Changer notre regard
Petite mécanique de la rancœur
Les pensées négatives activent encore et encore les capteurs de douleur dans notre cerveau. Au bout d’un moment, la souffrance que nous ressentons n’est plus directement liée au mal que l’on nous a infligé, mais à nos propres pensées: c’est nous et nous seul que nous faisons souffrir. C’est un cercle vicieux qui nous plonge dans les affres du ressentiment. Et qui nous fait du mal, vraiment. De nombreuses études ont ainsi montré que celui-ci altérait la santé cardio-vasculaire, appauvrissait la qualité du sommeil, stimulait la production d’hormones du stress, dont le cortisol. Des conséquences physiques associées dans le temps avec le développement de dépression.
Se mettre à la place de l’autre
En faisant cela, nous réévaluons l’événement traumatisant en des termes plus positifs, ou, en tout cas, moins négatifs, et nous faisons un effort pour nous mettre à la place de la personne qui nous a fait du mal. Le pardon fait ainsi appel aux fonctions les plus évoluées du cerveau: les zones concernées sont en effet chargées de ce que les scientifiques nomment la “théorie de l’esprit”, soit notre capacité à imaginer les pensées de l’autre. C’est grâce à cette faculté que nous sommes capables de pardonner plus facilement si la personne n’a pas “fait exprès”, dans le cas d’un accident, par exemple. Ou, au contraire, de condamner la seule intention de faire du mal, même si celle-ci n’a pas été suivie d’effet…
Une capacité que l’humain a sans doute développée au cours de son évolution. Pour Michael McCullough, un chercheur états-unien en psychologie, le pardon ferait partie d’une stratégie double de survie mise progressivement en place par nos ancêtres. Ce serait le tandem vengeance/pardon qui aurait permis à ces derniers de survivre en groupe. Ils auraient compris que pour maintenir les membres d’un clan ensemble et ainsi pouvoir mener à bien des projets collectifs, chasse ou conquête, il fallait savoir punir les contrevenants tout en passant l’éponge de temps en temps.
Pansement émotionnel
Résultat de l’évolution, nous accordons plus facilement notre pardon à certaines personnes qu’à d’autres. Lesquelles? Celles qui font partie de notre groupe! C’est ce qu’a découvert le chercheur suisse Thomas Baumgartner, qui a rassemblé les membres de deux groupes existants, les supporteurs d’un club de foot et les adhérents d’un parti politique, auxquels il a proposé de jouer ensemble à une version soft du “dilemme du prisonnier”, un test psychologique célèbre (deux complices d’un crime sont emprisonnés dans deux cellules différentes sans pouvoir communiquer. Si l’un dénonce l’autre, il sera libéré. Si les deux se dénoncent, ils partagent la peine. S’ils se taisent tous les deux et restent solidaires, ils n’auront qu’une peine légère). Puis les participants ont été jugés par un membre de l’un ou l’autre groupe. Sans surprise, les supporteurs du club de foot ont généralement puni plus durement les membres du parti politique qui n’avaient pas coopéré avec les leurs que les “traîtres” issus de leur propre groupe. Et vice versa.
Seules quelques personnes se sont montrées impartiales, capables donc de pardonner même aux membres de l’autre clan. Une particularité liée… à la biologie! Nous sommes ainsi plus ou moins capables de pardonner, selon la densité en matière grise et blanche des zones de notre cerveau chargées de la théorie de l’esprit. ”Nous avons montré dans cette étude que plus ils avaient de matière grise et blanche dans cette zone, moins les volontaires punissaient durement les membres de l’autre groupe, explique Thomas Baumgartner. Donc, plus ces personnes étaient capables de pardon.”
Le pardon, ça s’apprend !
Il existe ainsi de nombreux témoignages de personnes ayant vécu des traumatismes graves et qui, pourtant, ont fini par pardonner. C’est le cas, par exemple, de Ginn Fourie, une Sud-Africaine dont la fille Lyndi-Ann, 23 ans, a été tuée en 1993 lors de l’attaque d’un pub au Cap par l’Armée de libération du peuple azanien (Azanian People’s Liberation Army, Apla), mouvement issu d’une scission de l’ANC (le Congrès national africain, l’organisation de Nelson Mandela). L’attaque faisait figure de représailles après la mort de cinq écoliers noirs, tués par les forces de défense sud-africaines un mois plus tôt.
Avant ce drame, Ginn Fourie n’avait rien d’extraordinaire: elle avait les mêmes préjugés que la plupart des Sud-Africains blancs vis-à-vis des Noirs. Pourtant, lors de leurs procès, Ginn Fourie a pardonné publiquement aux meurtriers de sa fille. À Brian Madasi, celui qui a tiré, mais aussi à Letlapa Mphahlele, le leader de l’Apla, qui avait ordonné l’attaque. Depuis, elle milite à ses côtés partout dans le monde pour prouver les bienfaits du pardon. ”C’est un processus à l’issue duquel vous prenez la décision de principe d’abandonner votre droit légitime à la vengeance, dit-elle lors de ses conférences. Cela signifie abandonner la colère et la haine. J’en étais incapable au début: je ne pouvais pas influer sur mes émotions, mais je pouvais agir sur ma raison. Et une fois que j’ai pris la décision de pardonner, les émotions ont suivi.” Cela vaut le coup d’essayer, le pardon ne nous libère pas seulement de la prison du ressentiment, il booste aussi les émotions positives comme la compassion, l’espoir, l’empathie. Et nous rend plus heureux!
Développez votre matière grise par la méditation
“Nous savons aujourd’hui que les personnes ayant une densité de matière grise importante dans la zone du cortex chargée de ce qu’on appelle le “système de mentalisation” ou la “théorie de l’esprit”, soit notre capacité à imaginer les pensées de l’autre, sont celles qui ont le plus de facilité à pardonner. Mais rien n’est perdu car le cerveau est très plastique. Si vous voulez vous engager sur la voie du pardon, vous pouvez entraîner votre système de mentalisation et vos capacités d’empathie. Comment faire ? Il existe de nombreuses techniques d’entraînement cérébral. L’une des plus efficaces est la méditation. Celle-ci compte plusieurs techniques qui ont un impact important sur le fonctionnement et la structure du cerveau en augmentant la densité de matière grise dans ces régions cérébrales.”
Thomas Baumgartner, neuroscientifique (chercheur à l’université de Bern, spécialiste des neurosciences affectives et sociales).
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