Sécurité sociale : le gouvernement obsédé par les économies
Adapter le modèle social français à la donne du XXIe siècle : telle était la promesse du candidat En Marche en 2017. Pour ce faire, Emmanuel Macron proposait de rendre « universelles » l’assurance chômage et les retraites. La première, en l’ouvrant aux démissionnaires et aux indépendants ; les secondes, en fusionnant les 42 régimes et en instaurant un système à points.
D’après le programme, ces deux grandes réformes devaient être menées à budget constant. En effet, elles n’étaient pas concernées par les 25 milliards d’euros d’économies prévues sur « la sphère sociale », dont plus de la moitié ciblait la santé.
Le coût de l’élargissement des droits au chômage devait être exactement compensé par un durcissement des règles d’indemnisation. En revanche, pour les retraites, « aucune mesure d’économie n’est programmée », est-il mis en avant dans le programme. En réalité, il n’a été question que d’économies durant le quinquennat.
Par crainte d’un dérapage financier, le gouvernement a largement revu à la baisse son projet « d’universalisation » de l’assurance chômage, inscrit dans la loi « avenir professionnel ».
Entrée en vigueur en novembre 2019, l’ouverture aux démissionnaires ne devrait concerner que 17 000 à 30 000 personnes, selon l’étude d’impact de l’Unédic, et 30 000 bénéficiaires chez les indépendants. La facture finale s’élèverait finalement à 440 millions d’euros par an, soit près de six fois moins que le chiffrage inscrit dans le programme, qui prévoyait 2,5 milliards d’euros. Et encore, il ne s’agit là que de prévisions. Car, pour l’instant, on est loin du compte. Entre novembre 2019 et décembre 2020, seuls 6 300 démissionnaires ont bénéficié du nouveau dispositif.
A l’inverse, les mesures compensatrices n’ont pas été abandonnées. Reportée à cause de la pandémie, la réforme de l’assurance chômage est bien entrée en vigueur au 1er octobre 2021, pénalisant les allocataires, notamment via la modification du calcul des indemnités et de la durée travaillée pour accéder aux droits. Au total, 2,3 milliards d’euros d’économies par an sont attendues, sans compter le bonus-malus sur les contrats courts qui concerne les entreprises.
Divergences au sein de l’exécutif sur les retraites
La réforme des retraites, elle, n’a pas survécu à la crise sanitaire. D’emblée, Edouard Philippe a prévenu que le système devait revenir à l’équilibre financier avant de basculer dans la nouvelle formule. Pour ce faire, le gouvernement a dégainé le fameux âge pivot à 64 ans. Celui-ci devait même entrer en vigueur avant la réforme, de sorte à faire des économies sur les derniers à partir en retraite sous l’ancien système.
Surtout, le projet de loi prévoyait de maintenir durant de longues années l’indexation des droits, en l’occurrence des points, sur l’inflation. Or, pour mémoire, ce mécanisme est à l’origine de la baisse à venir des dépenses de retraite (exprimées en pourcentage du PIB) et de la dégradation progressive du niveau de vie des retraités.
On est loin de la promesse de campagne de ne faire « aucune mesure d’économie ». En réalité, le programme d’Emmanuel Macron s’est révélé « incohérent » avec l’objectif de baisse des dépenses publiques que s’est fixé le gouvernement, pointe Antoine Bozio, directeur de l’Institut des politiques publiques, consulté par le candidat En Marche sur le volet retraites.
« En comparaisons internationales, la France a un niveau de dépenses publiques plus élevé et cela s’explique principalement par le montant consacré aux retraites : près de 14 % du PIB, contre 10 % en Allemagne par exemple », rappelle l’économiste. A elles seules, les retraites représentent le quart des dépenses publiques, ne pas y toucher signifiait pour le gouvernement couper davantage ailleurs s’il voulait tenir ses objectifs, mais où ? « Le programme ne donnait pas de réponse claire », constate Antoine Bozio.
Ancien membre des Républicains, Edouard Philippe voulait, comme François Fillon en 2017, reporter l’âge de départ à la retraite. Sauf qu’Emmanuel Macron s’était engagé à ne pas toucher aux 62 ans. De cette divergence au sein des deux têtes de l’exécutif est née cette réforme brouillonne et impopulaire, qui n’a pas survécu à la pandémie, bien qu’elle ait passé le cap de l’Assemblée nationale via un 49-3 dégainé le jour où s’est tenu le premier conseil de défense sur la crise sanitaire…
Désormais, Emmanuel Macron a tiré un trait sur son projet de système universel. Lors de ses dernières prises de paroles, il a plaidé pour le report de l’âge légal et la suppression des régimes spéciaux, esquissant l’idée de s’en tenir à trois régimes (privé, public et indépendants) lors de l’interview sur TF1-LCI mi-décembre.
« Assurer un contrôle financier »
Il n’est pas anodin que les deux grandes réformes de la protection sociale concernent les assurances chômage et retraite. Aujourd’hui, seules l’Unédic et l’Agirc-Arrco (le régime de retraites complémentaires du privé) « demeurent gérées sur le mode paritaire », autrement dit par les syndicats et le patronat, souligne Michaël Zemmour, chercheur au Liepp Sciences Po, dans Le système français de protection sociale (La Découverte, 2021).
Ce sont eux qui pilotent les dépenses, représentant 5,5 points de PIB (une trentaine de milliards d’euros pour l’Unédic et une centaine pour les retraites complémentaires Agirc-Arrco, NSA, etc.), soit autant d’argent échappant au contrôle de l’Etat.
Les deux réformes visaient à ce que ce dernier prenne partiellement ou complètement la main sur leur gestion afin « d’assurer un contrôle financier », analyse Michaël Zemmour pour Alternatives Economiques. « Les comptes sociaux font partie de la dette publique et Bercy juge que les sommes en jeu sont trop importantes pour être laissées aux mains des partenaires sociaux. Tout au long du quinquennat, l’Etat a cherché, sans y parvenir totalement, à prendre définitivement le contrôle de ces organismes pour garantir une réduction structurelle des dépenses sociales. »
Alors que le programme du candidat En Marche prévoyait l’étatisation de l’assurance chômage, la loi avenir professionnel a établi un nouveau mode de fonctionnement : le gouvernement définit le cadre de négociation et, si les partenaires sociaux ne parviennent pas à s’accorder, il reprend la main. La seconde option a primé : le ministère du Travail a écrit la dernière réforme qui est passée par décret.
Quant à l’Agirc-Arrco, elle devait se fondre dans le nouveau système à points. Siégeant au conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite universelle, les partenaires sociaux auraient eu un pouvoir de décision – celui de déterminer les paramètres : valeur du point, taux de cotisation, âge pivot, etc. –, mais dans un cadre contraint, à savoir le respect d’une règle d’or budgétaire inscrite dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Dans le cas contraire, là aussi, l’Etat aurait repris la main.
« On notera que l’objectif assigné est avant tout d’assurer l’équilibre financier du système, les objectifs sociaux (le niveau de vie des retraités) étant oubliés », soulignait Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE, lors de la présentation du projet de loi.
Politique des caisses vides
L’autre moyen d’assurer un contrôle budgétaire de la Sécurité sociale est d’intervenir directement sur son financement.
Le quinquennat Macron a poursuivi la tendance visant à substituer de plus en plus les impôts aux contributions sociales. La suppression des cotisations salariales maladies et chômage a ainsi été compensée par une hausse de la CSG et la transformation du CICE en baisse pérenne de cotisations (notamment employeur) par l’affectation d’une fraction de TVA supplémentaire.
L’objectif premier de ces mesures tient à des considérations de politique économique : le gouvernement augmente la contribution des retraités pour baisser celle des travailleurs, et surtout réduit celle des employeurs en demandant davantage aux consommateurs afin de financer les mesures de baisse du coût du travail – dont l’efficacité est pour le moins contestée par les évaluations.
En même temps, « cette évolution sert ensuite d’appui à l’argument suivant : puisque l’Etat paye, il décide », résume Michaël Zemmour.
Le gouvernement est allé encore plus loin en ne compensant plus à la Sécurité sociale les pertes de recettes liées aux nouvelles exonérations. Résultat, en 2019, elle aurait été en excédent si l’Etat avait comblé le trou laissé par certaines mesures gilets jaunes.
La crise sanitaire aussi a apporté des changements avec l’activité partielle, financée à un tiers par l’Unédic et exonérée de cotisations – expliquant l’essentiel du creusement du déficit des retraites, les dépenses demeurant sur une trajectoire maîtrisée. Bien sûr, au niveau agrégé, tout ceci constitue du déficit public, mais le gouvernement en fait un usage politique.
« A chaque fois, il fait apparaître artificiellement des déficits dans les comptes sociaux, dramatise la situation dans sa communication et propose comme unique solution pour « sauver le système » de faire des économies, jamais d’augmenter les recettes ou de faire un mix », retrace Michaël Zemmour. « La politique des caisses vides n’a jamais été aussi claire que ces cinq dernières années. »
Cette obsession des économies sur la protection sociale est le pendant d’une autre : la baisse des impôts. Persuadé que la fiscalité est trop élevée en France et nuit aux performances économiques, le gouvernement a fait de sa réduction une priorité. Pourtant, « il n’existe pas de consensus scientifique sur un niveau optimal de prélèvements obligatoires », affirme Antoine Bozio. « A mon sens, il est possible d’avoir des niveaux élevés comme en France, voire plus, et d’avoir un fort dynamisme économique, les pays nordiques le prouvent. » Selon lui, il importe plus de s’intéresser à leur structure et leur efficacité. La question est moins de savoir s’il y a trop d’impôts, que de savoir si ce sont les bons.
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