SOLDAT BLEU
(SOLDIER BLUE) Ralph NELSON – USA 1970 1h55mn VOSTF – avec Candice Bergen, Peter Strauss, Donald Pleasence, John Anderson, Jorge Rivero, Dana Elcar… Scénario de John Gray d’après le roman Arrow in the Sun de Theodore V. Olsen.
Du 28/08/24 au 17/09/24
C’est un film qui a fait date, qui a marqué les esprits au début des années 70. Après Soldat Bleu, on ne pouvait plus regarder les westerns classiques tout à fait comme avant, même si on continuait à admirer John Ford, Raoul Walsh ou Howard Hawks. Question de regard, question de traitement de deux figures souvent sacrifiées par le western hollywoodien : la Femme et l’Indien…
Le vrai héros de Soldat Bleu est une femme : Christa (magnifique Candice Bergen), une jeune femme qui a vécu deux ans captive parmi les Cheyennes et qui, sans aucun syndrome de Stockholm, en a néanmoins conçu une réelle connaissance et un sincère respect du peuple de ses ravisseurs. Elle est sur le point de revenir à la civilisation (enfin d’un point de vue blanc) et de rejoindre son nouveau fiancé quand son convoi est attaqué par les Cheyennes, la laissant en fuite, seule survivante avec un jeune soldat plein d’illusion : un bleu, non pas à cause de la couleur de sa tunique mais plutôt du fait de son inexpérience.
La première partie du film est un vrai bonheur féministe. Dans le périple en plein territoire hostile des deux fugitifs, c’est bien Christa qui mène la danse, apprenant à l’ingénu soldat les astuces de la survie, jurant comme un charretier sous le regard choqué du jeune homme, faisant preuve d’une joyeuse impudeur, n’hésitant pas pour des raisons pratiques à se débarrasser de ses jupons pour bouger plus facilement ou à se lover la nuit contre lui pour se réchauffer, vantant l’amour libre et assumant son matérialisme contraire à l’idéal gnangnan romantique des héroïnes de western classique.
Toute cette première partie est drôle et truculente, magnifiée par une lumière qui rend hommage aux paysages sauvages, ponctuée de rencontres étonnantes (le génial Donald Pleasence en trafiquant d’armes crapoteux), avec un épisode quasi rousseauiste où les deux comparses – au demeurant fort peu faits l’un pour l’autre – se retrouvent dans une caverne du bonheur. On voit dans cette partie la tendresse du réalisateur pour la société indienne dont il admire de toute évidence le modèle égalitaire, y compris sur la sexualité.
Et c’est d’autant plus choquant et perturbant de découvrir la suite qui évoque avec un réalisme saisissant la cruauté incroyable du massacre de Sand Creek : le 29 Novembre 1864, un bataillon de la cavalerie américaine s’est abattu sur un village cheyenne pacifique pour massacrer, violer, démembrer, décapiter hommes, femmes et enfants. Une expédition barbare qui fit dire au général Miles que « cet épisode fut probablement le plus ignoble et le plus injuste dans les annales de l’Amérique ».
Deux ans avant 1970 et la réalisation de Soldat bleu, l’armée américaine avait rasé le petit village vietnamien de My Lai, abattant sans distinction femmes, enfants, vieillards. Le récit de ce massacre par le magazine Life marqua profondément l’opinion publique américaine et favorisa l’essor du mouvement pacifiste. Ainsi Ralph Nelson, cinéaste issu de la télévision et spécialiste des pamphlets antiracistes (il dirige Sidney Poitier à plusieurs reprises), ne cherche pas seulement à poursuivre la réhabilitation de la figure de l’Indien dans le western entamée vingt ans plus tôt avec La Flèche brisée de Delmer Daves et parachevée en cette même année 1970 par Little Big Man d’Arthur Penn : son film témoigne surtout du désenchantement politique et de l’indignation morale d’une partie de la population américaine face aux atrocités passées et présentes commises par son pays. Et Soldat bleu, western pacifiste, féministe et antiraciste, d’une crudité visuelle digne des films de Peckinpah, dénonçant sans ambages les démons génocidaires fondateurs de l’Amérique, est aujourd’hui encore d’une terrible actualité.
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