À ma connaissance, il existe actuellement quatre salons de ce type dans le pays, dispersés dans les régions du sud-est et du nord-est, chacun avec un style bien propre. Pionnier au Brésil, selon son fondateur Ródney Araújo (29 ans), la Barbearia Naturista, située à Fortaleza, dans l’une des régions les plus chaudes du pays, a été le premier salon à investir dans ce secteur en 2021. « Mon enseigne est la seule à être officiellement et légalement enregistrée en tant que telle ; beaucoup essaient de copier notre nom pour obtenir plus de clients, mais ils ne font pas partie de notre équipe », explique-t-il. Avec huit employés et de nombreux espaces pour chaque type de service, le centre d’esthétique pour homme propose un éventail de soins de beauté en plus du rasage et de la coiffure.
Ródney a ouvert la voie pour que le naturisme s’étende au-delà des plages et des campings, pour que cette philosophie de vie atteigne d’autres espaces, en particulier dans les zones urbaines, avec une formule nouvelle. En raison de la forte demande, les heures de service se sont même vues prolongées jusqu’à 2 heures du matin, tous les soirs. « Je voulais motiver les hommes à prendre soin de leur corps et de leur âme, en montrant une forme de beauté intérieure que peu voient », déclare-t-il.
Renato Erjo (âge non communiqué), DJ et client de Barbearia Naturista.
VICE : Pourquoi avoir fait le choix de ce salon ?
Renato : Le naturisme fait partie de ma vie depuis aussi longtemps que la musique. Donc s’il existe des endroits comme le Barbearia Naturista, je préfère m’orienter vers ça.
Vous parlez de quoi, quand tu te fais couper les cheveux ?
On parle un peu de tout, toujours dans une ambiance amicale et respectueuse. En général, on oublie assez vite qu’on est tous les deux nus.
T’as déjà essayé d’y aller en famille ou avec des amis ?
J’ai déjà emmené quelques potes avec moi, ouais. J’invite souvent ceux qui ont déjà montré une sorte d’intérêt pour le sujet. Et ceux qui n’ont pas honte surtout.
Ça fait longtemps que t’es naturiste ?
Depuis 2006. J’ai fondé le premier groupe naturiste du Ceará (une région du nord-est, NDLR). Mais aujourd’hui, je me suis détaché de ça et je ne fais plus partie de leurs membres.
À São Paulo, centre économique du pays, Rafael Hacomar (37 ans) s’est fait connaître comme coiffeur à domicile. Il s’occupe d’hommes naturistes qui considèrent les soins personnels nus comme un moment de liberté. Il n’est pas rare qu’il soit l’objet d’arrière-pensées à caractère sexuel, les clients pensant souvent (à tort) que la baise sera incluse dans le service. Sur les réseaux sociaux (où tout le service se met en place), Rafael explique que « l’échange de fluides » ne fait pas partie de son travail. « Je précise qu’il n’y aura pas de relations sexuelles, et si jamais le client insiste, je lui suggère de se trouver un escort à la place. »
Interrogé sur les raisons de son succès, Hacomar se souvient d’une époque où étaient apparus au Brésil des salons de coiffure dotés d’espaces de socialisation, avec des boissons alcoolisées, des tables de billard et des télévisions qui passaient des matchs de football. Cependant, il s’agissait souvent d’un environnement très sexiste. « C’était presque devenu la norme pour un salon d’avoir ce type d’espace, dit-il. Mais ça plaît pas à tous les hommes, en particulier les personnes issues de la communauté LGBTQIA+ et qui sont agacés par la toxicité de ces nouveaux lieux où on se retrouvait souvent pris en tenaille au milieu de conversations pleines de préjugés et de discours limites. » Rafael explique que 98% de sa clientèle est composée d’hommes homosexuels. Avec une moyenne de 12 visites par semaine, il prévoit bientôt le triple, si bien qu’il a abandonné son boulot dans la logistique qu’il exerçait auparavant. Il envisage notamment d’étendre ce modèle de coiffure itinérant nudiste au Portugal.
Pietro Cassab (33 ans) prof et client de Rafael
VICE : Qu’est-ce qui te plaît au moment de te faire couper les cheveux tout nu ?
Pietro : Pour moi, se faire raser et couper les cheveux sans vêtements, le barbier également nu, ça me donne un sentiment de liberté, je dirais. L’atmosphère des salons de coiffure a toujours été très masculine, voire trop. Ce type d’expérience rompt avec ce modèle. Y’a quelque chose d’intime, même si ça n’a rien de sexuel.
Vous échangez sur quoi, à poil, le coiffeur et toi ?
On parle un peu de tout : des relations, du travail, des soirées… On est amis, ce moment est très spécial pour moi. Je perds toute notion de timidité, je me sens très à l’aise. C’est le meilleur coiffeur et je suis toujours satisfait du résultat.
Le naturisme, c’est quelque chose que tu pratiques dans plusieurs milieux ou exclusivement avec ton coiffeur ?
En général, c’est pas trop mon truc. J’ai visité quelques plages au Brésil mais c’était il y a longtemps.
Dans la même ville, Paulo Motta (26 ans) a ouvert il y a cinq mois un salon de coiffure naturiste destiné à un public exclusivement gay. Il a réuni les amateurs de nudité et une clientèle LGBTQIA+. « C’est plus facile d’attirer les clients issus de ce milieu, lance-t-il. Je pense qu’il y a une plus grande demande. » Il reçoit en moyenne 20 clients par semaine, dont des touristes étrangers.
Fábio Kawallys (40 ans), artiste visuel, styliste et client de Motta.
VICE : Pourquoi tu préfères t’orienter vers un coiffeur et esthéticien naturiste LGBTQIA+ ?
Fábio : Pour la curiosité d’être nu et de faire des choses simples. Je dirais que la nudité est une expérience corporelle totale.
Dans la vie normale, t’es naturiste ?
Je me suis rendu à quelques plages ainsi qu’à plusieurs soirées.
Ça ressemble à quoi, les conversations dans un salon de coiffure naturiste ?
Les sujets portent davantage sur l’esthétique, la vie nocturne, OnlyFans et l’évolution de la situation des créateurs dans ce domaine. Internet offre une palette de styles, et même pour les personnes nues, il faut être élégant.
Tu coupes les poils pubiens aussi ?
Je me fais couper et tailler le pubis, ouais.
Dans le centre ville de Rio de Janeiro, le coiffeur et masseur Danyel Nacymento (52 ans), naturiste depuis plus de 15 ans, vient de se lancer en tant que coiffeur nu. Propriétaire d’un spa naturiste, il s’est vite rendu compte, malgré l’intérêt de la pratique, que l’activité de massage et les cours restaient bien plus rentables. Pour lui, la nudité c’est quelque chose de naturel. À son domicile, il est toujours nu. Le carioca travaille seul dans un espace qui fait environ 30m², et offre environ 25 services par semaine, en comptant les cours. Bien que les bottes noires qu’il arbore puissent être un raccourci fétichiste pour certains, Nacymento précise qu’il s’agit simplement d’un style vestimentaire.
Carlos Eduardo Santos (43 ans), agent dans une agence de voyage et client de Danyel
VICE : Pourquoi tu préfères aller dans un espace naturiste pour tes soins ?
Carlos : Je m’y sens plus à l’aise.
De quoi vous discutez généralement pendant les massages ?
Un peu de tout et de n’importe quoi. Comme ailleurs. Les sujets sont aussi variés que possible. Y’a pas de règle sur ce qui doit être dit ou fait, et même si tout le monde est nu, les conversations ne sont pas forcément d’ordre sexuel.
T’es souvent nu au quotidien ?
Seulement à la maison ou au spa. J’ai pas eu l’occasion d’aller à la plage naturiste ici, à Rio. Elle est bien trop éloignée d’où je me trouve.
Tu te fais aussi épiler les parties plus intimes ?
Oui, je l’ai fait, mais qu’une seule fois. En général, je le fais moi-même à la maison avec un rasoir ; j’ai jamais utilisé de cire chaude pour la simple raison que j’ai pas beaucoup de poils pubiens.
Dans un pays où le soleil est brûlant presque toute l’année, la nudité peut être perçue non seulement comme une rupture des normes morales, mais aussi comme du confort et l’acceptation de son corps. Sédentaires ou itinérant, LGBTQIA+ ou tout public, le nudisme dans le milieu de l’esthétique au Brésil révèle qu’il existe des espaces pour tous et un public pour tout. Avec une population estimée à 211 millions d’habitant·es, il peut sembler minuscule qu’il n’y ait que quelques espaces comme ceux-là, où les vêtements sont proscris. Mais par rapport au passé, où le concept n’existait pas, ce type d’initiative représente une belle petite avancée. Et puis, l’emploi du temps chargé de ces professionnels montre bien que ce secteur est en plein boom. Les barbiers traditionnels ont peut-être du souci à se faire.
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