Ils vous informent un micro à la main dans des zones de conflit, vous racontent une catastrophe naturelle à la radio ou une élection présidentielle dans un article. Eux, ce sont les correspondants, les vrais Tintin du journalisme. Sauf que contrairement à Tintin qui, avouons-le, ne fait pas grand-chose et n’est jamais harcelé par ses rédacteurs en chefs, les correspondants ne vivent pas d’aventures et d’eau fraiche.

Ils sont de plus en plus nombreux à faire le choix de partir à l’étranger. S’envoler vers un autre pays, c’est se mettre en danger dans l’espoir de trouver mieux qu’en France. Alors que les perspectives ne sont pas forcément très réjouissantes pour les journalistes dans l’Hexagone, les correspondants qui réussissent peuvent gravir les échelons beaucoup plus rapidement. Travailler pour de grands médias, faire du terrain, des reportages et ce depuis l’étranger en fait rêver plus d’un.

Mais une fois sur place, le rêve peut vite se transformer en cauchemar. Non-respect du droit du travail, absence de cotisations et de fiches de paie ou encore pressions exercées par les médias pour faire jouer la concurrence… Si tout ne se résume pas à la précarité, le quotidien de correspondant peut vite s’avérer usant.

En France, la loi Cressard permet de protéger les journalistes et garantit même aux pigistes le statut de salarié. Pour les Français qui ne résident pas en France, cette loi ne s’applique malheureusement pas. Dernièrement, de nombreux médias jouent sur le fait que la loi Cressard ne s’applique pas à leurs correspondants pour les licencier sans justification ni indemnité et les payer autrement qu’en salaire. Les deux tiers des correspondants gagnent au mieux le Smic, tous revenus confondus. Alors qu’ils s’attendaient à cette précarité, la plupart se retrouvent à présent en insécurité en matière de droits sociaux, mis sous pression et en compétition.

Par peur de perdre un employeur, il est rare que les langues se délient dans ce milieu qui fait tant rêver. Nous avons pu parler avec ces correspondants qui font notre actualité internationale. Ils nous ont raconté leur quotidien, le bon comme le mauvais. Certains faits comme les noms et les lieux ont été modifiés afin que les correspondants ne soient pas reconnaissables.

Gabrielle, correspondante en Amérique latine

Si Gabrielle est partie à l’étranger, c’est pour enfin faire du reportage et du long format. Tout ce que les rédactions en France ne lui permettaient pas. Déjà bien informée sur les difficultés du métier, la journaliste avait déjà entendu parler, avant son départ, de l’arrêt des cotisations santé dans certaines rédactions. En effet, la radio RFI, pourtant spécialisée dans l’actualité internationale, a suspendu la cotisation santé et retraite de ses journalistes à l’étranger en échange d’une compensation financière. « Je n’ai pas de différence entre le brut et le net, je touche donc mon brut mais je ne cotise plus rien. »

Mais pour cotiser encore faut-il avoir des fiches de paie, ce que Gabrielle ne parvient pas à avoir de la part de RFI. N’ayant pas de coffre-fort virtuel pour stocker les fiches de paie, tout est encore envoyé par courrier et tant pis pour ceux qui habitent dans des pays où il n’y a pas de Poste comme Gabrielle. « Si je bossais dans les bureaux, je pourrais monter au service de paie et embrouiller celui qui s’en occupe mais à distance tu ne peux rien faire. »  

La solution pour beaucoup de correspondants reste donc de cotiser à la CFE (Caisse des Français de l’Étranger). « Je ne passe pas par la CFE car, en plus de payer des sommes folles, on te demande combien tu gagnes par an fixe, ce qui est totalement contraire à la situation de pigiste où tu ne sais jamais d’avance combien tu vas gagner. » Gabrielle arrive à vivre correctement de sa vie de correspondante mais ne supporte pas l’idée de s’asseoir sur les droits du travail, sans parler de la compétition malsaine entre les correspondants, entretenue par les médias. « On essaye toujours de te faire comprendre que ça pourrait être moins cher alors qu’une mission qui coûte 200 euros leur en coûterait 5 000 euros s’il envoyait quelqu’un depuis Paris. Ça crée une compétition entre les pigistes, à celui qui sera le moins cher et le plus corvéable.»

« Quand on me donne de l’argent pour un reportage on me dit que je vais bien m’amuser, comme si on me faisait une fleur »

Parfois, les rédacteurs en chef de Gabrielle lui rappellent la chance qu’elle a de pouvoir être correspondant pour eux : « Quand on me donne de l’argent pour un reportage on me dit que je vais bien m’amuser, comme si on me faisait une fleur. Ça rend dingue quand on te dit c’est ça l’aventure alors que t’es dans une situation de merde et que tu es pigiste. »

Gabrielle sait déjà qu’elle ne sera pas correspondante toute sa vie. Le stress prend de plus en plus le pas sur le plaisir que lui apporte son métier. Qu’elle soit en repos, en train de dormir ou de fêter un anniversaire, son portable est toujours chargé, prêt à sonner et l’envoyer en mission. Lorsqu’elle part en week-end, ce n’est jamais sans son matériel et sans calculer le temps de trajet pour revenir dans la ville où elle est basée « au cas où ». Pour l’instant, elle profite. Jusqu’au jour où elle n’en pourra plus.

Alexandros Kottis, correspondant en Grèce

Installé depuis deux ans et demi en Grèce, Alexandros Kottis est parvenu à gagner la confiance de plusieurs médias qui font régulièrement appel à lui. Ces piges lui permettent de vivre convenablement mais, comme pour la pige en France, cette instabilité lui pèse : « Les revenus d’un mois à l’autre ne sont jamais assurés, même quand tu vas faire un bon mois (plus de 1 000 euros c’est un bon mois) tu ne fais pas trop de folies parce que tu ne sais pas ce qu’il va se passer. »

Alors le correspondant enchaîne les sujets le plus vite possible pour se garantir un salaire décent et rogne parfois sur la qualité pour privilégier la quantité. Dès son arrivée, Alexandros Kottis a remarqué la pression que les médias exerçaient sur les correspondants. Certaines rédactions ont un rapport exclusif avec leurs journalistes à l’étranger mais entretiennent volontairement un flou sur la possibilité pour d’autres de collaborer avec eux. « Ils font jouer la concurrence, mettent la pression sur le titulaire et garde sous le coude quelqu’un d’autre. » Une situation qui amène un climat délétère entre les journalistes qui travaillent dans le même secteur.

« Je pense à peine exagérer en disant que tu es une variable d’ajustement dont on se sert pour remplir les cases vides de temps en temps »

Lorsqu’on est correspondant, le plus dur n’est pas la grosse période de travail que représente une actualité mais plutôt celle qui suit. En dehors des pics d’actualité, Alexandros Kottis passe son temps à relancer des médias dans l’espoir d’obtenir une réponse à ses propositions. « Je pense à peine exagérer en disant que tu es une variable d’ajustement dont on se sert pour remplir les cases vides de temps en temps. »

Pour Alexandros Kottis, ce métier reste une formidable opportunité qui continue à le motiver et l’anime au quotidien. Actuellement, il n’envisage pas d’arrêter la correspondance même s’il se pose régulièrement la question. « Je peux me permettre de continuer car je n’ai aucune responsabilité, pas de famille, pas de prêt et je ne suis pas dans un paysla vie est chère. Mais ne pas pouvoir se projeter c’est forcément chiant et ça empêche d’être serein. »

Ana, correspondante au Moyen-Orient

Installée depuis plus quelques années, Ana tient à garder secret le pays dans lequel elle exerce pour éviter des représailles de la part de ses employeurs. Lors de son départ, Ana était déjà pigiste et connaissait les difficultés du métier. Mais il y a une chose à laquelle elle ne s’attendait pas de la part des médias français : bafouer le droit du travail.

« Tu n’as aucun contrat avec l’AFP, on te fait simplement des virements Western Union ou des règlements directement en cash »

L’AFP (Agence France Presse), l’une des plus grosses agences de presse mondiales, fait partie de ces médias. « Tu n’as aucun contrat avec l’AFP, on te fait simplement des virements Western Union ou des règlements directement en cash. Il n’y a pas de traçabilité. J’ai déjà demandé des fiches de paie, ils ont refusé sans m’expliquer pourquoi. » Cette raison relèverait d’une décision de mettre les correspondants locaux et les Français sur le même pied d’égalité. Ce qui implique une précarité inégalée pour ceux qui reviendront un jour en France sans pouvoir justifier de plusieurs années de travail à l’étranger.

Ana ne déclare aucun de ses revenus de l’AFP et travaille totalement au noir. « Certains médias même s’ils payent en pige françaises ne cotisent ni à l’assurance maladie, ni à la retraite ni au chômage, je n’ai aucune protection sociale. Mais d’autres médias le font encore, ce qui m’empêche de m’enregistrer totalement à l’étranger et de cotiser à une caisse comme la CFE qui est très onéreuse. » La jeune correspondante a baissé depuis longtemps les bras et tente de profiter au maximum de son travail qui la passionne.

Arwa Barkallah, ancienne correspondante en Tunisie et au Sénégal

Arwa Barkallah a découvert abruptement le métier de correspondant en débutant en tant que traductrice en Libye. Une journaliste de France 24 la contacte et lui propose de travailler à ses côtés en tant que traductrice. Une fois sur place, Arwa Barkallah comprend qu’elle n’a aucun statut, aucune assurance, aucune garantie. La journaliste l’héberge mais ne paye pas ses frais et l’empêche de discuter avec d’autres correspondants alors qu’elle cherche à se renseigner. « Elle a fini par me dire qu’elle n’avait pas besoin de moi, je suis rentrée chez moi avec des frais jamais remboursés et elle a coupé les ponts avec moi. Même France 24 n’était pas au courant de ce qu’il s’est passé. »

« Je suis arrivée à un point où je ne prenais que le petit déjeuner, c’était mon seul repas »

Un premier aperçu qui ne l’a pas découragée. À son retour en France, elle décide de partir en Tunisie à son compte. Arwa Barkallah parvient à travailler régulièrement pour différents grands médias, ce qui ne l’empêche pas d’être plus précaire que jamais. « Je suis arrivée à un point où je ne prenais que le petit déjeuner, c’était mon seul repas. » À l’époque, un média lui commande régulièrement des analyses payées 100 dollars pour trois jours de travail. Ce n’est pas rentable mais elle accepte faute de mieux et travaille à perte.

La précarité la pousse finalement à travailler pour un média d’État : Anadolu, l’agence de presse financée par l’État turc. Un choix que font de plus en plus de correspondants selon Arwa Barkallah : « La précarité nous pousse parfois à bosser pour des médias comme Anadolu dans mon cas mais aussi CGTN (chaîne de télévision chinoise d’État), Sputnik ou Russia Today qui se déploient à l’étranger et notamment en Afrique. »

Puis tout change lorsque la BBC la débauche et lui propose de devenir correspondante au Sénégal pour eux. Elle y reste trois ans avant de revenir en France. À son retour, les problèmes s’accumulent : impôts, Sécurité sociale, incapacité à toucher le chômage ou le RSA. Le retour s’avère souvent aussi compliqué que l’arrivée. Si Arwa Barkallah est rentrée en France ce n’est pas pour l’argent. « Au bout d’un certain temps on commence à être usé d’être à l’étranger et comme dirait Orelsan, à la fin tout ce qu’on veut c’est être à la maison », raconte-t-elle en riant. Pourtant, une fois à la maison, tout ce à quoi elle pense c’est déjà repartir, mais cette fois en freelance.

Quentin Ariès, correspondant à Bruxelles

Alors que Quentin Ariès exerce dans un pays voisin au nôtre depuis plusieurs années, il n’a aucun moyen d’obtenir une carte de presse française. La commission de la carte lui demande une résidence fiscale française ou un certain nombre de piges payées en salaire. « Je suis souvent payé en facture et je me suis domiciliée en Belgique. Je travaille pour beaucoup de médias français et pourtant je n’ai pas le droit à une carte de presse. »

Quentin Ariès a donc décidé de faire une demande de carte de presse belge, à défaut d’avoir la française. Le correspondant a la chance de ne pas ressentir de concurrence à Bruxelles qui n’est pas une capitale envahie de pigistes. Sa principale préoccupation demeure les difficultés administratives. Assurance maladie, complémentaire, retraite, tout devient plus compliqué une fois à l’étranger. Un point complètement ignoré des formations en journalisme.

« Certains médias n’hésitent pas à dire “notre correspondant X ou Y” alors qu’il s’agit d’un freelance qui bosse pour plusieurs médias »

En quelques années, Quentin Ariès a vu le métier de correspondant évoluer. Alors que le journaliste correspondant est essentiel à la couverture médiatique internationale, le journaliste s’inquiète de voir disparaître des postes de journalistes permanents au profit de pigistes moins chers et plus corvéables. « Certains médias n’hésitent pas à dire “notre correspondant X ou Y” alors qu’il s’agit d’un freelance qui bosse pour plusieurs médias. Ça leur coûte moins cher. »

Marc, ancien correspondant en Asie

Marc a été correspondant pendant plusieurs années en Asie avant de tout simplement craquer. Après avoir été journaliste pigiste en France, il s’est installé en Asie pour réaliser son rêve : celui de devenir correspondant. Bien que très informé sur le métier avant son départ, Marc a failli y laisser sa vie.

Très rapidement, il découvre la concurrence entre les correspondants. Certains médias pour lesquels travaille Marc jouent littéralement avec eux : « Un gros média m’a promis de me prendre des piges en arrivant, en me racontant qu’ils n’étaient pas satisfaits de leur journaliste titulaire. » Ce journaliste s’est senti en danger lors de l’arrivée de Marc en Asie et s’est plaint au média qu’ils avaient en commun. Pour décourager Marc, ce journaliste le harcèle dans l’espoir de le chasser. Tous les jours et ce pendant plusieurs mois, Marc reçoit des appels et des messages WhatsApp de menace. Puis un jour, tout cesse, sans raison.

Marc se sent fragilisé par cet épisode qui s’ajoute à la précarité et la fatigue. Il vit dans l’angoisse permanente de pouvoir payer ses frais de reportage. Sur son compte bancaire, rien n’est clair. Du fait qu’il travaille pour plusieurs pays différents, l’argent qu’on lui vire n’est pas toujours ce qui est indiqué sur sa facture ou fiche de paie. « On a toujours des commissions sur des devises différentes de notre compte en banque. Sauf que les médias calculent la différence de devise sur Internet, c’est n’importe quoi. »

Le correspondant accepte de travailler à n’importe quelle heure et n’importe quand. « J’ai commencé à faire une dépression. J’avais l’impression qu’il n’y avait plus d’issue, je devais toujours continuer à travailler plus pour pouvoir me rembourser mes frais précédents. Rentrer en France me paraissait insurmontable. » Les rédactions lui font du chantage, lui demandent pourquoi il préfère travailler pour une autre rédaction plutôt qu’eux, lui font comprendre qu’il doit envoyer rapidement son travail sous peine d’être rayé de la liste des pigistes… On refuse même à Marc des codes d’abonnement aux médias pour s’informer.

« J’avais envie de mourir. J’avais l’impression que j’avais ruiné mon rêve, que tout était de ma faute. J’avais trop de dettes et personne à qui en parler »

Alors Marc tente de mettre fin à ses jours. « J’avais envie de mourir. J’avais l’impression que j’avais ruiné mon rêve, que tout était de ma faute. J’avais trop de dettes et personne à qui en parler. » Heureusement, son colocataire rentre plus tôt du travail et le sauve. Peu de temps après, Marc a tout abandonné et est retourné vivre en France auprès de sa soeur. Il a tiré un trait sur le métier de journaliste et se reconstruit petit à petit.

Sara, correspondante au Royaume-Uni

Sara s’est envolée pour le Royaume-Uni un an après la fin de ses études pour « ne surtout pas bâtonner de la dépêche à Paris ». Après quelques mois de galère, elle a créé son petit réseau et pu piger régulièrement pour différents médias. La jeune correspondante savait où elle allait et ce qui l’attendait : « Je n’y suis pas allée pour vivre la grande vie, c’était surtout le moyen de faire du terrain et de continuer le journalisme. »

« Je gagne en moyenne 1 000€ par mois dans le journalisme. je m’en sors parce que je suis auto-entrepreneuse et qu’à côté j’écris pour de la communication »

Sara tient à le dire, elle est plus qu’épanouie dans son travail. Mais la plus grande difficulté qu’elle rencontre reste la précarité, accentuée par le fait d’être à l’étranger. « Je gagne en moyenne 1 000 euros par mois dans le journalisme. Je m’en sors parce que je suis auto-entrepreneuse et qu’à côté j’écris pour de la communication. » Alors qu’elle gagne en moyenne 200 euros brut pour un article qu’elle va mettre deux jours à écrire, la communication lui permet de gagner 300 euros en trois heures. Dur de résister.

Pour être opérationnelle et travailler régulièrement, Sara a dû investir dans un véhicule. « C’est normal d’avoir une voiture mais je me retrouve à finalement payer de ma poche certaines choses qui sont acquises pour les journalistes en France. » Des frais qu’elle ne pourrait pas se permettre de payer en travaillant uniquement dans le journalisme.

Les médias étant réticents à rembourser des frais (hôtel, déplacement, traducteur), les correspondants tentent toujours de réduire les dépenses au point de parfois mettre de côté leur éthique. « L’office de tourisme m’a déjà proposé plusieurs fois de me payer mes voyages. Je ne le fais pas mais je comprends ceux qui le font. On est souvent dans une position de vulnérabilité. »

Romane, correspondante en Europe de l’Est

Guide touristique ou encore prof, Romane fait souvent des petits boulots pour vivre de la correspondance sans trop s’inquiéter du lendemain. Pour la jeune femme qui n’aime pas travailler dans l’urgence ou le copinage, la correspondance lui demande souvent le contraire. « Il y a toujours un correspondant numéro 1 qui est prioritaire qui fonctionne beaucoup au réseautage et au piston. Même si ce ne ne sont pas les meilleurs ils seront toujours favorisés. »

« Les médias font du copinage alors qu’ils devraient s’entourer de ceux qui connaissent le pays et proposent des sujets qui changent »

Un système qui déplaît particulièrement à Romane qui a pris le temps d’apprendre la langue du pays dans lequel elle travaille. On peut alors leur demander de partager des piges avec un nouvel arrivant qui devient numéro 1 sans même connaître le pays. « Les médias font du copinage alors qu’ils devraient s’entourer de ceux qui connaissent le pays et proposent des sujets qui changent. »

Pour ne pas se laisser envahir par le stress, la correspondante s’entoure d’amis qui ne sont pas journalistes. Il s’agit de l’un des rares moyens pour éviter le burn out et la dépression selon elle. « Vu qu’on est tout seul, il faut rencontrer d’autres gens qui ne sont pas dans notre domaine. Ça fait beaucoup de bien. » Romane garde les pieds sur terre et prend beaucoup de recul sur son métier.

En ce moment, ses finances sont au beau fixe mais elle ne sait pour combien de temps encore. Attentive aux offres d’emploi et aux opportunités qui se présentent à elle, la correspondante n’hésitera pas à rentrer en France en tant que journaliste ou se reconvertir vers le professorat dans quelques années.

Geoffroy, correspondant aux États-Unis

Geoffroy est actuellement correspondant permanent, en CDI, pour un média francophone. C’est après un essai de plusieurs mois en tant que correspondant pigiste qu’il a décidé de s’installer aux États-Unis. « Entre-temps, je suis revenu à Paris et je ne trouvais plus du tout goût à faire des piges qui ne me permettaient pas du tout de faire du terrain. »

Geoffroy a rapidement été intégré au monde médiatique américain et contrairement à d’autres pays il a été bien accueilli par ses confrères correspondants. « Tous ceux que j’ai rencontrés ont été vraiment très sympas. Si tu respectes la règle de ne pas aller sur les plates-bandes de tes concurrents, que tu prends sur toi en attendant que ton tour vienne, cela se passe généralement bien. Mais ton tour peut aussi ne jamais venir. »

« Si j’avais su avant de partir à quel point c’était difficile d’être freelance je ne l’aurais pas fait. Mais maintenant je suis satisfait de mon parcours et ça m’a ouvert plein de portes »

Mais malgré tout ce soutien, cette expérience reste dure à vivre pour Geoffroy. « Si j’avais su avant de partir à quel point c’était difficile d’être freelance je ne l’aurais pas fait. Mais maintenant je suis satisfait de mon parcours et ça m’a ouvert plein de portes. » La solitude et la précarité lui pèsent. La vie aux États-Unis étant très chère, Geoffroy angoissait lorsqu’il était pigiste à chaque fin de mois.

« J’ai la chance de venir d’une famille qui pouvait assurer les arrières en cas de difficultés financières mais la boule au ventre était quand même là. » Des médias profitent de cette précarité et payent au lance-pierre. Une radio propose, par exemple, depuis maintenant 10 ans des tarifs indécents aux correspondants : 28 euros le reportage.

Depuis la signature de son CDI, Geoffroy encourage les journalistes à poursuivre dans la voie de la correspondance même s’il ne s’agit pas d’une promenade de santé. « Ce n’est pas impossible mais il n’y a pas d’illusions à se faire, c’est un combat de tous les jours. » Est-ce qu’il compte arrêter ? Il se pose la question toutes les semaines. Même si ce n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant, il garde dans un coin de sa tête l’envie d’un jour peut-être devenir professeur d’histoire nord-américaine.

Charlotte, correspondante en Amérique latine

Pour Charlotte, l’avantage a toujours été d’être dans un paysla vie est moins chère. Elle a toujours gagné suffisamment pour ne pas s’inquiéter à l’idée de payer son loyer ou rentrer en France. La jeune femme travaille sur des reportages fascinants et réalise des interviews qu’elle n’aurait jamais pu faire en France. Mais avec le temps, le verre à moitié plein devient à moitié vide.

Comme pour beaucoup de correspondants, son principal employeur lui a supprimé ses cotisations santé et retraite. Ce n’est que lorsqu’elle a eu un grave problème de santé qu’elle a réalisé l’importance d’être mieux couverte. Alors que son opération coûtait plusieurs milliers d’euros dans le pays dans lequel elle exerce, en France cette même opération n’en coûtait que vingt euros.

« Je me suis fait opérer en France et j’ai compris à ce moment-là qu’il fallait que je sois affiliée à la CFE pour pouvoir me faire rapatrier en cas d’accident grave. » Une affiliation qui lui coûte 816€ par an et qui s’ajoutent à sa mutuelle à 1 116€. Le seul moyen pour elle de se garantir une couverture santé à l’étranger et de ne pas perdre sa cotisation retraite.

À mesure que le temps passe Charlotte se lasse de l’instabilité de la vie de correspondant. L’obligation à couvrir certains événements sous peine de ne plus jamais être appelée par ses rédacteurs en chef et les retards interminables de paiement ont eu raison d’elle. « Tu as souvent plusieurs paiements en attente et tu dois quand même continuer à avancer des frais pour réaliser tes reportages. »

Le retard le plus long auquel elle a dû faire face ? Six mois. Une rédaction l’avait confondu avec une autre pigiste et malgré ses mails quotidiens, le média a pris tout son temps pour la rembourser. Dans les mois à venir, la correspondante compte rentrer en France pour redevenir journaliste dans l’Hexagone. Travailler à l’étranger ne suffit pas à oublier la précarité.

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