Car la réalité est plus complexe. Une Constitution n’est pas seulement un texte. Plus exactement, c’est un texte qui évolue au gré de ses révisions formelles et de ses interprétations. La Constitution est ce qu’en font et ce qu’en disent ses interprètes. Les acteurs institutionnels politiques autant que les juges, notamment constitutionnels, façonnent le texte constitutionnel, lui donnent sens, l’orientent sur des chemins inconnus au moment de son élaboration, l’ouvrent à des influences qui peuvent profondément en modifier le sens. Prenons un seul exemple: le contrôle de constitutionnalité des lois. Si celui-ci est bien inscrit dans le texte constitutionnel en 1958, c’est le Conseil constitutionnel qui dans une décision big-bang (16 juillet 1971) en fait un instrument de protection des libertés et des droits fondamentaux. Ensuite en découleront rapidement l’ouverture des recours aux parlementaires puis, beaucoup plus (et trop) tardivement, aux justiciables par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
C’est le Conseil constitutionnel qui a consacré de nouveaux droits constitutionnels sous forme de principes, règles ou objectifs absents de la déclaration des droits de 1789, du préambule de la Constitution de 1946 ou encore de la Charte de l’environnement, autant de textes de valeur constitutionnelle. Pensons à la liberté de conscience, à l’interdiction d’extrader une personne pour des motifs politiques, au droit au logement, à la liberté d’enseignement… C’est toujours lui, avec le concours du Conseil d’Etat et la Cour de cassation, qui livre une interprétation moderne de la séparation des pouvoirs et protège la vie privée confrontée aux lois d’urgence… C’est le juge constitutionnel qui a consacré dans le marbre constitutionnel les droits de la défense, qui a fixé les règles du procès pénal en prenant en considération les exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme… Voilà pour les juges et quelques illustrations de leur pouvoir d’interprétation qui modifie en douceur le contenu des principes constitutionnels en les complétant ou en leur conférant une portée nouvelle sous le contrôle du pouvoir de révision constitutionnelle qui peut en défaire leurs lectures. On peut en dire autant des acteurs institutionnels qu’il s’agisse du recours au référendum, des “révocations” des Premiers ministres, des lectures présidentialistes ou parlementaires de la Constitution….
Cette Constitution, acte vivant, est malheureusement ignorée du plus grand nombre. A commencer par les citoyens eux-mêmes et notamment ceux qui entrent sur le marché électoral, qui n’ont qu’une idée très imprécise de leurs droits constitutionnels et de la manière de les défendre, à la différence de nombreux citoyens d’Etats démocratiques (Allemagne, Italie, Espagne, Etats-Unis…).
Ce constat est cruel pour notre pays, pionnier avec les Etats-Unis à la fin du 18ème siècle, de l’écrit constitutionnel qui a si puissamment contribué à l’enterrement de l’ancien monde. Le constat d’une certaine méconnaissance du système constitutionnel français, les difficultés à en appréhender la genèse, les enjeux et la portée dans le quotidien des citoyens et l’insuffisance du temps d’enseignement consacré au droit et plus particulièrement au droit constitutionnel dans les enseignements scolaires ont conduit le Président du Conseil Constitutionnel et le ministre de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports –conscients de l’importance de l’enjeu à l’heure du délitement des principes et valeurs républicains- à confier à l’auteur de ces lignes la mission de réfléchir à la manière de diffuser une culture constitutionnelle dans les écoles et les établissements afin de rendre le droit vivant, particulièrement le droit constitutionnel.
De cette réflexion est née cette année l’organisation dans les établissements scolaires d’une “Fête de la Constitution” lancée au cours de la semaine du 28 septembre au 4 octobre, date anniversaire du référendum de la Constitution de la Ve République en 1958 et de sa promulgation. C’est au cours de cette “semaine constitutionnelle” que sera par ailleurs lancé le concours organisé depuis 2016 par le Conseil constitutionnel et le ministère de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports “Découvrons notre Constitution”. Les élèves du CM1 à la Terminale sont invités à travers des projets originaux à travailler sur la Constitution. Dans chaque académie un jury composé d’universitaires et de professeurs agrégés, certifiés et des écoles récompensera un projet, lequel participera à la phase finale du concours devant un jury national.
D’une certaine façon, la France rejoint la multitude de pays qui consacrent dans leur calendrier une journée à la célébration de leur Constitution. Mais la France va plus loin désormais en portant l’ambition de former à travers les enseignements de philosophie, de sciences économiques, d’histoire, de l’enseignement civique et moral, des sciences de la vie et de la terre (pensons à toutes les problématiques juridiques autour du corps humain) de l’informatique ou encore des enseignements transversaux suivis par les collégiens et lycéens, les jeunes citoyens aux questions constitutionnelles, si essentielles et déterminantes dans la protection de leurs droits et de la pérennisation d’une société démocratique et respectueuse des libertés fondamentales.
La “Fête de la Constitution” ne se limite pas à une intégration des problématiques constitutionnelles dans les enseignements. Le développement d’une culture constitutionnelle chez les enseignants et leurs élèves durant l’année scolaire suppose également d’actionner un certain nombre de leviers, de relais indispensables. C’est pourquoi cette manifestation qui se déroulera tout au long de l’année scolaire fera appel à des partenaires extérieurs, professeurs de droit constitutionnel, avocats, étudiants en droit ou partenaires associatifs. Ils interviendront dans les établissements scolaires sous forme de conférences, d’ateliers et de débats. C’est aussi une autre façon de donner vie au continuum si souvent répété entre le lycée et l’Université.
La fête de la Constitution est surtout une locomotive qui armera désormais les jeunes générations sur le plan juridique afin qu’ils appréhendent sous un angle nouveau les grandes questions qui traversent aujourd’hui notre société et s’engagent à trouver des réponses appropriées dans le respect de notre tradition républicaine et humaniste. Bref, la fête de la Constitution participe désormais à la formation d’une jeunesse éclairée et consciente de ses droits à protéger et, peut-être, conduira certains jeunes adultes à s’engager davantage pour préserver et enrichir notre héritage constitutionnel en matière de droits et de libertés, arguments à l’appui.
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