique qui pourrait déserter les établissements face à la hausse des prix », Alix Merle, analyste à Xerfi
Cette « course effrénée à la premiumisation » n’est pas sans risque sur le plan économique, selon l’analyste de Xerfi : « La clientèle premium est plus étroite que la clientèle historique qui pourrait déserter les établissements face à la hausse des prix », souligne son étude. Car aujourd’hui, « une semaine au camping coûte en moyenne 30 % plus cher qu’il y a dix ans », indique Alix Merle.
Mais la montée en gamme répond à une demande de la clientèle, rétorquent nombre d’acteurs du secteur. « C’est ce que les clients recherchent, surtout depuis 2020 », relève Ouzna Djedid, la directrice du Yelloh ! Village d’Erquy, vaste site de 394 emplacements à l’ombre des pins, non loin du Val-André.
Parmi une gamme variée, les mobile homes premium, avec bain bouillonnant, ont beaucoup de succès. « On n’a pas que des cadres, il y a aussi des familles de la classe moyenne. Elles préfèrent payer plus cher mais avoir plus de confort, parce qu’elles ont peu de vacances dans l’année », observe-t-elle.
« Les familles des classes moyennes et populaires constituent toujours le cœur de notre clientèle, mais leurs attentes ont évolué », défend aussi Nicolas Dayot. Le dernier sondage commandé par la FNHPA montre que le rapport qualité-prix reste la première raison qui fait choisir le camping.
Ensuite, « les clients recherchent des hébergements confortables, un espace aquatique, des services et des animations », détaille le représentant patronal. Les bénéficiaires de Vacaf, le dispositif d’aide aux vacances de la Caisse d’allocations familiales, choisissent à 80 % de partir en camping et « ne prennent quasi que des mobile homes dans des 3 ou 4 étoiles en bord de mer », indique-t-il.
Les emplacements nus se raréfient
Autre problème généré par la montée en gamme : la raréfaction des emplacements nus, beaucoup moins rentables que les locatifs. Ces derniers occupent maintenant 49 % des emplacements, contre 29 % en 2011. Quelques campings se sont même entièrement voués aux mobile homes. « Dans quinze ans, à ce rythme, le camping tel qu’on le connaît, c’est fini », redoute Olivier Lemercier.
Autre problème généré par la montée en gamme : la raréfaction des emplacements nus, beaucoup moins rentables que les locatifs
Gérant d’un 3 étoiles du côté de Briançon, dans les Hautes-Alpes, il est l’initiateur de la pétition « Sauvons le vrai camping », qui défend l’instauration d’une proportion minimale d’emplacements nus. « Ce tourisme est absolument nécessaire : ça restera le moyen le moins cher et le plus écologique de partir en vacances », plaide-t-il.
« On est en train d’exclure une catégorie de la population des vacances de base », regrette aussi Guéna, administratrice d’un groupe Facebook dédié au caravaning. Une façon de voyager qu’elle a toujours pratiquée sans réserver.
Mais « pendant les vacances ou les ponts, ça devient compliqué, surtout sur le littoral, parce qu’avec la raréfaction des emplacements nus, il n’y en a plus de disponibles », relate-t-elle. Pour cette Bretonne de 52 ans, c’est tout un état d’esprit, mêlant « liberté » et « retour à l’essentiel », qui est ainsi menacé.
Mettre un quota « serait une folie », estime Nicolas Dayot, qui ne voit pas le problème. Les nuitées en emplacements nus sont stables, souligne-t-il : 61 millions en 2010, 62 millions en 2023. Elles ont même connu un regain d’intérêt l’an dernier, portées par le retour marqué de la clientèle nord-européenne, très friande de ce type de camping, et par les préoccupations des Français liées au pouvoir d’achat.
Par ailleurs, la gentrification n’est, selon lui, pas toujours là où on le pense :
« Ce sont les CSP+ qui recherchent les plus petits campings, parfois sans piscine, avec peu d’animations. »
La diminution des emplacements nus est liée à la disparition de nombreux campings : on en recensait 9 000 il y a vingt ans, 7 400 aujourd’hui
La diminution des emplacements nus, pointe-t-il encore, est aussi liée à la disparition de nombreux campings : on en recensait 9 000 il y a vingt ans, 7 400 aujourd’hui. Terrains municipaux peu attractifs transformés en aires de camping-cars, petits indépendants qui peinent à suivre ou ne trouvent pas de successeurs… Difficile d’exister face à la force de frappe des groupes.
Toutefois, une autre tendance émerge ces dernières années : les campings non classés – sans aucune étoile (7 % des emplacements) – voient leur fréquentation augmenter. C’est même la catégorie qui a enregistré la plus forte hausse en 2023, avec 10 % de nuitées en plus. Un pied de nez modeste à la montée en gamme.
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