Que signifie la « gratuité intégrale de l’école » voulue par le NFP ?
« Faire les premiers pas pour la gratuité intégrale de l’école. » Ce 14 juin, lorsque le Nouveau Front populaire (NFP) présente son programme, la mesure pour la gratuité de l’école est résumée en une phrase. C’est pourtant l’une des propositions phare de la coalition de gauche concernant l’éducation.
En 2022, elle figurait déjà dans le programme de Jean-Luc Mélenchon, alors candidat de la France insoumise (LFI) lors de l’élection présidentielle.
Cette mesure sur la gratuité de l’école n’a pas fait tant débat au sein du Nouveau Front populaire, indique Rodrigo Arenas, ancien président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) et député LFI depuis 2022. « La plupart des partis sont convaincus de cette mesure. C’est sa mise en œuvre qui demeure un sujet de discussion. »
« L’instruction est gratuite en France, autrement dit ce ne sont pas les familles qui rémunèrent les enseignants et les bâtiments scolaires. Cependant, certaines dépenses reposent sur les familles, notamment la cantine, les transports scolaires, les activités périscolaires ou encore les fournitures », explique l’élu.
Pour Antoine Math, économiste au sein de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) qui a notamment travaillé sur les cantines scolaires, il s’agit d’un argument de taille en faveur de cette mesure.
« Il semble logique que, lorsque la loi prévoit que l’école publique soit obligatoire et gratuite, tout ce qui est inhérent à cette école doit aussi être gratuit. »
Mais le chercheur identifie deux freins à cette gratuité : son coût public, « ce qui peut avoir son importance dans une société où règne une vision négative des dépenses publiques », mais aussi le risque de déresponsabilisation et de gaspillage que cela peut induire, « comme la plupart des mesures qui aident financièrement les personnes les plus pauvres ».
14 milliards d’euros… avec le privé
Cette gratuité concernerait « tous les niveaux, de la maternelle au bac », précise Rodrigo Arenas. « Il y a un flou sur le cas des étudiants post-bac qui sont scolarisés dans les lycées, reconnaît le député. Il conviendra d’en discuter. »
Le NFP prévoit des dépenses à hauteur de 25 milliards pour l’année 2024 destinées à des mesures de ruptures
Qu’en est-il du coût d’une telle mesure ? Lorsque le NFP a présenté le chiffrage macroéconomique de son programme, la formation politique prévoyait des dépenses à hauteur de 25 milliards pour l’année 2024 destinées à des mesures de ruptures.
« La gratuité intégrale de l’école publique figure parmi les mesures d’urgence qui seraient prises très rapidement », indiquait Eric Coquerel, député LFI et président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale.
L’Institut Montaigne a publié un chiffrage du coût moyen de cette mesure à partir d’une étude de l’Education nationale de 2015 qui évalue les dépenses couvertes par les familles pour la scolarité de leur enfant (droits d’inscription, cantine, transport, voyages scolaires), un élève de maternelle coûterait 490 euros par an, un collégien 690 euros et un lycéen 890.
En ajustant ces montants à l’évolution de l’inflation depuis 2015, le think tank libéral établit le coût de cette mesure à 11,8 milliards d’euros si le dispositif se limite aux élèves des établissements scolaires publics, 14,3 milliards d’euros s’il intègre les élèves des écoles, collèges et lycées privés sous contrat. Le périmètre devra être discuté, reconnaît Rodrigo Arenas :
« A mes yeux, seuls les établissements accueillant tous les élèves pourraient profiter de cette mesure. Mais la question se pose pour les écoles privées qui pallient l’absence du public dans certains territoires, comme la Bretagne. Ce sera un débat politique à avoir. »
Un système décentralisé
La gratuité de certaines dépenses scolaires a déjà été adoptée par certaines municipalités ou départements, comme Lille et Roubaix, où les mairies accordent un kit de fournitures scolaires à chaque élève de primaire.
La ville de Saint-Denis a étendu la gratuité des cantines qui concernera, pour la rentrée prochaine, les élèves de la maternelle au CE2, mais aussi les classes UP2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) et les classes Ulis (unités localisées pour l’inclusion scolaire). Quelques collectivités ont rendu gratuits les transports, comme le conseil départemental de Haute-Garonne.
Le rôle des collectivités n’est plus à démontrer sur les sujets scolaires, et pour le NFP, il n’est pas question que la gratuité implique une centralisation, souligne Rodrigo Arenas :
« L’idée est que l’Etat transmette aux collectivités une enveloppe dédiée à ces dépenses, pas qu’ils reprennent tout en main. Les collectivités ont une expertise sur ce sujet, par exemple pour la cantine, elles connaissent les acteurs locaux pour faire du circuit court. »
Quelles seraient les conséquences de cette gratuité ? Difficile de le dire, mais concernant la cantine, « des études montrent que le coût de ce service est l’un des déterminants majeurs pour expliquer le taux de fréquentation », souligne Antoine Math.
« Des études montrent que le coût de la cantine est l’un des déterminants majeurs pour expliquer le taux de fréquentation », Antoine Math, économiste
D’autant que, dans le système français, la cantine est reconnue comme un temps éducatif, « où l’on apprend le vivre ensemble, l’hygiène ou la diététique ». Pour les enfants qui en sont privés, faute de revenus de leurs parents, cela peut créer un sentiment d’exclusion. « D’autant que pour les parents très précaires, devoir récupérer les enfants le midi est un frein à l’accès à l’activité professionnelle. »
Droit inaliénable, gratuité universelle
Dans son étude, le décidément très libéral Institut Montaigne estime que le gouvernement de gauche « devra prouver l’opportunité de la mesure au vu de l’existence de dispositifs similaires comme l’allocation de rentrée scolaire (ARS) dont bénéficient déjà 3 millions de familles sur condition de ressources ».
Et l’Institut d’insister : « En effet, le caractère universel de la mesure pourrait être vu comme une aggravation excessive et non nécessaire de la dépense publique. » Pour le député Rodrigo Arenas, le débat entre universalité ou conditionnement n’a pas lieu d’être :
« L’éducation est un droit inaliénable, pas un chèque. Cette gratuité universelle existe notamment en Finlande où la puissance publique reconnaît le statut de l’élève, dont le seul travail est d’étudier. Si l’on compare avec l’hôpital, tout le monde y a accès, on ne touche pas des chèques pour aller se faire soigner. »
Antoine Math établit un parallèle avec la Sécurité sociale issue du programme de la Résistance : « Riches comme pauvres, chacun y contribue selon ses moyens, via l’impôt, et en bénéficie selon ses besoins. D’autant que l’universalisme permet de créer des systèmes solides, soutenus par la population, souples dans le temps. »
A l’inverse, « un programme ciblé pour les personnes précaires présente des faiblesses. Comme on le dit souvent en sociologie des politiques publiques : un programme pour les pauvres devient un pauvre programme ».
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