Macron sur les caricatures: la France ne « va pas changer » son droit « parce qu’il choque ailleurs »
Regrettant la relative timidité du soutien international après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty ou après l’attaque à la basilique Notre-Dame de Nice, le chef de l’État a assuré que la France n’allait pas “changer” son droit sur la liberté d’expression “parce qu’il choque ailleurs”.
“Beaucoup de condoléances ont été pudiques”
“Il y a cinq ans, quand on a tué ceux qui faisaient des caricatures (dans les locaux de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, ndlr), le monde entier défilait à Paris et défendait ces droits”, explique-t-il au Grand Continent. “Là, nous avons eu un professeur égorgé, plusieurs personnes égorgées. Beaucoup de condoléances ont été pudiques”, souligne-t-il, en faisant référence à la mort du professeur Samuel Paty le 16 octobre et de trois personnes 15 jours plus tard à Nice.
“On a eu, de manière structurée, des dirigeants politiques et religieux d’une partie du monde musulman – qui a toutefois intimidé l’autre, je suis obligé de le reconnaître – disant: ‘ils n’ont qu’à changer leur droit’. Ceci me choque (…) Je suis pour le respect des cultures, des civilisations, mais je ne vais pas changer mon droit parce qu’il choque ailleurs”.
Il fait référence aux appels à manifester contre la France et lui-même lancés dans plusieurs pays musulmans après ses propos défendant le droit à la caricature prononcés au cours de l’hommage national à Samuel Paty.
Pour Emmanuel Macron, “c’est précisément parce que la haine est interdite dans nos valeurs européennes, que la dignité de la personne humaine prévaut sur le reste, que je peux vous choquer, parce que vous pouvez me choquer en retour. Nous pouvons en débattre et nous disputer parce que nous n’en viendrons jamais aux mains puisque c’est interdit et que la dignité humaine est supérieure à tout”.
Mais “nous sommes en train d’accepter que des dirigeants, des chefs religieux, mettent un système d’équivalence entre ce qui choque et une représentation, et la mort d’un homme et le fait terroriste – ils l’ont fait –, et que nous soyons suffisamment intimidés pour ne pas oser condamner cela”, poursuit-il.
“Nos libertés sont en train de basculer”
“Ne nous laissons pas enfermer dans le camp de ceux qui ne respecteraient pas les différences. C’est un faux procès et une manipulation de l’Histoire”, réagit Emmanuel Macron. De ce fait, “le combat de notre génération en Europe, ce sera un combat pour nos libertés. Parce qu’elles sont en train de basculer”, avertit-il dans ce long entretien accordé à la revue éditée par le Groupe d’études géopolitiques, une association indépendante domiciliée à l’École normale supérieure (ENS).
Le président s’est également plaint auprès du The New York Times de la couverture par plusieurs médias de langue anglaise des récents attentats jihadistes en France, les accusant de “légitimer” la violence de par leur incompréhension du contexte français.
“Et quand je vois, dans ce contexte, de nombreux journaux qui je pense viennent de pays qui partagent nos valeurs, qui écrivent dans un pays qui est l’enfant naturel des Lumières et de la Révolution française, et qui légitiment ces violences, qui disent que le cœur du problème, c’est que la France est raciste et islamophobe, je dis: les fondamentaux sont perdus”, ajoute le président français.
Dans le même article, le journaliste du New York Times Ben Smith écrit qu’Emmanuel Macron accuse les médias anglophones, et américains en particulier, de chercher ”à imposer leurs propres valeurs à une société différente”. Il leur reproche, toujours selon Ben Smith, de ne pas comprendre “la laïcité à la française – une séparation active de l’Église et de l’État qui date du début du XXe siècle”.
La France a subi ces dernières semaines trois attentats jihadistes: une attaque fin septembre à l’arme blanche qui a fait deux blessés près des anciens locaux de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, la décapitation le 16 octobre du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty qui avait travaillé avec ses élèves sur les caricatures du prophène Mahomet publiées par Charlie Hebdo, et une attaque au couteau qui a fait trois morts fin octobre dans une basilique de Nice (sud-est).
Après l’assassinat de Samuel Paty, Emmanuel Macron avait exprimé son soutien à la liberté de caricaturer et son gouvernement avait lancé une série de procédures judiciaires et administratives contre des associations musulmanes françaises soupçonnées de complaisance avec l’islamisme radical. À la suite de quoi, le président turc Recep Tayyip Erdogan l’avait accusé de défendre le blasphème contre l’Islam, et avait appelé ses concitoyens à boycotter les produits français.
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