OLGA
Elie GRAPPE – Ukraine / France 2021 1h25mn VOSTF – avec Anastasia Budiashkina, Sabrina Rubtsova, Thea Brogli, Tanya Mikhina… Scénario d’Elie Grappe et Raphaëlle Desplechin.
Du 15/12/21 au 28/12/21
Poirier, vrille, salto, Tkatchev, appui tendu renversé… À l’âge ou tant d’autres jeunes filles en fleurs rêvent d’un premier baiser, Olga n’aspire qu’à réussir un Jaeger et à se qualifier pour les futurs championnats d’Europe. On pénètre là dans un monde hors sol, presque asexué, castré de quelque chose d’essentiel, tant tout ce qui n’a pas trait à la discipline sportive n’a pas droit de cité. Ici on n’évoque les émotions des gymnastes que pour mieux les évacuer. Olga, du haut de ses quinze ans, a déjà intégré ce formatage, sachant rester impavide devant la peur, la douleur, la joie… Cheval d’arçon, sol, barres asymétriques (sa spécialité)… aucun agrès ne tolère l’a peu-près… Le moindre manque de concentration peut-être fatal. Oublier tout ce qui perturbe, le rejeter. Les championnes en herbe de l’équipe nationale d’Ukraine se comprennent à demi-mots, sans mot dire même, tant leurs corps en disent plus long.
Alors qu’Olga est si près de son but, que son entraîneur Vassily, qui mise beaucoup sur elle, la pousse de l’avant, la situation de son pays va venir tout bouleverser. Nous sommes en 2013, et les enquêtes de sa mère journaliste sur la corruption régnant au plus haut niveau de l’État ukrainien font soudain peser une menace directe sur leurs vies. Dès lors, la plus sage résolution semble de mettre l’adolescente à l’abri, afin qu’elle puisse entièrement se consacrer à sa passion, ne pas rater ce qui sera, de toutes façons une courte carrière. Profitant de la nationalité suisse de son défunt père, voilà la donzelle envoyée vers le pays des montres, du chocolat et de la neutralité. Une neutralité qui jure avec les images qui, progressivement, arrivent de Kiev. La colère populaire gronde, une mouvance pro-européenne rassemblant des courants très opposés provoque des manifestations qui embrasent la place Maïdan. La répression ne fait pas de quartier. Au travers des vidéos prises par les manifestants (que le réalisateur a voulu réelles), Olga assiste impuissante à ce qui se passe sur sa terre natale, de plus en plus inquiète et bouillonnante face aux montées de violence qui n’épargnent ni sa mère et sa meilleure amie. La voilà prise en tenaille dans un conflit de loyauté, confrontée à une situation géopolitique qui la dépasse, à ce moment précis où les enjeux individuels semblent incompatibles avec les enjeux collectifs, emportée dans un maelstrom de pensées et d’envies contradictoires… à deux marches du podium pour lequel elle a tant lutté…
Alors Olga fait ce qu’elle a toujours fait : elle s’entraîne, obstinément, plus qu’il ne faut même. Magnésie, strapping aux poignets, spectaculaires lâchers de barre, sorties pilées… lourdes chutes à répétition. Ne pas gémir, ni se permettre une grimace, recommencer jusqu’à maîtriser les mouvements les plus exigeants. Se concentrer, oublier… contrôle absolu ! Cela devrait être facile, dans l’ambiance feutrée du club d’entraînement, d’observer la neutralité qu’exigent son pays d’adoption et les fédérations sportives : rester au-dessus de la mêlée, ne pas se piquer de politique… La jeune gymnaste, dont l’intégration dans sa nouvelle équipe se fait difficilement, se tait et s’isole. Que peuvent comprendre ses coéquipières, celles qui la jalousent ou se moquent de ses lapsus, de ses maladresses dans cette langue qu’elle maîtrise mal, de ses allures de robot qui ne laisse rien transparaitre ?
Pour son premier long métrage, le jeune réalisateur a choisi de diriger des actrices non professionnelles mais de véritables jeunes athlètes afin de filmer au plus près des corps et des performances, sans doublure. Dès lors, les séquences d’entraînement sont époustouflantes, quasi documentaires. On y perçoit le moindre frémissement, le moindre souffle, les risques encourus par ces sportives de haut niveau habituées à supporter le regard d’une foule, sa pression. Résultat tendu, captivant qui nous parle autant des métamorphoses de l’adolescence que des exigences démesurées d’une discipline sportive où rien ne dépasse : pas plus un cheveu qu’un sentiment.
Commentaires récents