Pourquoi la générosité est source de bonheur, selon la science
Le neuroéconomiste Philippe N. Tobler, de l’université de Zurich, a ainsi étudié les liens entre générosité et bonheur dans le cerveau. L’équipe de Marco Iacoboni, directeur du laboratoire de stimulation transcrânienne de l’université de Californie (Ucla), a découvert l’étonnant rôle joué par notre cortex préfrontal lorsque nous donnons.
Quant à Sara Konrath, cette chercheuse en psychologie sociale de l’université de l’Indiana, étudie depuis plusieurs années les conséquences du don sur notre santé physique et mentale. Leurs conclusions sont en train de révolutionner notre conception de la nature humaine: non seulement être généreux nous rend réellement heureux, mais la générosité serait même un élan spontané, au cœur du processus de sociabilisation.
Cet article a été publié dans l’hebdomadaire “La Vie”, retrouvez d’autres contenus connexes
Une pratique irrationnelle
Publicité
Plus tard, les biologistes ont conçu la théorie de la “sélection de parentèle”, qui affirme que les humains sont altruistes envers les personnes qui leur ressemblent, celles qui ont les mêmes gènes, afin de perpétuer leur patrimoine génétique. Mais cette idée s’est heurtée au réel: le monde est rempli de gens désintéressés qui donnent de l’argent, du temps et parfois même leurs propres organes à des personnes qu’ils ne connaissent pas et dont ils savent pertinemment qu’elles ne pourront jamais les rembourser.
Les comportements que les chercheurs qualifient de “prosociaux”, comme la générosité, sont ainsi probablement ceux qui ont permis à Homo sapiens d’être la seule espèce à avoir colonisé la planète entière. Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont dû se regrouper pour survivre. Cette interdépendance les a poussés à développer un savoir-vivre en société nécessaire à la survie de chacun: partager la nourriture de façon équitable pour préserver l’unité du groupe, s’entendre sur la stratégie de chasse à adopter pour qu’elle soit le plus efficace possible. Peu à peu, nous avons développé des capacités empathiques, une habileté à nous mettre à la place de l’autre, à ressentir ce qu’il ressent et à comprendre ses intentions.
Rousseau contre Hobbes
Publicité
“Il y a deux théories. Celle de Rousseau, qui dit que nous sommes nés bons et que ce sont les circonstances qui nous poussent à devenir égoïstes. Et puis celle de Hobbes, pour qui l’homme, qui est naturellement un loup pour l’homme, peut se socialiser grâce à l’éducation… Notre étude suggère que la générosité est d’abord un élan spontané qui, par la suite, est contrôlé par le cortex préfrontal.” Celui-ci agit comme une valve qui tempérerait nos élans altruistes. Autrement dit, nous devons faire des efforts cérébraux pour être égoïstes…
Pour Marco Iacoboni, la générosité est ainsi un mode d’expression naturel de notre “cerveau empathique”. C’est parce que nous sommes capables de nous mettre à la place de l’autre que nous donnons. Iacoboni a ainsi observé les cerveaux de volontaires lors de deux expériences successives. D’abord, ceux-ci devaient regarder une vidéo dans laquelle une personne était piquée avec une aiguille. Puis les scientifiques ont donné aux participants de l’étude une somme d’argent qu’ils devaient partager avec des personnes qui leur étaient inconnues. ”Les résultats étaient clairs comme de l’eau de roche: ce sont ceux qui se sont montrés le plus empathiques lors du premier test qui ont le plus donné. Nous avons même pu prédire le montant donné en fonction des images cérébrales de la première expérience!” s’exclame le scientifique.
Circuit de la récompense et du plaisir
“Nous savions déjà que le lien entre générosité et bonheur existait d’un point de vue comportemental, explique Philippe N. Tobler, mais nous ignorions totalement ce qui se passait au niveau cérébral. À la fin de l’expérience, non seulement les personnes qui étaient dans le groupe des ‘généreux’ se sont dites davantage heureuses que les autres, mais cela s’est également vu sur les images de leur cerveau!» Le fait de donner y avait tracé une guirlande lumineuse entre deux zones cérébrales distinctes: le carrefour temporo-pariétal, une région du cerveau située au-dessus de chaque oreille qui s’active lorsque nous essayons mentalement de nous mettre à la place de quelqu’un d’autre, et le striatum ventral, qui fait partie du circuit de la récompense et du plaisir. D’où le sentiment de bien-être.
Mais ce n’est pas tout. La générosité fait aussi du bien à la santé. En 2012, une étude de Sara Konrath, une chercheuse états-unienne en psychologie sociale, a montré que les personnes âgées qui donnaient de leur temps pour du bénévolat avaient un risque moindre de mourir sur une période de quatre ans que celles qui ne le faisaient pas. Depuis, Sara Konrath ne compte plus les études publiées sur le sujet: ”Aujourd’hui, toutes vont dans le même sens, explique la scientifique. La dernière en date a montré que donner de l’argent avait des effets positifs sur l’hypertension comparables à un traitement médicamenteux! Comment cela est-il possible? Personne ne le sait réellement… Sans doute parce que la générosité permet de diminuer le stress.”
Bien sûr, l’action contrainte du cortex préfrontal a une utilité: un comportement généreux à l’extrême peut être très handicapant. C’est ce qui s’est passé, par exemple, pour Joao, un vendeur de rue brésilien. Victime d’une attaque cérébrale qui a perturbé le fonctionnement de son cortex préfrontal, cet homme de 49 ans s’est soudain mis à offrir tout ce qu’il possédait et ne faisait même plus payer les frites qu’il vendait auparavant dans la rue… Et même si la générosité compulsive de Joao l’a comblé de bonheur (il était l’homme le plus heureux de la terre selon son neurochirurgien, qui a publié une étude sur son cas), elle lui a aussi amené pas mal de soucis, et surtout des problèmes avec sa belle-famille: son beau-frère était le copropriétaire de sa baraque à frites…
Pas la peine de tout offrir
Heureusement, nous pouvons dégripper la machine: développer notre capacité à donner et ainsi profiter du shoot de bien-être et des bénéfices pour la santé que cela procure. Comment? En nous exerçant, comme nous ferions de la gymnastique. L’étude de Philippe N. Tobler a montré qu’il n’y avait pas de lien de corrélation entre l’importance du don et le bonheur ressenti. Donc, pas la peine d’offrir tout ce que l’on possède, comme le faisait Joao, pour être plus heureux.
Publicité
Mieux vaut employer son énergie à développer les facultés qui nous aident à être plus généreux: la gratitude, par exemple. En fait, les neuroscientifiques sont en train de découvrir les bénéfices incroyables du binôme générosité-gratitude pour notre santé mentale. Comme la générosité, la gratitude active le circuit neuronal de la récompense et du plaisir. Elles sont comme deux interrupteurs qui déclenchent une cascade d’émotions positives dans le cerveau. ”La gratitude récompense la générosité et nourrit ainsi le cycle de comportements sociaux positifs”, explique le neuroscientifique Antonio Damasio, qui, avec une équipe de l’université de Californie du Sud, a reconstitué en laboratoire le parcours neuronal de cette attitude positive.
Pour cela, les scientifiques ont recueilli des récits de rescapés de la Shoah qui, au cours de leur déportation, furent les bénéficiaires d’actes de très grande générosité, et les ont fait lire à des volontaires. Puis les chercheurs ont observé l’activité des cerveaux des participants alors que ceux-ci imaginaient qu’un scénario similaire leur arrivait. Résultat: le sentiment de gratitude active aussi des zones du cerveau en lien avec le lien social et libère de l’ocytocine, l’hormone de l’attachement aux autres. Le chemin neuronal de la gratitude est si puissant que celle-ci fonctionne comme un muscle: plus on la convoque, plus elle se développe. Et plus on se sent reconnaissant, plus on ressent le besoin d’être généreux.
En clair, générosité et gratitude sont les deux faces d’une même médaille qui produit du bien-être social, un cocktail euphorisant qui nous pousse à aller vers les autres et à vivre en société. Laissez donc s’exprimer en vous le bonheur de donner. Le bien-être que vous ressentez alors a toute sa raison d’être: en donnant, vous déclenchez en vous et chez les autres une dynamique de sentiments positifs. Et nourrissez le lien qui vous unit aux autres êtres humains.
À voir également sur Le HuffPost: Est-ce plus difficile d’être heureux en amour quand on est surdoué?
Laisser un commentaire