Lycée professionnel : une réforme qui sème la confusion
Des réformes d’ampleur, c’est la troisième que les enseignants de lycée professionnel voient passer en dix ans. Mais cette fois-ci, les mesures annoncées par l’exécutif les affolent.
Le ton a été donné par le président de la République le 4 mai, au cours d’un déplacement au lycée technologique et professionnel Bernard-Palissy de Saintes (Charente-Maritime) : ce qu’il veut faire n’est « pas simplement une réforme », mais constitue « une cause nationale », avait-il asséné. Depuis, le gouvernement insiste sur les difficultés récurrentes que connaîtrait cette voie, qui rassemble plus de 600 000 élèves, soit un tiers des lycéens : manque d’attractivité, décrochage scolaire, insertion difficile sur le marché du travail…
Pour tenter d’y remédier, le chef de l’Etat veut faire évoluer les cartes des formations professionnelles « au niveau de chaque territoire ». Certaines fermeront, et d’autres ouvriront, en fonction des besoins économiques des régions, sous l’égide du rectorat. Objectif : orienter les jeunes vers les métiers en tension (métiers du bâtiment, techniciens mécaniques, restauration, couvreurs, électriciens, aides à domicile…) et les secteurs en devenir tels que le numérique et la transition énergétique, mais aussi le nucléaire. Celles ne permettant pas de trouver rapidement un emploi ou de poursuivre des études supérieures fermeront d’ici à 2026.
Des objectifs qui laissent sceptiques Vincent Troger, historien, spécialiste de l’enseignement professionnel :
« Croire que l’on peut atteindre 100 % d’insertion est un leurre. La majorité des élèves ne souhaitent en réalité pas être insérés dès leur bac professionnel en poche puisqu’ils souhaitent poursuivre avec des études supérieures et notamment en faisant un BTS. D’une manière générale, la jeunesse cultive l’idée qu’il faut chercher son chemin, se former de nouveau plus tard étant donné qu’on leur répète à longueur de journée qu’ils ne feront pas le même métier toute leur vie ».
Selon les chiffres les plus récents de la Depp, le service statistique du ministère de l’Education nationale, 55 % des élèves de terminale en lycée professionnel poursuivent leurs études l’année suivante, et 37 % ont un emploi salarié six mois après leur sortie. Les lycéens ont tout intérêt à poursuivre leurs études puisque 55 % de ceux qui ont obtenu un BTS trouvent un travail six mois après l’obtention de leur diplôme.
« Plan social de la voie pro »
Parmi les formations professionnelles permettant de trouver rapidement un emploi figurent celle des transports, manutentions, magasinage (50 %), puis celle des métiers des technologies industrielles (49 %).
Des questions logistiques se posent également. « Si un lycéen de 15 ans suit une formation en électricité, et que ses parents déménagent en cours d’année dans une région où il n’y en a pas, que devient-il ? » s’interroge ainsi Vincent Magne, représentant de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG).
Dans un exercice laborieux de communication, le gouvernement a d’abord annoncé la fermeture de 80 filières dès la rentrée prochaine, avant de rectifier le tir : celle-ci s’étalera finalement jusqu’à 2026. Mais cela n’a pas suffi pour rassurer les angoisses des enseignants.
« Je n’en dors plus la nuit, confie Michaël, professeur contractuel d’éco-gestion en Gironde. J’ai deux enfants en bas âge, des factures à payer… Avec autant de classes qui vont fermer, cette réforme, c’est le plan social de la voie professionnelle ».
« Il s’agit d’un plan de reconversion forcée » – Sigrid Gérardin
Le ministère de l’Education nationale rétorque qu’ils pourront exercer en primaire ou collège. Mais cela ne rassure guère les intéressés :
« Je serai bien incapable d’aller enseigner en école primaire, s’inquiète Elodie, professeure de lettres et histoire dans un lycée de Seine-Saint-Denis. C’est un autre métier, je n’ai pas été formée à l’apprentissage de la lecture ou de l’écriture ! ».
« Il s’agit d’un plan de reconversion forcée » dénonce de son côté Sigrid Gérardin, cosecrétaire générale du Snuep-FSU.
L’industrie attire moins
Parmi les filières vouées à disparaître avec la réforme : les formations dites Agora (assistance à la gestion des organisations et de leurs activités), ainsi que celles du commerce et de la vente. Autrement dit, des filières orientant vers le secteur tertiaire, avec des débouchés limités, mais qui sont parmi les plus plébiscitées par les élèves.
« Les élèves associent le monde de l’industrie à quelque chose de répulsif, souligne Fabienne Maillard, sociologue spécialiste du lycée professionnel et professeure en sciences de l’éducation à l’université Paris-VIII. Ils n’y voient aucun avenir puisqu’ils l’associent au taylorisme et aux plans sociaux qui frappent sans arrêt le secteur, encore aujourd’hui ».
Et si les formations tertiaires se sont autant multipliées c’est aussi parce qu’elles coûtent moins cher, avance la sociologue : « La formation industrielle est onéreuse, il faut des ateliers, de la matière d’œuvre, des équipements… »
Le gouvernement justifie la fermeture de cette filière dans plusieurs régions par ces chiffres : six mois après être sortis d’une formation Agora (gestion-administration), à peine 12 % des bacheliers professionnels trouvent un emploi.
« Il faut prendre ces données avec précaution, en réalité ce secteur recrute essentiellement après l’obtention d’un BTS ou d’une licence professionnelle », nuance Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa-FO (le syndicat majoritaire chez les professeurs de lycées professionnels). Or 62 % de ces lycéens poursuivent leurs études. Au niveau BTS, les formations en commerce et vente aboutissent par exemple à « une meilleure insertion que la moyenne, avec plus d’un jeune sortant sur deux (58 %) en emploi salarié six mois après la sortie d’études » indique la Depp.
Réorganisation des épreuves
Globalement, la voie professionnelle étant déjà subie pour beaucoup d’élèves, les enseignants craignent qu’en fermant des filières qui les intéressent cette réforme n’aillent pas dans le bon sens, particulièrement en matière d’égalité des genres.
« Fermer les filières services va impacter directement les filles majoritaires dans ces classes, insiste Fabienne Maillard. Je suppose que l’idée est de les orienter vers les services aux personnes, et plus précisément celui aux personnes âgées où l’on a du mal à recruter. Mais il faut être réaliste, ce n’est pas ce qui attire les jeunes filles de 15 ans inscrites dans les cursus services ou en CAP petite enfance qui espèrent davantage travailler en crèche. Je ne suis pas sûre non plus que des familles aient envie de confier leurs proches à des jeunes bacheliers de 18-19 ans. »
Ces fermetures de filières, qui menacent aussi bien les enseignements professionnels que généraux, doivent s’accompagner d’une réorganisation des épreuves de terminale, qui se dérouleraient en mars, même si le calendrier est encore flou à ce stade. « De facto nous aurons moins d’heures de cours sur l’année pour boucler les programmes » craint Vincent Magne.
Depuis 2019, un élève sortant du baccalauréat professionnel n’a eu que 1h15 de français par semaine
La baisse progressive du nombre d’heures d’enseignement général est d’ailleurs décriée par les enseignants depuis plusieurs années qui ont le sentiment de ne plus pouvoir offrir des enseignements de qualité.
Créé en 1985, le baccalauréat professionnel n’a cessé d’être réformé. Celle de 2009, menée sans détour par Luc Châtel, avait déjà fait passer de quatre à trois ans la durée des enseignements. En 2018-19, Jean-Michel Blanquer avait à nouveau allégé les volumes horaires des enseignements généraux (maths, français, langue vivante), une partie de ces cours était depuis réalisée en « co-intervention » avec des enseignants des matières professionnelles. Depuis, un élève sortant du baccalauréat professionnel n’a eu que 1h15 de français par semaine. Pour un élève de CAP c’est à peine 45 minutes.
Plus de poids pour les entreprises
Autre motif d’inquiétude des enseignants : l’entrée des entreprises directement au sein des établissements. Le ministère de l’Education a ainsi annoncé la création d’un bureau des entreprises au sein de chaque lycée « dédié aux partenariats et à la mise en synergie des acteurs » pour « renforcer les interactions qu’entretient l’établissement avec ses partenaires professionnels ».
Dans un communiqué publié le 25 mai, le Snetaa-FO déplore l’appel publié pour y recruter des « chefs de bureau » exclusivement issus des entreprises. Et s’inquiète de l’avenir réservé au DDFPT, ces professeurs spécialistes d’ores et déjà dédiés à cette question.
Pour attirer les élèves via un modèle plus « souple », l’exécutif prévoit d’augmenter la durée des stages de 50 % pour les élèves souhaitant directement chercher du travail une fois les épreuves du baccalauréat passées. Celles et ceux qui souhaitent au contraire poursuivre vers un BTS auront quatre semaines de cours supplémentaires.
Toutes les périodes de stages seront désormais rémunérées dès la rentrée prochaine. Financée par l’Etat, la gratification sera de 50 euros par semaine de stage en seconde et en première année de CAP, puis de 75 euros pour les élèves de première et en deuxième année de CAP. En terminale, celle-ci s’élèvera à 100 euros par semaine. Une offre censée attirer ces élèves majoritairement issus de classes populaires.
Seulement, dans plusieurs domaines, les lycéens ont bien du mal à trouver des stages. Entre les élèves de licence, de BTS, et les apprentis… Les places sont de plus en plus chères. D’autant que l’âge moyen des lycéens professionnels a diminué en même temps que le redoublement s’est raréfié. En 2021, 68 % d’entre eux étaient âgés de 15 ans ou moins en classe de seconde contre 25 % en 2005, d’après la Depp.
« Si le but est de former des jeunes qui durent sur le marché du travail alors cette réforme va totalement à contresens, conclut la sociologue Fabienne Maillard. Par contre, si l’objectif est de créer des travailleurs précaires locaux, peu qualifiés, imposer des orientations dans lesquelles les jeunes ne souhaitent pas aller alors c’est réussi.»
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