Pourquoi le débat sur la réanimation des non-vaccinés est plus complexe qu’il y paraît
Ces interrogations prennent une nouvelle dimension alors que la proportion de personnes non vaccinées est toujours aussi importante parmi les malades nécessitant des soins lourds. À tel point qu’une question est posée par certains soignants: faut-il continuer à permettre aux non-vaccinés de bénéficier de soins prioritaires par rapport aux malades souffrant d’autres pathologies que le coronavirus?
Un dilemme résumé par le professeur André Grimaldi, fondateur du collectif inter-hôpitaux qui alerte depuis des années sur la déliquescence de l’hôpital public. Dans une tribune publiée par Le JDD le 2 janvier, il pose cette question: “Les non-vaccinés doivent-ils assumer aussi leur libre choix de ne pas être réanimés?” Une manière de dire qu’en refusant de recevoir le vaccin contre le coronavirus, les citoyens exercent certes un choix libre, mais qu’il ne faut pas oublier qu’ils prennent en même temps et en conscience le risque accru de développer une forme grave de la maladie.
De moins en moins d’empathie pour les non-vaccinés
Une critique qui a pris une dimension nationale lundi 3 janvier lors des débats à l’Assemblée sur le pass vaccinal. Le ministre de la Santé Olivier Véran a fustigé ceux qui “brandissent de grands principes et revendiquent la liberté” au service d’un “combat minuscule”, méconnaissant “profondément des principes élémentaires pour vivre-ensemble, pour faire société”. Et d’ajouter au sujet de ces individus qui refusent le vaccin “que derrière un discours sur la prétendue liberté se cache trop souvent un égoïsme ou un repli sur soi”.
Or il est nécessaire de le dire d’emblée en évoquant ces questions: l’idée même de retarder la prise en charge des certains malades au motif qu’ils ne seraient pas vaccinés est contraire au serment d’Hippocrate et à toute éthique médicale. Ce que résume le docteur Patrick Bouet, président du Conseil national de l’Ordre des Médecins dans une tribune à La Croix, écrivant qu’il serait “impardonnable” de faire “le tri entre vaccinés et non-vaccinés”. Des propos dans la lignée de ceux tenus à l’Assemblée par Olivier Véran.
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Il n’en reste pas moins qu’au moment de faire un choix entre deux patients -un exercice régulier pour les médecins réanimateurs- et alors que le vaccin est disponible depuis plus d’un an en France, le dilemme se présente de plus en plus fréquemment pour le personnel soignant, comme le racontaient La Croix fin décembre ou Le Parisien en ce début janvier. Et avec la 5e vague qui déferle, l’agacement grandit parmi les soignants vis-à-vis de la population refusant le vaccin.
Au moment du premier confinement, alors que les plans blancs avaient déjà été déclenchés avec pour conséquence la déprogrammation de très nombreux actes médicaux, c’était sur des critères objectifs que se faisait le choix de la prise en charge: âge, chances de survie, comorbidités… Mais deux ans plus tard, des médecins sont rattrapés par un constat pesant: s’ils étaient vaccinés, certains malades n’en seraient pas là. De quoi, si l’on en croit les témoignages, perdre en empathie.
Conjuguer liberté et responsabilité
Surtout qu’à l’heure des plans blancs de ce début d’année 2022, des médecins doivent apprendre à leurs patients non-Covid que leurs opérations sont déprogrammées pour la troisième ou la quatrième fois; cela réduit de fait leurs chances de guérison, voire de survie. Le tout en contraignant des soignants à se concentrer sur des patients qui, s’ils avaient accepté le vaccin, se seraient donnés les chances de ne pas être admis en soins intensifs.
C’est l’angle par lequel Emmanuel Hirsch approche la question morale qui se pose ici. Le professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay signe sur The Conversation un texte dans lequel il interroge la “responsabilité” de ceux qui choisissent de ne pas se faire vacciner. S’appuyant sur une vision de la liberté comme étant ce qui “permet de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui”, le professeur d’éthique écrit: “Le principe de liberté vaccinale n’est en soi respectable que si cette dernière s’avère conciliable avec l’attention bienveillante accordée à autrui.”
Or à cet égard, il constate qu’aucun chantre de la non-vaccination ne s’est prononcé sur la future priorisation en réanimation entre une personne ayant reçu le vaccin et une autre l’ayant refusé. Et d’ajouter: “Entraver les missions imparties aux professionnels de santé par des traitements lourds, pourtant évitables, relève de l’inconséquence.”
Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyenEmmanuel Macron, dans « Le Parisien », mardi 4 janvier.
En ce sens, l’universitaire juge “irrespectueux” ces comportements ayant pour conséquences directes de mobiliser des personnels de santé déjà éreintés tout en privant d’autres patients d’accès aux soins. À ce sujet, on peut citer entre autres une modélisation du centre de lutte contre le cancer Gustave Roussy qui avait estimé à entre 2 et 5% la surmortalité liée aux cancers du fait de la première vague et du manque de place pour les patients atteints de ces maladies. À l’époque, le vaccin n’était pas disponible et les arbitrages avaient été faits au mieux. Mais la donne est-elle la même aujourd’hui avec des sérums qui offrent une protection scientifiquement prouvée?
Sur ce point, le président de la République Emmanuel Macron, dans son interview du 4 janvier au Parisien, a fait montre d’un avis très tranché, parlant de “l’immense faute morale des antivax”. Et d’ajouter: “Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen.”
Le risque d’une discrimination
Il n’en reste pas moins que de nombreux médecins veulent se tenir à l’écart de ce débat politique sur la vaccination, qu’ils jugent déplacé. “Que le statut vaccinal -qui n’est pas un critère médical- devienne un élément de choix serait une discrimination”, s’insurge par exemple un urgentiste interrogé dans l’article de La Croix. Dans un contexte de pénurie, le critère d’admission, c’est l’urgence. Que le patient se soit lui-même mis en danger ou pas.”
Et de poursuivre cette démonstration en grossissant le trait, dressant un parallèle avec les fumeurs qui ne seraient plus prioritaires s’ils développaient un cancer, comme les automobilistes accidentés parce qu’ils auraient bu avant de prendre volant. En l’occurrence, de manière moins caricaturale certes, Emmanuel Hirsch rappelle que les candidats à une greffe ayant des comportements contre-indiqués (comme de trop boire d’alcool par exemple) n’ont pas la priorité.
Au-delà des critères médicaux, une priorisation qui se baserait sur un critère de mérite (les vaccinés seraient plus méritants que les non vaccinés) sort du champ médical et serait discriminatoireExtrait d’un communiqué de la Société française d’Anesthésie et de Réanimation.
Néanmoins, à l’heure actuelle, il n’existe pas de preuve scientifique que la vaccination “donne plus de chance de survie (en termes de quantité de vie et de qualité de vie)” entre deux patients aussi gravement atteints et qui nécessiteraient un passage en réanimation, comme l’a rappelé fin décembre la SFAR, Société française d’Anesthésie et de Réanimation.
Résultat, sans preuve scientifique permettant de soutenir qu’une personne vaccinée devrait être soignée, à gravité égale, avant une qui ne le serait pas, la SFAR conclut: “Au-delà des critères médicaux, une priorisation qui se baserait sur un critère de mérite (les vaccinés seraient plus méritants que les non-vaccinés) sort du champ médical et serait discriminatoire.” Sur ce point, l’association ajoute que même si la vaccination était imposée par la loi, les médecins ne pourraient éthiquement pas invoquer l’illégalité de la non-vaccination pour prioriser leurs choix de prise en charge.
Alors, comment convaincre les réfractaires?
À ces réflexions scientifiques, Emmanuel Hirsch ajoute une dimension psychosociale: comment imputer à toutes les personnes non vaccinées une même responsabilité alors qu’il n’est pas toujours possible de faire une distinction entre ceux refusent le vaccin “par conviction, et ceux influencés par un discours qu’ils ne sont pas en mesure d’analyser”?
Surtout que les textes fondateurs de la société française (l’universitaire cite le Code de la santé publique et la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’Homme) protègent tous les individus contre des discriminations dans l’accès au soin. “Pour quelque motif que ce soit.” C’est la raison pour laquelle, le 21 décembre dernier, un collectif de médecins signait dans Le Monde une tribune dans laquelle ils l’affirmaient sans détour: “La solution de ne pas admettre en réanimation les personnes ayant fait le choix de ne pas se vacciner n’est pas envisageable.” Une idée avec laquelle Emmanuel Macron -s’il clame vouloir “emmerder” autant que possible les non-vaccinés avec leur vie sociale- admet être d’accord: “Un soignant, il regarde quelqu’un qui est malade et il ne regarde pas d’où il vient, ce qu’il est.”
De nombreux médecins ne souhaitent de toute façon pas que le débat sur le fait de ne pas soigner les non-vaccinés donne lieu à des actes allant dans ce sens. Ils espèrent plutôt que le fait de mettre ce questionnement au cœur de la discussion fasse réfléchir les intéressés, et que cela leur permette de prendre conscience de la portée de leur choix, tant sur les autres malades que sur les soignants et le système de santé.
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