Nationalité française : le chemin de croix de la naturalisation
Le 4 septembre 2020, c’est en grande pompe, au Panthéon, que le président de la République, Emmanuel Macron, a remis leur décret de naturalisation à cinq « travailleurs de la première ligne ». Agents de sécurité ou d’entretien, assistantes maternelles, soignants, postiers, éboueurs, salariés du commerce alimentaire, personnel éducatif, salariés des sociétés funéraires : ils sont plus de 12 000 à être devenus français grâce à un dispositif exceptionnel de naturalisation pour services rendus pendant la pandémie qui prévoyait notamment l’assouplissement du critère de présence sur le territoire (de cinq ans de séjour régulier à deux ans). Les préfectures étaient invitées à « examiner les dossiers avec bienveillance ».
L’année 2021 devrait donc connaître une hausse du nombre de naturalisations d’autant plus importante qu’entre 2019 et 2020, leur nombre avait baissé de 15,6 %. Cette chute est bien sûr liée à la crise sanitaire qui a rendu presque impossible pendant plusieurs mois le dépôt des dossiers.
Ce phénomène avait toutefois commencé depuis le début de quinquennat Macron, et même avant puisque le nombre de naturalisés a quasiment diminué de moitié sur les dix dernières années, la moitié de cette baisse ayant eu lieu suite à l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée.
« La naturalisation n’est pas un droit automatique mais un acte de souveraineté de l’Etat. Celui-ci est tout à fait en droit d’en restreindre les conditions d’attribution », rappelle l’historien Patrick Weil, auteur notamment de l’ouvrage Etre français. Les quatre piliers de la nationalité (Ed. de l’Aube, 2014). De fait, les exigences n’ont cessé de s’élever depuis les années 2000. Il faut non seulement justifier d’un temps de séjour régulier, de revenus suffisants (environ le Smic) mais donner la preuve de son « intégration dans la communauté française ». Et en la matière, la maîtrise de la langue française ne suffit plus : il faut aussi connaître les institutions et l’histoire du pays.
« Il faut, par exemple, définir une notion aussi complexe que la laïcité et avoir une connaissance de l’histoire française que nombre de Français n’ont même pas. Un de mes clients s’est vu refuser la naturalisation car il n’a pas reconnu Louis XIV sur une image », raconte Flor Tercero, avocate à Toulouse et présidente de l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers (Adde).
Sous la présidence Sarkozy, les naturalisations ont drastiquement diminué jusqu’à s’effondrer à 43 067. A partir de 2010, le mode de traitement des dossiers a été modifié, et ils sont désormais gérés par les préfectures. Ce n’est que s’ils font l’objet d’une décision favorable qu’ils sont transmis au ministère de l’Intérieur. Pour Patrick Weil, cette préfectoralisation pose problème :
« En rapprochant de l’échelon local l’attribution de la nationalité, cela induit un risque de traitement discriminatoire plus important sur certains territoires, ou de manière inverse de clientélisme », dénonce-t-il.
En 2016, dans un rapport intitulé Le dossier noir des naturalisations, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) avait mis en évidence une sévérité accrue dans les décisions préfectorales d’ajournements ou de refus : absence de CDI, aide au séjour irrégulier d’un conjoint plusieurs années auparavant (alors même que l’aide au conjoint ou à un membre de sa famille ne peut pas être punie), contravention… constituaient autant de motifs pour refuser la naturalisation. Deux circulaires parues en octobre 2012 et juin 2013 ont invité les préfectures à faire preuve de plus de mansuétude dans l’examen des dossiers, mais la logique ne s’est pas inversée pour autant.
« L’invitation dans la circulaire du 16 octobre 2012 à « une meilleure prise en compte des potentiels » confirme une évolution néolibérale dans la doctrine de la naturalisation qui se poursuit : dans les années 1990 à 2000, la naturalisation apparaissait comme l’aboutissement d’un parcours d’intégration, il faut désormais la mériter ! », conclut Jules Lepoutre, professeur de droit public à l’université de Corse.
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