Lorsque Jean Louis Périès, le président de la cour d’assises spéciale, demande à l’enquêteur s’il sait où est cette femme. Le témoin répondu sans hésiter : « Je n’ai pas d’informations, je ne peux pas vous dire si elle est vivante ou morte. » Et, il passe à autre chose.
Fatoumata D. est morte en Syrie le 2 novembre 2017 dans une barge qui traversait l’Euphrate dans la région de Deir Ezzor, près de la frontière irakienne. À 23 ans, elle a été tuée avec son fils dans une frappe aérienne. Il s’appelait Louqman, il avait deux ans. Lorsqu’il est né en 2015, son père, Chakib Akrouh était déjà en Irak, prêt à venir semer la terreur en France. Sa mère avait fait le choix de rester au cœur de Daech. Sur l’embarcation ciblée ce jour-là, deux autres veuves noires et leurs quatre enfants. Hadjira B, la compagne de Fouad Mohamed Aggad, et Khadija D, la femme d’Ismaël Mostefai. Leurs époux ont assassiné 90 personnes au Bataclan. Le jour de leur mort, ces femmes djihadistes fuyaient encore une fois.
« J’ai encouragé mon mari à partir pour terroriser le peuple français qui a tant de sang sur les mains (…) J’envie tellement mon mari, j’aurais tellement aimé être avec lui pour sauter aussi » – Kahina E.
En novembre 2017, l’État islamique est en pleine déroute. L’organisation terroriste évacue en urgence ses membres de Abou Kamal, la dernière grande ville syrienne qu’elle contrôle encore à l’époque. Un groupe de femmes françaises et leurs enfants sont exfiltrés. Elles montent toutes dans un minibus. Une fois au bord de l’Euphrate, enveloppées de noir, le visage entièrement caché sous un voile, des sacs remplis de vêtements à la main, les veuves des terroristes du 13 novembre montent dans une barque avec leurs 5 enfants. Une fois de l’autre côté, une première bombe les prend pour cible. Une deuxième pulvérise le véhicule qui devait les transporter ensuite. D’autres françaises sont à quelques mètres d’elles. L’une d’elles, Anissa*, se souvient très bien de cette scène : « On venait à peine de s’installer dans notre barge quand on a entendu un bruit de bombardement. Des hommes nous ont dit de sortir vite du bateau. On a juste eu le temps de se réfugier plus loin et il y a eu un autre gros boum. Au loin, je voyais juste un véhicule en feu. »
Les trois veuves sont mortes sur le coup avec leurs cinq enfants. « Je ne sais pas si elles étaient visées » poursuit Anissa via Whatsapp. « Mais, il est possible qu’il y ait eu une taupe qui savait que ces femmes partaient d’Abou Kamal », ajoute la Française toujours détenue dans un camp au Nord-Est de la Syrie.
Un huis clos pour les veuves de « grands martyrs »
Mossoul, Irak. Septembre 2015. Nous sommes quelques semaines avant les attentats du 13 novembre, plusieurs Françaises sont réunies par Daech dans une très belle maison de la ville millénaire, devenue capitale irakienne de l’organisation terroriste. Elles ont toutes un même point commun : leurs époux ont été envoyés en Europe pour commettre des massacres. Il y a donc les épouses de Fouad Mohamad Aggad, d’Ismaël Mostefai, de Chakib Akrouh mais aussi la très jeune compagne de Samy Amimour. Elle s’appelle Kahina E, elle a tout juste 18 ans. Elle est enceinte de huit mois. À partir de cet instant, ces quatre femmes vont être intégralement prises en charge par les hommes de Daech et coupées des autres membres de l’organisation terroriste.
Le 14 novembre 2015, ces Françaises accèdent au rang de veuves de « grands martyrs », de « combattants » qui ont accompli aux yeux de Daech une importante mission. Une fierté pour elles. Le 16 novembre 2015, Kahina E. écrit un mail à un ancien professeur de son lycée : « J’étais au courant depuis le début », assure la jeune épouse de Samy Amimour, elle poursuit : « j’ai encouragé mon mari à partir pour terroriser le peuple français qui a tant de sang sur les mains (…) J’envie tellement mon mari, j’aurais tellement aimé être avec lui pour sauter aussi. » Un mail glaçant transmis par l’ancien professeur aux services de police.
La jeune femme rompt le pacte scellé avec les autres veuves et se remarie avec un djihadiste tunisien. C’est ce qui lui sauvera la vie
Après les attaques de Paris, les quatre femmes font un pacte : ne pas se remarier et ainsi porter à jamais le deuil. Les visites dans les différentes maisons où elles vont vivre sont très contrôlées. « J’ai pu les voir quelquefois, elles avaient une façon de vivre quasi militaire, et s’interdisaient de pleurer leurs maris. Dans leur maison, ça sentait la javel », nous raconte Samira, une Française qui a vécu plusieurs années au sein de Daech. Lors de notre entretien, la jeune femme se souvient également des mots de la veuve de Ismaël Mostefai lorsqu’elles évoquent ensemble la vidéo de revendication des attentats. À la fin de cet enregistrement, l’homme égorge un civil syrien avec son couteau. Le seul commentaire de Khadija D. sa veuve surprend Samira : « Elle était si fière de dire qu’il jeûnait ce jour-là, et que c’est pour cela qu’il a les lèvres très sèches sur les images. » Pas un mot sur la violence de cette vidéo.
Les veuves sont très protégées, très peu de personnes connaissent leur localisation. Elles sont changées de maisons à plusieurs reprises. « Un immeuble où elles vivaient, a été visé par un missile, mais leur étage n’a pas été touché. Elles ont été immédiatement relogées », se souvient une autre Française qui a croisé leur route. Lorsque les djihadistes sont chassés de Mossoul durant l’été 2017 pour se replier en Syrie, les veuves suivent les hauts dignitaires de l’organisation terroriste et s’installent dans la province syrienne de Deir Ezzor. Une seule femme va finalement quitter ce huis-clos de la terreur : Kahina E, l’ex-épouse de Sami Amimour. La jeune femme rompt le pacte scellé avec les autres veuves et se remarie avec un djihadiste tunisien. C’est ce qui lui sauvera la vie.
Une seule survivante est détenue au Nord Est de la Syrie
Kahina E. est donc aujourd’hui la seule veuve des commandos du 13 novembre encore vivante. Elle a été arrêtée avec la fille de Samy Amimour à la sortie de Baghouz en mars 2019 quelques jours avec la chute territoriale de l’organisation terroriste. La mère et l’enfant ont été d’abord été détenues dans l’immense camp de Al Hol avant d’être transférées dans celui de Roj, plus sécurisé. Selon une note des services de renseignements Français que nous avons pu consulter, Kahina E a reconstitué avec d’autres femmes la police islamique, « la hisba ». Un groupe de femmes toujours fidèles à l’État islamique, qui brûlent notamment les tentes de celles qui osent rompre avec l’organisation terroriste.
Selon nos informations, elle a été arrêtée par les forces kurdes en décembre 2021. Elle est depuis incarcérée. Dans cette prison vétuste à des milliers de kilomètres de la France, Kahina E échappe à la justice française. Selon plusieurs sources, sa haine envers son pays est intacte. Le vendredi 21 janvier, des hommes de Daech ont attaqué une prison où étaient détenus de nombreux djihadistes, plusieurs ont réussi à s’évader. Depuis des partisans de Daech appellent à libérer aussi les femmes et les enfants circulent sur les réseaux sociaux. Selon plusieurs sources, la haine de Kahina.A pour son pays est intacte. Le 15 octobre 2015, elle écrivait déjà dans un mail toujours à son ancien professeur de lycée : « Bientôt, la France et toute la Coalition vont savoir ce qu’est la guerre. Vous nous tuez, on vous tue, l’équation est simple. »
Sa fille de six ans a été confiée à une autre femme détenue dans le camp de Roj. Son grand-père, Azdyne Amimour, père du terroriste, essaie de la ramener en France . Le 10 décembre 2021, il est longuement venu raconter à la cour d’assises spéciale le basculement de son fils dans la violence, ses tentatives pour le sortir de cette idéologie et son incompréhension. A la fin de son témoignage, il confie avoir désormais « une nouvelle quête » : sortir sa petite-fille des griffes de Daech.
*Le prénom a été modifié.
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