Dans ce livre, le dessinateur Art Spiegelman raconte les souvenirs bouleversants de son père rescapé de la Shoah, dans lesquels les juifs sont représentés par des souris, les nazis par des chats. Récompensé par un prix Pulitzer en 1992, une première pour une bande dessinée, Maus a été traduit dans plus de 20 langues.
Mais il n’a visiblement pas été jugé assez bien pour l’éducation d’élèves dans le Tennessee. Son contenu est “vulgaire et inapproprié” pour des collégiens de 13 ans, a estimé le conseil d’école du comté de McMinn, qui a voté le 10 janvier pour le retirer du programme en attendant de trouver un autre livre sur l’Holocauste. Selon le compte-rendu de la réunion, huit mots vulgaires et une image de femme nue étaient concernés.
Une décision “orwellienne” pour Spiegelman
Art Spiegelman s’est dit “consterné par la décision de retirer son roman graphique des programmes”, jugeant qu’il s’agissait d’une décision “orwellienne” et soulignant :J’ai connu tellement de jeunes qui ont appris des choses grâce à ce livre.”
Interrogé jeudi par la chaîne CNN, Art Spiegelman a dit avoir été plongé dans une “confusion totale” avant d’“essayer d’être tolérant avec ces gens qui pourraient ne pas être des nazis” mais “qui se sont concentrés sur quelques mots grossiers”.
Le musée de l’Holocauste de la capitale Washington a pourtant souligné sur Twitter que Maus jouait “un rôle vital” pour l’enseignement de la Shoah “en partageant des expériences détaillées et personnelles des victimes et des survivants”.
1/ Maus has played a vital role in educating about the Holocaust through sharing detailed and personal experiences of victims and survivors. On the eve of International #HolocaustRemembranceDay, it is more important than ever for students to learn this history.
— US Holocaust Museum (@HolocaustMuseum) January 27, 2022
Face à la polémique, le conseil d’école a justifié le retrait en jugeant le livre “pas approprié pour être étudié par nos élèves” à cause de son “utilisation inutile de propos grossiers et de nudité, et sa description de violences et de suicides”.
Le conseil a assuré ne pas minimiser la valeur pédagogique de Maus, ni contester l’importance d’enseigner “les leçons historiques et morales ainsi que les réalités de l’Holocauste”.“Nous avons le devoir de nous assurer que les jeunes générations apprennent de ces horreurs pour faire en sorte qu’un événement de cette nature ne se répète jamais”, ont ajouté ses membres dans un communiqué.
Disgusting. Maus is an incredible piece of work that depicts a horrific moment in human history. It’s not supposed to be comfortable or safe. It’s meant to create discomfort—to be jarring. You don’t censor, you equip the students with the tools to process.https://t.co/w0t39MFDAx
— Robert Michael Murray ? (@rmmageddon) January 28, 2022
“Répugnant. Maus est une œuvre incroyable qui dépeint un moment horrible de l’histoire humaine. Ce n’est pas censé être confortable ou sûr. C’est censé créer de l’inconfort, être discordant. Vous ne censurez pas, vous dotez les étudiants des outils nécessaires pour réfléchir”.
Maus is one of—if not the—greatest works of graphic storytelling ever. It is horrifying and beautiful, bombastic and subtle, universal and yet incredibly personal. It should be read and it should be taught. pic.twitter.com/I79cDHKBX8
— Tom King (@TomKingTK) January 27, 2022
“Maus est l’une des plus grandes œuvres de narration graphique de tous les temps, sinon la plus grande. C’est horrifiant et beau, ampoulé et subtil, universel et pourtant incroyablement personnel. Il faut le lire et l’enseigner”.
Une décision “honteuse”
“Étant donné le manque prononcé de connaissance de l’Holocauste aux États-Unis, particulièrement chez les jeunes Américains, la décision (du conseil scolaire de McMinn, ndlr) dépasse l’entendement”, a réagi dans un communiqué à l’AFP David Harris, le directeur général de l’American Jewish Committee (AJC), l’une des plus anciennes organisations américaines de défense de la cause juive.
The @McMinnTN school board’s decision to ban “Maus,” a novel about the Shoah, just days before #HolocaustRemembranceDay is shameful.
It’s our collective responsibility to convey the lessons of the Holocaust to future generations. The board must reverse its decision immediately. https://t.co/HlnJKEianv
— American Jewish Committee (@AJCGlobal) January 27, 2022
“La décision de la commission scolaire d’interdire Maus, un roman sur la Shoah, quelques jours avant la journée de commémoration de l’Holocauste est honteuse. Il est de notre responsabilité collective de transmettre les leçons de l’Holocauste aux générations futures. Le conseil doit immédiatement revenir sur sa décision”.
Le livre “explique ce qui est arrivé à des millions de Juifs européens aux mains du régime génocidaire de l’Allemagne nazie”, a-t-il ajouté, alors que se tenait jeudi le 77e anniversaire de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, où étaient internés les parents d’Art Spiegelman. Cette date est depuis devenue la Journée de commémoration de l’Holocauste.
Remise en question de l’enseignement aux États-Unis
Le retrait de Maus intervient dans un contexte de remise en question de l’enseignement dans les États américains conservateurs, qui s’attaquent aux livres traitant de sujets allant du racisme à l’identité de genre.
Selon leurs détracteurs, ces œuvres incitent notamment les enfants blancs à se voir comme des oppresseurs des minorités. Ces militants conservateurs dénoncent la “théorie critique de la race”, un courant de pensée qui analyse le racisme comme un système, avec ses lois et ses logiques de pouvoir, plutôt qu’au niveau des préjugés individuels.
Certains États, comme la Floride ou le Wisconsin, ont ainsi introduit des textes de loi interdisant aux écoles d’enseigner qu’un individu, peu importe “sa couleur de peau, son sexe ou son origine”, soit “par nature raciste, sexiste ou oppresseur, consciemment ou inconsciemment”.
Un autre classique de la littérature, le roman Beloved de l’Afro-Américaine Toni Morrison, a lui aussi récemment fait l’objet d’une polémique. Une mère d’élève de Virginie (sud) a affirmé que son fils lycéen avait fait des cauchemars après avoir lu le livre, qui raconte l’histoire d’une ancienne esclave choisissant de tuer son enfant pour éviter qu’il ne subisse les atrocités de l’esclavage.
Mais ces assauts contre des oeuvres culturelles ne sont pas l’apanage des conservateurs. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee ou Les Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain, monuments des lettres américaines, ont été retirés des listes de lecture obligatoires par plusieurs conseils d’école ces dernières années car jugés insultants pour les Afro-Américains.
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