Mon cher Liban, je vis loin de toi mais tes drames sont les miens
Née loin de toi, préservée de tes horreurs, au départ je ne savais même pas vraiment que tu faisais partie de moi. Et pour tout te dire, au départ, je ne le souhaitais pas vraiment. Je voulais être française “tout court”, ne pas être différente, ne pas être associée à autre chose que ma France. Je voulais grandir sans toi. Sans origine. Sans passé et sans passif.
De toi au départ je n’avais que la vision sombre, celle de la guerre et des drames qu’elle engendre. Je voyais durant mon enfance mes parents suivre les événements sanglants à la télévision, attendre des nouvelles de la famille restée là-bas, parler quand cela était possible, aux uns et aux autres la peur au ventre. J’entendais les histoires de la guerre… celles qu’on chuchotait tout bas et celles qu’on taisait, les atrocités et les miracles… tout cela a baigné mon enfance de loin. Dans l’imaginaire. La transmission positive de tes richesses m’a été donnée fort heureusement par le goût de ta cuisine et par l’amour des tiens. J’ai commencé à t’aimer et à te connaître de loin.
Et puis il y a eu les voyages au Liban. Dans un pays qui sortait d’une guerre sanglante où tout était à reconstruire. Il y a eu les retrouvailles joyeuses et les séparations douloureuses. Les manques au quotidien. Mes questionnements. L’apprentissage forcé de l’arabe a l’âge de 10 ans qui n’a jamais vraiment porté ses fruits. Et le retour final des parents au pays après moult hésitations. J’avais 11 ans. À part Paris rien n’était mon pays. Il a fallu t’apprivoiser mon cher Liban. Grâce à des parents formidables qui voulaient rentrer et reconstruire, qui ne voulaient ne voir que le beau et toujours positiver, j’ai appris à t’aimer. J’ai appris à t’intégrer et à te voir réellement. Toi et toutes tes richesses. J’ai eu la chance de passer quelques années en ton sein aux côtés d’une famille agrandie et complète, en ayant la joie de me faire des amis pour la vie, en découvrant la beauté de l’âme de tes gens. Je t’ai quitté de nouveau par choix parce que je ne pouvais imaginer ma vie chez toi. C’était dur car j’avais fini par te chérir profondément même si je savais bien que je t’aimerais d’autant plus de loin.
Totalement convaincue par ma vie parisienne, ayant le sentiment d’être revenue enfin chez moi, il fallait cependant que je vienne te voir plusieurs fois par an. Pour mes parents avant tout. Pour tout le monde resté là-bas également et qui me manquaient tellement. Et puis tout simplement pour toi. Pour ta générosité d’âme, pour ta douceur de vivre au milieu du vacarme, pour ta chaleur permanente alors que Paris s’enfonçait parfois inexorablement dans un gris mélancolique. Pour la beauté de tes montagnes et pour ta mer Méditerranée sans doute plus douce qu’ailleurs.
Cela fait 20 ans mon cher Liban que je t’ai quitté sans aucun regret. Malgré tous les encombres, toutes les péripéties liées à ton actualité, tu as toujours été dans mon cœur. Je t’ai toujours défendu et j’ai réalisé que je t’étais attachée. “Le plus beau jour de ma vie” j’ai voulu qu il soit chez toi. J’ai voulu montrer à tout le monde ce que c’était de vivre sur ton sol, même quelques heures. Tous les proches ont fait le déplacement et n’ont pas été déçus. Le mariage fut une fête comme seul toi sais en organiser.
J’ai voulu te montrer à mes enfants, écrire sur toi, cuisiner tes mets, partager mes expériences auprès de mes amis et collègues, soutenir mes parents dans leur vie sur ton sol. Je t’ai toujours défendu alors qu’il est vraiment parfois difficile de te comprendre. J’ai voulu te décrire alors que tu es profondément impénétrable. J’ai voulu te positiver alors que ces dernières années tout porte à te négliger.
Tu es l’otage mon cher Liban de véritables malfrats sans morale aucune. Tu es la première victime de ceux qui ne pensent qu’à leur nombril et qui oublient la chance qu’ils ont de vivre chez toi. Tu payes aujourd’hui un trop lourd tribut face à cette mainmise insupportable. Tes enfants sont morts le 4 août dernier dans une explosion qu’on n’aurait jamais pu imaginer même dans nos plus horribles cauchemars. Tes enfants sont morts et tes entrailles gisent sur ton sol. Tu es quasiment mort.
Tes rêves sont pour le moment interrompus, tu as été blessé dans ta chair et il va t’être difficile de te relever. Mon cher Liban, je continuerai toute ma vie à te défendre et à t’aimer. Mais il va falloir, pour cela, que tu te décides définitivement à changer. Il va falloir que tu te débarrasses de tes parasites. Une fois pour toutes. Il va falloir que cette fois-ci ce soit la bonne. On a beau t’aimer, tu nous as enlevé énormément de choses à vivre. Il y a 40 ans déjà et encore aujourd’hui. Des vies ont été évaporées sans raison, des maisons détruites et des rêves envolés. Tu t’es mal entouré. Tu t’es laissé bouffer. Tu as succombé à une réputation de corrompu et de vendu. Tu as empêché tes enfants de vivre normalement depuis des années. Sans eau ni électricité. Sans droits civils ni sécurité sociale. Tu as failli à être un véritable État. Aujourd’hui il est presque trop tard. Aujourd’hui, c’est vraiment ta dernière chance. Et tu n’es pas seul. Loin de là. Nous tenons tous à toi et nous sommes tous derrière toi. Nous œuvrons à ta reconstruction et le monde entier a pitié de toi. Il est vrai que tu n’avais vraiment pas besoin de ça. Tu n’avais pas besoin de tomber aussi bas. Une malédiction de plus.
Mon cher Liban, tu es plus fort qu’on ne le croit. Il est donc temps de faire enfin table rase du passé. De tous les éjecter un par un. De te refaire une beauté aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. Il est temps. C’est maintenant ou jamais.
Tes enfants n’auront plus la force de se défendre si tu n’es pas capable de démonter ta bonne volonté. Et nous avons terriblement envie de continuer à croire en toi. De nombreux projets sont morts cette année. Des projets de vie chez chacun de tes habitants. Des projets d’avenir chez chacun de tes ressortissants. Nous saurons les réinventer si tu nous prouves ta bonne volonté. Nous ne voulons plus être résilients. Ce temps-là est fini. L’heure est venue d’être pleinement dans la vie et pour cela, une réinvention complète et un nettoyage de fond en comble sont nécessaires sous peine de disparition à tout jamais. L’heure est grave.
Nous t’en conjurons. Sois fort une dernière fois mon cher Liban. Sois fort pour tes enfants.
“Liban debout malgré tout” de Stéphanie Baz-Hatem, collection L’âme des peuples, en savoir plus ici
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