Les « involontaires » aux JO disent non au travail gratuit
A quelques jours de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), la lettre de démission – dont un extrait est publié ci-dessous – d’un·e des 45 000 bénévoles recruté·es pour l’organisation de l’événement circule sur les réseaux sociaux. Adressée au Comité des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) de Paris 2024, elle émane d’un·e de ces « involontaires » qui ont répondu à l’appel à candidature, dans le but de mettre en cause politiquement les Jeux.
« Bonjour,
Je vous écris pour vous informer que je n’assurerai pas mes missions de “volontaire”. Je n’ai jamais eu l’intention de réellement participer à ces Jeux olympiques et paralympiques (JOP) et mon cas n’est pas isolé. Ces fausses candidatures ont été pour nous autant de tentatives de contrarier la tenue d’un événement qui n’est populaire que dans votre campagne publicitaire. […] Votre recours massif au travail dissimulé sous couvert de volontariat n’est qu’un des innombrables aspects toxiques que nous dénonçons.
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Alors que la Seine-Saint-Denis – où le taux de chômage est de 10,5 % – supporte la majorité des conséquences néfastes et des épreuves de Paris 2024, vous martelez avec un enthousiasme révoltant que les Jeux reposent sur les bénévoles. Nos expériences en tant qu’infiltré·es dans votre programme nous ont appris, si ce n’est confirmé, qu’en fait de bénévolat il s’agit bien de travail gratuit.
Un travail pour lequel nous avons passé plusieurs étapes de sélection (débouchant pour certain·es sur un refus), qui demande d’avoir ou d’acquérir des compétences particulières et de résister à la pression, qui impose une hiérarchie, des contraintes, le port obligatoire de l’uniforme… […] Le tout au service d’une organisation et de sponsors qui, eux, réaliseront d’indécents profits. »
Involontaires, la contre-campagne de recrutement
Au printemps 2023, en effet, alors que le Cojop lançait sa campagne de recrutement de « volontaires pour Paris 2024 », des collectifs écologistes réunis autour de Saccage 2024 mettaient en place une contre-campagne, une campagne de recrutement d’« involontaires » pour « protester contre les expulsions, la bétonisation, l’exploitation, la gentrification et la montée sécuritaire menée au nom de la fête nationale du sport olympique ».
Plusieurs modalités d’action étaient alors proposées à celles et ceux qui auraient été recruté·es comme bénévoles aux JOP : « ne pas s’y rendre », « y aller pour s’exprimer et montrer le vrai visage des JO », « faire grève en demandant d’être rémunéré·es », « faire la “grève de zèle” », « aller ensemble aux prud’hommes en les attaquant pour travail dissimulé ».
Personne ne sait aujourd’hui combien sont ces involontaires à avoir passé non seulement le filtre du très long processus de recrutement (un test de plus de 45 minutes, des formations en ligne à valider…), mais aussi et surtout à être passé·es à travers les fourches caudines des contrôles administratifs de Paris 2024.
Des volontaires enquêté·es et écarté·es
Déployés après coup, ces contrôles ont conduit le Cojop à refuser en avril et mai derniers leur accréditation à des dizaines de milliers de volontaires déjà recruté·es. Ces dernièr·es, dont les missions avaient déjà été attribuées et les uniformes récupérés, ont en effet reçu une lettre leur indiquant ce message :
« Paris 2024 en sa qualité d’organisateur de l’événement a l’obligation de solliciter, en amont de la délivrance d’une accréditation, un avis conforme de l’autorité administrative compétente rendu à la suite d’une enquête administrative » et qu’« en l’occurrence un avis défavorable a[vait] été émis à [leur] encontre sans que les éléments de motivation ne soient connus de Paris 2024. »
Les récipiendaires de ce courrier apprenaient ainsi, sans plus d’explication, que « la mission acceptée ne [leur] [était] donc plus attribuée » et que leur engagement bénévole aux JOP s’arrêtait là.
Il serait intéressant de savoir sur quels critères, et donc à partir de quelle forme implicite de criminalisation des engagements militants, les décisions ont été rendues
De tels contrôles mériteraient d’être interrogés à plus d’un titre. Si les enquêtes administratives visent traditionnellement « les personnes qui souhaitent travailler dans certains secteurs en rapport avec la sécurité ou la défense ou d’autres missions de l’Etat », on pourrait questionner leur légitimité concernant des personnes à qui les instances d’organisation des Jeux olympiques ne cessent de répéter qu’elles ne travaillent pas.
Il serait par ailleurs intéressant de savoir sur quels critères, et donc à partir de quelle forme implicite de criminalisation des engagements militants, ces décisions ont été rendues. Enfin, le déploiement de ces enquêtes administratives pose également question au regard des forces publiques mobilisées pour les mener.
Ces enquêtes ont-elles vraiment été conduites sur l’ensemble des 45 000 bénévoles recruté·es ? Quel coût supplémentaire pour l’Etat ce recrutement massif de bénévoles représente-t-il alors, en heures de travail de la part des forces de l’ordre et autres services administratifs mobilisés ?
Des mobilisations croissantes contre le travail gratuit
L’histoire nous dira sous peu si les involontaires qui n’ont pas été évincé·es lors de ces contrôles administratifs choisiront d’avoir recours à d’autres répertoires d’action collective que celui de l’exit, qui prend ici, avec l’envoi de cette lettre, la forme d’une véritable démission.
En 2011, alors que le Huffington Post venait d’être vendu pour 315 millions de dollars à AOL, une poignée des 9 000 blogueur·euses non rémunéré·es qui y officiaient alors avait lancé une grève puis un recours collectif contre le journal en ligne. En 2018, des dizaines de milliers de stagiaires s’étaient mis·es en grève au Québec pour demander la rémunération de leurs stages. Ils défilaient dans les rues de Montréal aux cris de « ras-le-bol d’être bénévole ! », « l’exploitation n’est pas une vocation ».
En pleine pandémie, des couturières solidaires avaient mis en cause sur les réseaux sociaux l’industrialisation d’un mouvement bénévole par les entreprises et les pouvoirs publics en vue de produire gratuitement des masques, et menaçaient de recourir à la voie judiciaire pour faire valoir leurs droits.
La mobilisation inédite des involontaires s’inscrit dans la conflictualité croissante qui exprime de plus en plus explicitement un refus de travailler gratuitement pour le capital
Certes, les blogueur·euses non rémunéré·es du Huffington Post, les couturières bénévoles ou les stagiaires québécois·es ont dénoncé après coup l’appropriation capitaliste de leur engagement artistique, solidaire ou éducatif. Dans la campagne des involontaires, la pratique bénévole a d’emblée été investie dans une visée stratégique, avec un objectif d’infiltration.
Mais cette mobilisation inédite s’inscrit bien dans cette conflictualité croissante qui, en différents endroits du monde et différents mondes du travail, exprime de plus en plus explicitement un refus de travailler gratuitement pour le capital.
Et si, comme le soulignait la philosophe Silvia Federici, le « travail gratuit se répand comme une tache d’huile dans le moindre recoin de l’organisation capitaliste du travail », aujourd’hui ce « non » qui lui est opposé pourrait aussi faire tache d’huile par la confrontation de plus en plus de travailleur·euses à cette condition.
N’en déplaise aux enquêtes administratives, on ne naît pas involontaire, on le devient.
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