Radiographie d’un territoire RN : la Meuse
La carte des résultats par commune du premier tour des élections législatives dans la Meuse est univoque. Le bleu foncé du Rassemblement national (RN) est hégémonique. Une poignée de communes seulement affichent une nuance de bleu plus claire, signalant qu’ils ont placé en tête un candidat divers droite.
Une seule commune a placé le candidat de gauche en tête : Belrain. Pas moins de huit électeurs ont choisi le bulletin Olivier Guckert (socialiste, 1re circonscription), contre sept suffrages pour le RN et pour le candidat divers droite, et une pour Debout la France, dans ce village de 35 habitants.
Résultat : les deux députés envoyés par le département sont issus du parti lepéniste. Dans la 2e circonscription, au nord de la Meuse, Florence Goulet a même été réélue dès le premier tour avec 50,63 % des voix. Alors, quelles sont les raisons de ce succès électoral ?
Le boom du RN dans les années 2010
Difficile de saisir en quelques lignes tous les déterminants qui ont poussé les 42 824 personnes ayant déposé un bulletin RN dans l’urne lors du premier tour en Meuse. Cependant, les acteurs locaux pointent un certain nombre de déterminants et d’analyses qui se recoupent souvent, bien que ces observateurs appartiennent à des sphères très différentes.
D’abord, rappelons que le vote RN n’est pas nouveau dans le département. Déjà lors des législatives de 1997, 18 % des suffrages s’étaient portés sur une candidature frontiste, soit plus qu’au niveau national (15 %).
Après avoir perdu de la vitesse au tournant des années 2000, le parti progresse fortement en 2012, puis récidive en 2017 et transforme l’essai en 2022 en élisant pour la première fois une députée du RN, Florence Goulet, dans la 2e circonscription.
Au scrutin européen, la Meuse est le quatrième département qui a le plus voté pour la liste de Jordan Bardella, à 46 %. Mais ce choix s’exprime surtout aux élections nationales et européennes. « Je connais beaucoup d’électeurs qui votent RN aux élections nationales, mais qui ont voté pour moi aux municipales », pointe Samuel Hazard, maire PS de Verdun.
Le succès éclatant de Florence Goulet n’est pas à mettre au compte d’un quelconque ancrage local. Originaire de Normandie, elle est critiquée pour être peu présente sur sa circonscription. Même le président du Medef de la Meuse n’a pas eu l’occasion de la rencontrer, malgré son invitation.
« Elle n’a pas fait grand-chose à part se faire photographier avec des maires de petits villages », raille Colette Nordemann, présidente de l’association Amatrami, qui accompagne les personnes migrantes en Meuse.
Rejet du macronisme
Les candidatures du RN ont été portées largement par un rejet du pouvoir macroniste et de sa verticalité. « On entend une colère très puissante contre le président de la République », témoigne Samuel Hazard.
Depuis l’hôtel de ville de Verdun, il dénonce un manque de considération des élus locaux et regrette l’absence de concertation sur nombre de projets qui « viennent de Paris » et sont imposés aux collectivités locales.
De la CFDT à la Chambre d’agriculture, on regrette que les corps intermédiaires et la société civile aient été si peu écoutés
De la CFDT à la Chambre d’agriculture, on regrette en effet que les corps intermédiaires et la société civile aient été si peu écoutés. Une brutalisation de la vie politique qui s’est illustrée par l’utilisation répétée de l’article 49-3 « pour faire passer des lois contre la volonté d’une majorité des Français », rappelle Philippe Caille, de la CFDT agriculture et agroalimentaire en Meuse.
« Les Meusiens ont été déçus par les politiciens de gauche comme de droite, qui n’ont pas su répondre à leurs préoccupations. Alors ils se disent qu’ils peuvent essayer autre chose : le RN », estime de son côté Johan Laflotte, candidat malheureux du Nouveau Front populaire dans la 2e circonscription.
« Le personnel politique a longtemps capitalisé en revendiquant qu’il pouvait tout faire. Mais ce n’est pas vrai : chaque collectivité a ses compétences et ses limites. Il faut sortir de la recherche de l’homme providentiel et plutôt travailler en collectif », suggère Richard Papazoglou, le président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de la Meuse et de la Haute-Marne.
De son côté, le maire de Verdun propose une nouvelle phase de décentralisation, afin de donner plus d’autonomie aux collectivités locales et rapprocher les décisions des habitants. « La ruralité se sent méprisée par le pouvoir central », pointe-t-il.
Colère des agriculteurs
Dans ce territoire, l’agriculture occupe une place déterminante. Elle représente 12 % de l’emploi total du département (contre 2,6 % en France), et même 15 % si l’on inclut les salariés de l’agroalimentaire.
Cette caractéristique colore l’électorat, les agriculteurs penchant plus à droite que la population générale. Et si la profession a longtemps été moins sensible à l’extrême droite que la moyenne, la colère du monde agricole pousse de plus en plus les exploitants vers les partis RN ou Reconquête.
« Avec la mondialisation et le libéralisme, on a ouvert en grand notre marché. Les agriculteurs ont été mis en concurrence avec des productions venues du bout du monde, qui ne sont pas soumises aux mêmes contraintes sociales et économiques. Face à cela, ils se sont sentis abandonnés, par la France et par l’Europe », décrypte Nicolas Perotin, président de la Chambre d’agriculture de la Meuse.
L’UE, en particulier, concentre les critiques pour l’empilement de réglementations et de contrôles administratifs mal compris par la profession.
A ce contexte, Nicolas Perotin ajoute : « Les modérés n’ont pas voulu parler de la montée de l’islamisme, de celle du racisme, ou de l’insécurité. » Une affirmation surprenante, alors que les textes de loi sur le « séparatisme islamiste » ou sur la sécurité se multiplient ces dernières années.
« Ils ont refusé d’envisager des mesures protectionnistes et sont devenus inaudibles, tandis qu’en face les extrêmes proposent des réponses simples à des problèmes compliqués », poursuit-il.
A l’orée de la 17e législature, Nicolas Perotin désigne quelques priorités : défendre la souveraineté alimentaire française, qui doit passer par la production et non la décroissance, la simplification des normes, l’attractivité du métier d’agriculteur et une meilleure répartition des marges pour augmenter leurs revenus.
Pouvoir d’achat et services publics en berne
Les revendications économiques et sociales sont d’ailleurs un des facteurs repris par les acteurs de terrain interrogés. En Meuse, le taux de chômage se situe à 7,5 %, au niveau de la tendance nationale (7,3 %). Mais l’emploi est un peu moins qualifié, ce qui se ressent sur la médiane du revenu disponible à 21 890 euros, inférieur à celui du Grand-Est (22 960 euros) et de la France métropolitaine (23 080 euros).
« La classe moyenne voit son pouvoir d’achat décrocher et se sent déclassée, ce qui la pousse vers le Rassemblement national », juge Richard Papazoglou, de la CCI.
Richard Papazoglou, de la CCI, souligne que la crise énergétique a chamboulé les modèles économiques desTPE et PME
Il souligne par ailleurs que la crise énergétique a fortement chamboulé les modèles économiques des entreprises, en particulier des TPE et PME. « Je rencontre de plus en plus de chefs d’entreprise qui votent RN et qui ne s’en cachent pas », précise le président de la CCI.
« J’habite dans un village où il n’y a plus que des personnes âgées, qui se sentent abandonnées, loin des services publics », raconte Colette Nordemann, de l’association Amatrami. La Meuse perd en effet environ 1 000 habitants par an. Selon l’Insee, si les tendances se poursuivent, le département passerait à 132 000 habitants en 2070 (contre 185 000 en 2018, soit -29 %).
Le vieillissement devrait quant à lui s’accélérer. En 2021, 24 % de la population avait plus de 65 ans en Meuse (contre 21 % dans la France entière). Cette part devrait grimper à 34 % en 2070, supérieure de cinq points à la projection hexagonale (29 %).
L’étranger, bouc émissaire
« On a tenté de faire campagne sur la désertification et la suppression des services publics. Les bourgs et les villages manquent en particulier de médecins, explique Johan Laflotte. Les gens partageaient ces préoccupations, mais ils ont trouvé d’autres solutions que les nôtres, en désignant des boucs émissaires, souvent les étrangers. »
« Il ne faut pas analyser ce vote en décrétant que nous sommes un territoire raciste », réfute Richard Papazoglou de la CCI. Tout le monde ne partage pas cet avis. Le maire de Verdun juge par exemple que les réseaux sociaux et certaines télévisions comme CNews propagent des théories du complot et la xénophobie. Des maux qui touchent les habitants meusiens comme tous les Français.
Pourtant, les immigrés sont peu nombreux dans le département. Ils représentaient 3,6 % de la population en 2020-2021, largement moins qu’au niveau national, où ils comptent pour 10 % de la population.
« Nos bénéficiaires ne nous rapportent pas de hausse des comportements racistes. Mais ils ont en général peu de contacts avec la population, et encore moins récemment. Depuis les élections, ils se cachent : ils ont très peur », soupire Colette Nordemann.
Elle et ses équipes de l’association d’aide aux migrants partagent cette crainte pour leur sécurité et celle de leurs locaux récemment rénovés, et pour leurs subventions, déjà en baisse depuis quelques années.
Le moral de Colette Nordemann est très bas. Elle ne manque pourtant pas de propositions. En premier lieu : autoriser tous les demandeurs d’asile à travailler dès le dépôt de leur demande. « Cela permettrait de sécuriser les personnes migrantes et d’améliorer leur intégration », estime-t-elle. Une manière d’œuvrer au vivre ensemble.
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