l’Opposition Syrienne a Déstabilisé le Régime Assad

Pourquoi la dynamique du conflit syrien évolue-t-elle ?

La récente offensive des forces d’opposition en Syrie a pris de court le régime de Bashar al-Assad, permettant aux rebelles de s’emparer d’une grande partie de la ville d’Aleppo, avant de se diriger vers Hama, un autre centre urbain majeur. Malgré les promesses de soutien renforcé de la part des gouvernements russes et iraniens, les avancées des rebelles continuent, marquant une nouvelle phase dans un soulèvement qui semblait endormi. Cette situation soulève des questions cruciales sur les raisons de ce revirement, notamment l’impact des sanctions américaines sur la Syrie et l’implication de la Russie et de l’Iran dans d’autres conflits.

Le conflit syrien, qui a débuté en 2011, s’est rapidement transformé en une guerre par procuration, provoquant des centaines de milliers de morts et des millions de réfugiés. Le soutien de la Russie et de l’Iran a permis de stabiliser le régime d’Assad, malgré les atrocités commises, y compris l’utilisation d’armes chimiques. Pendant ce temps, les autocraties sunnites de la région ont apporté leur soutien à divers groupes rebelles, allant des nationalistes laïcs aux islamistes radicaux. L’État islamique (ISIS), le plus violent d’entre eux, avait conquis des territoires tant en Irak qu’en Syrie, mais une coalition dirigée par les États-Unis a réussi à le réduire considérablement en 2019, donnant l’impression que le régime d’Assad avait remporté la guerre. Cependant, l’engagement des alliés d’Assad dans d’autres conflits a ouvert la voie à des avancées audacieuses des groupes rebelles.

Pour mieux comprendre cette situation, j’ai interviewé Fawaz A. Gerges, professeur de relations internationales à la London School of Economics et auteur de plusieurs livres, dont “ISIS: A History”. Au cours de notre échange, nous avons abordé les raisons de la diminution du régime d’Assad et de la persistance de l’opposition islamiste, tout en examinant les responsabilités qui incombent à la catastrophe humanitaire en Syrie.

Les récents événements en Syrie ont surpris de nombreuses personnes. Était-ce aussi le cas pour ceux qui suivent la région de près ?

J’ai été surpris par la rapidité avec laquelle l’opposition islamiste et nationaliste a réussi à reprendre de larges pans du nord-ouest de la Syrie, dont Aleppo, la deuxième plus grande ville du pays. La reprise d’Aleppo par le régime en 2016 avait marqué un tournant dans le conflit. Cette offensive représente un véritable tremblement de terre militaire, notamment en raison de la capacité de l’opposition à mener une attaque préventive, suggérant qu’elle avait planifié cette opération pendant plusieurs années. La rapidité avec laquelle les unités de l’armée syrienne se sont effondrées révèle de profondes vulnérabilités au sein du régime d’Assad.

Pourriez-vous expliquer la distinction entre l’opposition islamiste et nationaliste ?

L’opposition comprend plusieurs factions, tant islamistes que nationalistes. Les groupes islamistes, dirigés par Hay’at Tahrir al-Sham (H.T.S.), sont devenus les principaux acteurs de l’opposition. H.T.S. a tenté de se distancier d’Al-Qaïda, avec laquelle elle était historiquement associée. Bien que H.T.S. ait changé de nom pour projeter une image plus modérée, elle reste une organisation salafiste-jihadiste, désignée comme groupe terroriste par les États-Unis et le Royaume-Uni.

Les groupes nationalistes, quant à eux, prônent une approche plus pluraliste et ouverte, mais ils n’ont pas réussi à gagner en force, principalement en raison de leur dépendance vis-à-vis de puissances extérieures, y compris les États-Unis. Néanmoins, l’opposition n’aurait pas pu réaliser ses avancées récentes sans la force et l’organisation de H.T.S., qui joue un rôle prépondérant dans les gains militaires.

Comment ces groupes ont-ils profité de la destruction d’ISIS ?

Pour comprendre la dynamique de l’opposition syrienne, il est crucial de prendre en compte le conflit interne entre ISIS et Al-Nusra Front, qui a duré de 2013 à 2019. La coalition dirigée par les États-Unis a inversé la tendance, permettant à H.T.S. de devenir le groupe dominant. Bien que les États-Unis aient ciblé ISIS, ils ont évité de s’en prendre à H.T.S., favorisant ainsi son ascension.

Pourquoi les États-Unis n’ont-ils pas agi contre H.T.S. ?

Les États-Unis ont délibérément évité de cibler H.T.S. pour créer une fracture entre Al-Nusra et ISIS, se concentrant sur ce dernier, qui représentait une menace plus directe pour leurs intérêts. Le soutien financier et militaire de la Turquie et du Qatar à H.T.S. a également influencé cette décision stratégique.

La faiblesse militaire du régime d’Assad est-elle due à l’engagement de ses alliés ailleurs ?

Bien que cela soit partiellement vrai, il est également essentiel de considérer l’impact des sanctions américaines sur l’économie syrienne. Environ 80 à 90 % de la population a besoin d’aide humanitaire, et l’armée syrienne souffre de pénuries alimentaires. Les attaques israéliennes ont également affaibli le moral et l’efficacité des forces syriennes, qui ont perdu environ 100 000 soldats depuis le début du conflit.

Quelle est la situation actuelle de l’État syrien ?

Le conflit syrien n’a jamais vraiment pris fin. Bien que le régime d’Assad contrôle environ 60 % du territoire, le pays est devenu un terrain de jeu pour des acteurs non étatiques, des puissances régionales et mondiales. Les forces kurdes, soutenues par les États-Unis, et les factions opposées, soutenues par la Turquie, s’affrontent également. La situation actuelle pourrait marquer un retour à une guerre par procuration qui a ravagé la Syrie de 2011 à 2020.

Assad est-il responsable de cette catastrophe ?

Il est indéniable qu’Assad porte une grande part de responsabilité pour la crise en Syrie. Ses actions ont conduit à la militarisation de l’opposition pacifique, déclenchant ainsi un conflit dévastateur. Le régime a systématiquement saboté toute initiative de paix, convaincu d’avoir remporté la guerre. La responsabilité d’Assad dans les souffrances infligées au peuple syrien est incontestable.

Les récents développements sont-ils une source d’espoir ou de crainte ?

Bien que les avancées des rebelles puissent sembler encourageantes, elles risquent de raviver davantage de guerre et de souffrance pour le peuple syrien. La région n’a pas besoin d’un autre théâtre de guerre, et les enjeux sont plus élevés que jamais. La dynamique actuelle pourrait plonger la Syrie dans une nouvelle spirale de violence.