Les seniors qui partent plus tard à la retraite prennent-ils les emplois des jeunes ?
Le report de l’âge légal de départ en retraite crée-t-il du chômage chez les jeunes ? Si les départs en retraite sont plus tardifs, le maintien en emploi, voire le recrutement, des 55-64 ans ne risque-t-il pas de compliquer l’entrée sur le marché du travail des moins de 25 ans ? En clair, y’a-t-il un lien entre taux d’emploi des seniors et chômage des jeunes ?
Un rapide coup d’œil aux courbes des taux d’emploi en France de l’une et de l’autre catégorie depuis 40 ans pourrait le laisser penser. Le taux d’emploi des moins de 25 ans chute depuis les années 1980, tandis que le taux d’emploi des 50-64 ans ne fait qu’augmenter sur la même période. Y a-t-il un lien de cause à effet ?
« Il faut se méfier d’un examen comptable des taux d’emploi, prévient Annie Jolivet, économiste et chercheuse au Centre d’études de l’emploi et du travail, mais il est vrai que temporairement, lorsqu’il y a un afflux de jeunes sur le marché du travail alors qu’un certain nombre de postes ne se libèrent pas parmi les 55-64 ans, on peut avoir l’impression qu’il y a un mécanisme de substitution. »
C’est un argument assez simple : si, à un bout de la chaîne, les emplois des 55-64 ans ne sont pas libérés, on ne peut pas faire entrer à l’autre bout de la chaîne les moins de 25 ans. Puisque les postes sont encore occupés.
Mais il faut se méfier des fausses évidences :
« Il y a eu des études très fines, pour essayer de voir s’il y avait substitution ou complémentarité entre emplois des jeunes et emplois des seniors, et elles concluent toutes soit à l’absence d’effet, soit à une complémentarité », poursuit la chercheuse.
Aucun effet négatif du taux d’emploi des seniors sur le chômage des jeunes n’est connu. Des effets positifs en termes de transmission et même d’attractivité des entreprises sont en revanche observés
En d’autres termes, aucun effet négatif du taux d’emploi des seniors sur le chômage des jeunes n’est connu. Des effets positifs en termes de transmission et même d’attractivité des entreprises sont en revanche observés.
On observe également que les pays de l’Union Européenne qui ont les plus hauts taux d’emploi des seniors sont aussi ceux qui ont les taux d’emploi des jeunes les plus élevés, comme le Danemark, l’Autriche ou les Pays-Bas.
Évidemment, corrélation n’est pas causalité et il est impossible d’en déduire que l’un a un impact positif sur l’autre, d’autant que les « taux d’emploi » ne distinguent pas emplois à temps complet et emplois à temps partiel. Mais il apparaît au moins qu’un fort taux d’emploi des seniors n’empêche en rien un fort taux d’emploi des jeunes.
Augmenter le taux d’emploi
Dans une perspective « croissanciste », certains affirment même que l’allongement de la durée du travail est bonne pour la croissance, laquelle permet de créer des emplois, notamment pour les jeunes. Une forme de pensée magique battue en brèche par la réalité : la durée de travail s’allonge depuis 20 ans, pourtant la croissance continue de s’affaisser.
« Devrais-je en déduire une loi ? », écrivait malicieusement l’économiste Jean Gadrey dans un billet de blog du 26 octobre 2010 intitulé « la croissance se porte mieux quand on part plus tôt à la retraite ? », Vu qu’elle se portait mieux à l’époque où l’on travaillait moins longtemps ? Non, évidemment. »
En outre, un plus fort taux d’emploi des seniors aurait des effets positifs sur les finances de « l’ensemble de la protection sociale, pas seulement des retraites », souligne Annie Jolivet. Une hausse de dix points du taux d’emploi des 55-64 ans suffirait même selon une étude de la chaire Transitions démographiques, transition économique, dirigée par l’économiste Jean-Hervé Lorenzi à équilibrer le système d’ici 2032.
Ce dernier, favorable à une réforme des retraites allongeant le temps de travail, insiste dans une note parue en octobre dernier, sur la nécessité de départs plus tardifs en retraite justement du point de vue de « l’harmonie entre générations », afin que les jeunes actifs ne supportent pas seuls la future « explosion des dépenses de protection sociale au profit des personnes âgées » :
« C’est un facteur de confiance renforcée dans le système de retraite, une confiance guère partagée actuellement par les jeunes, écrivent les auteurs de la note, cette confiance renouvelée est un signal majeur pour les jeunes générations et l’avenir du système de retraites. »
Instituts libéraux, chercheurs et syndicats semblent d’accord sur le constat : il est souhaitable d’augmenter le taux d’emploi des 55-64 ans en France, qui n’a a priori pas d’effet négatif sur l’emploi des jeunes et des effets bénéfiques sur les finances du système. Reste à déterminer quels leviers actionner pour y parvenir. Seuls le gouvernement et une partie des Républicains semblent penser que repousser l’âge légal à 65 ans est l’unique voie de sortie.
Laisser un commentaire