Prisons: « sidération » après l’annonce « surprise » d’une suppression des remises automatiques de peines
La fin de ce dispositif, peu contesté depuis sa mise en place en 2004, est la proposition la plus inattendue du projet de loi “pour la confiance dans l’institution judiciaire” en cours d’élaboration, avant sa présentation en conseil des ministres prévue mi-avril.
Pour Éric Dupond-Moretti, il s’agit d’“en finir avec l’hypocrisie” d’un système dont le seul but est de “réguler la population carcérale, sans le dire”.
“Il y a deux types de réductions de peines. Il y a celles que l’on obtient grâce à l’effort et il y a les réductions de peines automatiques. L’automaticité, c’est fait pour les machines et pas pour les êtres humains. (…) Moi, je veux privilégier l’effort”, a justifié le ministre ce mercredi sur France Inter.
“J’ai rencontré les juges de l’application des peines (JAP) pour évoquer cette réforme, ils sont prêts car cette réforme va dans le bon sens”, a-t-il encore assuré.
“On tombe des nues”, affirme Mathilde Valin, membre de l’association nationale des juges d’application des peines (Anjap) et juge à Paris. “C’est une très grande surprise pour nous, on est sous le choc de cette annonce complètement imprévisible”, ajoute-t-elle.
Voté dans le cadre de la loi Perben II en 2004, le dispositif octroie à chaque personne condamnée entrant en détention -à l’exception de celles condamnées pour terrorisme- une réduction de peine: trois mois la première année, deux mois les années suivantes, et pour les peines inférieures à un an, sept jours par mois.
Ces crédits de réduction de peine sont retirés en cas de mauvaise conduite ou d’incidents en détention. “C’est un non sens de dire qu’ils sont octroyés systématiquement”, estime Ludovic Fossey, membre de l’Anjap.
Actuellement, des réductions supplémentaires de peine (RSP) peuvent être accordées si un condamné manifeste “des efforts sérieux de réadaptation sociale”.
Le ministère envisage de rétablir les réductions de peine pour bonne conduite et de les fusionner avec ces RSP, selon un projet d’article consulté par l’AFP.
“Aberration”
“Ca valorise le détenu, ça l’incite à apprendre à lire, se soigner, travailler”, a insisté Éric Dupond-Moretti, jugeant “anormal” qu’une personne condamnée “qui décide de ne rien faire” sorte de prison en même temps que celle qui fait “tous les efforts nécessaires” pour se réinsérer.
“On dira que c’est une mesure populiste, moi je dis que c’est une mesure populaire”, a lancé le ministre. Il doit la défendre jeudi matin lors d’un déplacement à la maison d’arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis).
“C’est une communication absolument populiste, mais aussi affligeante” alors que les réductions de peine ont “une vocation; maintenir le bon ordre en détention”, se désole Amélie Morineau, avocate et présidente de l’association pour la défense des droits des détenus.
“On va demander aux JAP de statuer sur l’intégralité des crédits, à moyens constants, et sans que les offres d’accès aux activités, aux soins, au travail soient suffisantes”, particulièrement en cette période de pandémie, souligne l’avocate.
Avec ce “discours populiste”, Éric Dupond-Moretti “prend le risque de créer beaucoup de tensions dans les prisons”, juge Cécile Mamelin, vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire).
Ces réductions de peine sont “une carotte, un espoir. Celui qui ne comprend pas cela ne connaît pas le monde de la prison”, critique-t-elle.
“Il faut une carotte, mais pour le détenu qui s’en donne les moyens”, estime au contraire Emmanuel Baudin, secrétaire général de FO-Pénitentiaire. Pour lui, la mesure va “plutôt dans le bon sens”, même si elle va “forcément avoir un impact” sur la population carcérale.
Une “aberration” pour l’Observatoire international des prisons (OIP), qui rappelle qu’Éric Dupond-Moretti avait, quand il était encore avocat, signé une lettre ouverte pour appeler Emmanuel Macron à “ne pas renouer avec l’inflation carcérale”.
Pour l’OIP, comme pour le Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche), il y avait pourtant “urgence à agir”, alors que la France a été condamnée en janvier 2020 par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour son surpeuplement carcéral chronique et ses conditions indignes de détention.
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