Au Myanmar, il existe selon le gouvernement 135 groupes ethniques, qui ont longtemps cohabité plus ou moins pacifiquement ensemble. La grande majorité de la population se revendique bouddhiste, soit environ neuf Birman·es sur dix. Le reste de la population est réparti en différentes minorités plus ou moins importantes selon les régions. Il existe aussi une population musulmane, représentée par les Rohingyas, qui subissent un violent nettoyage ethnique orchestré par le gouvernement. Pendant l’ère coloniale, certain·es Birman·es se sont également converti·es, au christianisme, parfois pour s’assimiler à l’occupant britannique.
Bref, il y a un peu de tout, mais les personnes juives sont donc très (très) peu nombreuses – chose surprenante quand on sait que vers 1930, la communauté était composée d’environ 2 500 personnes, en partie issues de l’immigration irakienne, iranienne ou égyptienne. Ces mouvements ont cessé pendant de la Seconde Guerre mondiale quand les Japonais ont envahi le pays et ont commencé à traquer cette communauté, alors accusée d’espionnage pour le compte de l’Angleterre.
Aujourd’hui, seules 9 personnes de confession juive vivent dans la ville de Rangoun. Toutes les communautés semblent vivre en harmonie. Bouddhistes, hindou·es, musulman·es, chrétien·nes ou encore bahaï interagissent ensemble et se soutiennent. La communauté musulmane est quant à elle particulièrement proche de la communauté juive.
C’est ici que se situe la seule synagogue qu’il reste au pays, et qui joue un rôle central puisqu’elle permet de consolider la notion de communauté, garder espoir et survivre à tous les fracas politiques que connaît le pays depuis des décennies. Sammy en est le gardien. Aidé par ses deux sœurs et suivant les traces de son père, c’est lui qui préserve la cohésion et tente de sauvegarder ce qu’il reste de l’héritage.
En face de la synagogue, Mohammed Rachid passe ses journées assis devant son commerce. Il est l’une des figures de la communauté musulmane de Rangoun. « Je suis ici depuis presque 40 ans et je n’ai jamais eu de problème, dit-il. Cette synagogue c’est vraiment comme ma deuxième maison ».
« Je ne comprenais pas très bien le Judaïsme, mais j’avais un sentiment inexplicable comme quoi je pouvais aimer ça. »
Cette bienveillance va au-delà de la simple courtoisie puisque Mohammed et Sammy participent, au même titre, à la préparation de festivités telles que Hannouka, Purim ou le Ramadan. « J’espère que la communauté juive dans les pays européens trouvera un terrain d’entente avec les autres communautés et qu’ensemble, ils pourront construire une meilleure Europe », remet Sammy.
Dans une rue calme, à quarante minutes du centre-ville de Rangoun, il y a la villa de Christina. À la fois moderne et remplie du charme d’antan, sa maison est annexée à son atelier de travail. Christina est assise à sa table à manger, un verre de vin blanc à la main. Derrière elle se trouve sa cuisine où son employée de maison prépare le dîner. Christina est probablement l’une des seules birmanes issue de famille bouddhiste à s’être convertie au Judaïsme – une conversion assez intrigante sachant que les informations concernant cette religion sont, à l’époque, difficilement trouvables en raison du manque de modernité dans le pays. Le Myanmar ne s’est effectivement doté d’internet que très tard et encore aujourd’hui, tout le monde n’y a pas accès.
Elle a donc dû se renseigner par elle-même, via des ami·es juif·ves et certains livres, suite à quoi elle a eu envie d’aller en Israël. « Jamais je n’aurais pensé m’y rendre un jour, dit-elle. Je ne comprenais pas très bien le Judaïsme, mais j’avais un sentiment inexplicable comme quoi je pouvais aimer ça ». En 1999, elle se lance et se rend finalement en Israël. Elle y reste deux ans et demi, naviguant entre bénévolat et petits boulots : « Au départ je m’y rendais pour les vacances, seulement trois mois, mais j’ai fini par prolonger plusieurs fois mon visa. J’ai commencé à étudier l’hébreu et c’est à ce moment-là que j’ai compris ce qu’était le judaïsme. »
Lorsque la religion, quelle qu’elle soit, ne fait pas partie de votre vie dès votre naissance, il est souvent demandé de l’apprendre sous sa forme la plus forte, voire extrême. « J’ai dû suivre une conversion sous la forme orthodoxe, ce qui est vraiment strict, continue Christina. J’ai dû étudier la bible hébraïque, apprendre toutes les règles, comme la façon dont la femme doit se couvrir les cheveux. Pendant deux ans, j’ai dû rester dans une famille religieuse. Comme j’étais jeune à l’époque, je suivais la foi, mais je devais presque prouver que je voulais vraiment devenir juive et que j’y croyais vraiment. »
« On espère que ce régime militaire prendra bientôt fin et qu’on pourra restaurer la démocratie. »
Sans surprise, elle n’a jamais réussi sa conversion officielle auprès du Grand Rabbin : « Je suis passée peut-être huit fois devant lui avant d’abandonner. C’était toujours la même chose : “Tu veux devenir juive parce que ton compagnon est juif ? Tu veux te marier ? Tu veux devenir citoyenne d’Israël ?”. Non, je crois simplement en la foi juive… »
Très vite, Christina rentre chez elle et rejoint la communauté juive de son pays dont elle fait désormais partie intégrante. Elle la décrit d’ailleurs comme une sorte de société et non comme un groupe purement religieux. Au-delà de la religion, plusieurs questions restent cependant en suspens : comment sa conversion a été acceptée par sa famille et son entourage, par exemple ? « Mon père était cool avec ça, mais certains de mes ami·es proches ne le comprennent pas, confie Christina. J’ai grandi dans une communauté bouddhiste donc c’est compliqué pour mes proches de comprendre la raison de ma conversion. D’ailleurs ils ne savent pas vraiment ce qu’est le Judaïsme. »
« La situation de la communauté n’a pas beaucoup changé mais comme tu le sais, avec le Covid et le coup d’État, tout est différent pour le Myanmar dans son ensemble. », m’écrit Sammy quand je lui demande de ses nouvelles. Les deux événements ont poussé une partie de la communauté juive constituée d’expats à quitter le territoire, mais la famille Samuels a toujours eu les outils nécessaires pour faire évoluer et ré-instaurer toutes les traditions perdues au cours des années. « On espère que ce régime militaire prendra bientôt fin et qu’on pourra restaurer la démocratie. »
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