Poussés par la crise du Covid, les partisans de l’Italexit ont raté le coche
“Globalement, le sentiment eurosceptique est présent depuis de longues années en Italie. Il a été très europhile mais à partir des années 90 Silvio Berlusconi avait déjà eu des propos ou des effusions largement eurosceptiques. Même s’il n’était pas dans une optique de quitter l’UE”, rappelle Mathieu Gallard, directeur d’études à Ipsos, contacté par Le HuffPost. “En mars, au tout début de la crise on observait déjà que 83% des Italiens n’avaient pas confiance en l’UE pour faire face à la crise sanitaire”.
“Quand la pandémie a commencé à frapper le pays, les Italiens ont très mal perçu le refus de l’Allemagne et de la France d’envoyer des masques”, confirmait de son côté le spécialiste de l’Italie Marc Lazar pour Le Vif.
Un parti et une pétition pour les Italexiters
Ursula Von Der Leyen a eu beau s’excuser au nom de la Commission européenne, cette crise de confiance s’est inscrite après déjà plusieurs déceptions du coté italien, dont l’entrée dans la zone euro, la crise financière, ainsi que la gestion de l’afflux de migrants sur ses côtes.
Elle semble culminer cette semaine: le sénateur Gianluigi Paragone, exclu du Mouvement 5 étoiles (M5S), a lancé lundi -après plusieurs semaines de faux suspens- son nouveau parti: “Italexit”. Lequel a comme son nom l’indique pour principale objectif de faire sortir l’Italie de l’Union Européenne.
Gianluigi Paragone était même en visite cette semaine au Royaume-Uni pour rencontrer Nigel Farage. Jusqu’en 2019, le M5S et l’UKIP faisaient parti du même groupe au Parlement européen, avec notamment les eurodéputés français des Patriotes, parti fondé en 2017 par Florian Philippot.
Gianluigi Paragone n’est pas le seul à enfourcher la question du divorce italo-européen. Le député Vittorio Sgarbi, proche de Silvio Berlusconi, a lancé une pétition en ce sens pour demander un nouveau référendum sur la sortie de l’Italie de l’UE.
“Un espace laissé vacant par Matteo Salvini”
Les deux hommes ont pour point commun d’être de véritables personnages médiatiques, pointe Sofia Ventura, politologue et professeure à l’université de Bologne, contactée par Le HuffPost: “Ce sont un peu deux personnages du folklore politique, qui ne sont pas vraiment pris au sérieux. Paragone aime beaucoup être sur la scène, tout comme Sgarbi. Ce dernier a même récemment été sorti par la sécurité de la Chambre des députés après avoir insulté des femmes”, détaille-t-elle.
Surfant sur la vague eurosceptique du printemps, les deux hommes se glissent dans un espace laissé notamment vacant par le populiste Matteo Salvini, leader de la Ligue du Nord, et ses alliés des Frères d’Italie.
Assez virulent contre l’UE et notamment sa gestion de l’immigration, Matteo Salvini a adouci ses positions lors de son passage au gouvernement entre 2018 et 2019, tout comme le M5S, anciennement plutôt eurosceptique et qui gouverne désormais dans une coalition avec le Parti Démocrate de Giuseppe Conte.
“Salvini est dans une position très différente par rapport aux populistes des pays du nord, eux ne veulent pas qu’on donne de l’argent aux pays du sud. Pour les populistes de l’Italie, c’est très difficile de dire aux Italiens: ’On n’a pas besoin d’argent”″, analyse Sofia Ventura.
Un temps de retard
Mais si l’histoire contemporaine semble être friande de personnages comme Paragone ou Sgarbi, le coche est pour l’instant raté et les Italexiters condamnés pour le moment à rester marginaux, estiment Sofia Ventura et Mathieu Gallard. L’euroscepticisme a bien atteint des sommets au plus fort de la crise, mais ce sont désormais les enjeux économiques et surtout le plan de relance européen, dont l’Italie sera la première bénéficiaire, qui dominent désormais l’opinion publique.
“Il y a sans doute une demande italienne pour un parti comme Italexit, mais j’ai le sentiment qu’on n’est pas non plus dans la situation du Royaume-Uni, où l’UE était perçue comme une institution qui persécute. En Italie, elle a juste été perçue comme inefficace”, estime Mathieu Gallard. “Que ce parti se soit formé, c’est assez logique, mais ce n’est pas dit qu’il traduise une motivation forte de la majorité des italiens. Cela reste extrêmement marginal dans les sondages, on est à 2%, ça ne prend pas fortement pour l’instant”, poursuit le directeur d’étude chez Ipsos qui pointe par ailleurs des sondages plutôt positifs pour le président du Conseil, Giuseppe Conte.
Selon Sofia Ventura, le déroulé et les conclusions du sommet européen ainsi que la position endossée par la chancelière allemande, Angela Merkel, ont été autant d’éléments cruciaux pour contrer la poussée eurosceptique. “Merkel était vue comme le diable par les eurosceptiques italiens, mais son visage a changé. Elle a pris des positions plus sévères envers les frugaux. Giuseppe Conte a su exploiter cette situation. Il se présente désormais comme celui qui a gagné la partie et cherche à démontrer le rôle du gouvernement italien pour obtenir ces prêts”, note elle.
Pour autant note Sofia Ventura, le plan de relance présente de nombreuses conditions de prêts qui ne sont pas forcément pour emporter l’adhésion massive en Italie.
Rendez-vous électoraux cruciaux
Si Giuseppe Conte apparaît renforcé en sortie de crise, c’est peut-être finalement Matteo Salvini qui se retrouve le plus à la peine, face au risque d’être débordé sur sa droite par les Italexiters, mais aussi au sein de sa propre alliance avec les Frères d’Italie, emmené par Giorgia Meloni, en hausse dans les sondages, et surtout qui endosse une position plus europhile.
Le leader de la Ligue du Nord s’est montré sévère face à Giuseppe Conte, mais soft au regard du plan de relance. “Le problème de la pandémie est devenu plus important que l’immigration. Il a le discours de quelqu’un qui cherche comment il peut gérer son opposition face à la concurrence accrue de Meloni. Sa position plus modérée, le pousse lui aussi à se modérer”, explique Sofia Ventura.
Tous ont en tout cas rendez-vous à la rentrée pour plusieurs scrutins qui s’avèrent cruciaux pour l’avenir de l’Italie. Un référendum doit avoir lieu fin septembre sur une réduction de nombre de parlementaires et le mode de répartition des sièges. En parallèle, les élections régionales se tiendront dès le 15 septembre. Autant de moments qui permettront de jauger la popularité de Conte au plus près du terrain et la solidité de Matteo Salvini. “Suivant la progression du parti Italexit, on pourra voir alors si La Ligue et les Frères d’Italie cherchent à se radicaliser pour capter cet électorat”, relève Mathieu Gallard.
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