Pendant l’élection présidentielle, comment la culpabilité s’est invitée dans le vote des Français
La semaine dernière, quelques jours après l’annonce des résultats du premier tour, Le HuffPost a demandé à ses lecteurs comment ils se situaient face à ceux-ci, et s’ils ressentaient de leur côté une certaine forme de culpabilité, d’angoisse ou de souffrance quant à ce scrutin. Vous avez été nombreux à nous répondre et à témoigner de ce sentiment.
Des réactions et ressentis qui seraient propres à l’élection présidentielle par rapport à des scrutins locaux ou régionaux. “Ici, on a une capacité d’action. Dans la présidentielle, il y a une question de valeurs, de communauté nationale, même si cela ne fait plus sens pour beaucoup de gens. Il s’agit du devenir de la nation, d’où, aussi, la force de la question identitaire”, souligne Luc Rouban, chercheur du CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po, auprès du HuffPost.
“Je le ressens comme une grave erreur personnelle”
Parmi les personnes qui nous ont répondu, beaucoup semblent presque regretter leur vote du premier tour, car il n’a pas eu l’effet escompté. “400.000 voix de plus auraient permis à Jean-Luc Mélenchon d’être au second tour. Oui, j’ai mal, ayant choisi de voter Yannick Jadot au premier tour selon ma conviction écologique”, explique Dario, qui a le sentiment de se prendre “en plein visage” les conséquences pour le pays. “Un rebond pour une nouvelle gauche réunie était possible, avec une mise à l’écart -du moins une mise à distance- du projet simpliste et rétrograde que propose Marine Le Pen”, poursuit-il avant de conclure: “Je le ressens comme une grave erreur personnelle”.
Publicité
“Souffrance démocratique”
Ce que constate Luc Rouban, c’est un sentiment de malaise, qui devrait s’accentuer encore par la suite. S’il peut être lié au vote utile, il l’est surtout en ce qui concerne l’abstention. “Le vote est considéré comme une norme sociale de participation à la démocratie. On dit aux abstentionnistes: vous ne participez pas à la démocratie si vous ne votez pas. Or l’abstention est aussi un acte de protestation, et de critique de cette démocratie participative”, explique le spécialiste.
“Je culpabilise de mon indécision”
Certains en veulent même par avance à leurs proches, ceux qui se refusent d’ores et déjà à déposer un bulletin dans l’urne dimanche. Anne-Laure, juriste toulousaine de 40 ans, explique ainsi qu’elle en voudrait à ses proches “qui n’auront pas voté ‘utile’, alors que moi-même je n’en ai pas été capable”, souligne celle qui a voté Yannick Jadot au premier tour. Mais, “maintenant, je culpabilise lorsque j’entends autour de moi des proches, et un grand nombre, plutôt de gauche, qui disent refuser de voter Macron ‘quoi qu’il en coûte’. J’aurais pu faire en sorte d’éviter cela en votant ‘utile’”, semble-t-elle regretter.
“Je culpabilise de mon indécision face au second tour et de ma réticence à appliquer une fois de plus le pacte républicain, qui m’avait fait voter sans état d’âme pour quelques présidents de droite”, souligne également Adrien. Lui qui pense qu’il est nécessaire de “défendre la démocratie”, il hésite encore à voter, par “perte d’intérêt pour les affaires publiques”, mais aussi par “lassitude devant notre système électoral”.
“Chacun vote pour qui il/elle veut”
Laura, une Franco-américaine de 20 ans, gardera certainement en mémoire la “vague de haine sur Twitter” qu’elle a pu observer. “Apparemment, si on a voté Jadot, Hidalgo ou Roussel, c’est qu’on est ‘une merde’, qu’on ‘ne mérite pas le droit de vote’. On nous “HAIT”, selon certains tweets”, raconte-t-elle. “J’ai été choquée par cette violence tant envers moi que mes proches. Chacun vote pour qui il/elle veut. Mais aujourd’hui on dirait que le vote se doit d’être forcément utile pour faire barrage à tel(e) ou tel(e) candidat(e) sinon c’est nous qui sommes inutiles!”, lance-t-elle. Aujourd’hui, la culpabilité, elle ne la ressentirait que si elle ne se rendait pas aux urnes pour le second tour.
“Système de vote qui s’individualise”
Pour lui, ces ressentis ont toujours existé, mais autrefois “dans le cadre d’une socialisation politique très forte, avec un éclaircissement du paysage politique fait par les grands partis. Là, on est dans un système de vote qui s’individualise beaucoup et qui est devenu largement anomique. On a peu de points de repère, on cherche des justificatifs rationnels ou moraux. C’est pour ça qu’on entend des phrases comme ‘je vais donner une chance à Le Pen pour une fois’, ou ’Macron, je ne l’aime pas, mais c’est le moins risqué”, explique le chercheur du Cevipof.
Attention toutefois, le vote par émotion n’a pas remplacé le vote par intérêt. “Il reste toujours les intérêts, le milieu familial, la situation professionnelle, le risque de chômage, le revenu, les perspectives d’avenir…”, liste-t-il. L’électeur “stratège” n’a pas disparu, même s’il semble, parfois, pris de remords.
À voir également sur Le HuffPost: Ces Marseillais ne veulent pas de Macron, mais ils feront barrage à Le Pen
Publicité
Laisser un commentaire