Peut-on imposer davantage le secteur aérien ?

ECONOMIE

Peut-on imposer davantage le secteur aérien ?

Le secteur aérien est l’une des rares industries pour lesquelles l’État envisage un relèvement de l’imposition. Dans le projet de budget actuellement debattu au Parlement, le gouvernement se propose d’accroître la taxe sur les billets d’avion, ce qui en fait un sujet de débat. Le rendement fiscal espéré : un milliard d’euros. Parmi les 19,3 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires souhaitées par Bercy, cette mesure n’est donc pas négligeable.

Le domaine, notamment la Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers (Fnam), s’est naturellement mobilisé contre cette décision, évoquant un risque de disparition de «segments entiers du transport aérien », d’érosion des compagnies nationales face aux étrangères ou de «pénalisation de l’attractivité de la France comme destination ».

Au-delà de ce discours attendu, une interrogation se pose : est-il réellement envisageable d’augmenter la fiscalité sur le secteur aérien ? Pour soutenir la réponse négative, la Fnam souligne la composition du prix d’un billet d’avion, prenant comme exemple un trajet Paris-Nice à 130 euros, où les taxes représentent 40 %.

Cependant, ce chiffre s’avère trompeur, car il englobe des redevances aéroportuaires équivalentes à 16 % du coût de ce Paris-Nice, qui ne constituent pas une taxe, mais un coût d’utilisation des aéroports – tout comme 30 à 40 % du montant d’un billet de train sert à l’entretien du réseau : voies, gares, etc.

Les prélèvements qui relèvent des taxes – TVA, tarif de solidarité (TSBA), tarif de l’aviation civile, taxes sur les nuisances sonores (TNSA) – ne représentent que 15 % d’un vol Paris-Nice, à quoi peut s’ajouter une taxe sur la sûreté et sécurité, financant les missions régaliennes dans l’aéroport, portant le total des taxes à 21 % du prix.

Un secteur très soutenu

Une analyse de la situation fiscale de l’aérien révèle un secteur largement soutenu. Les billets d’avion pour les vola internationaux, y compris intra-européens, sont exemptés de TVA, dont le taux est réduit à 10 % pour les vols domestiques. Le kérosène ne subit pas la fiscalité énergétique (TICFE), contrairement à toutes les autres énergies, et le secteur bénéficie d’une exemption partielle du marché carbone européen.

L’ONG Transport & Environnement a ainsi conclu qu’en 2022, le secteur aérien a engendré un manque à gagner de 4,7 milliards d’euros pour l’État. Avec la tendance haussière du trafic, ce montant pourrait atteindre 6,1 milliards d’euros d’ici 2025.

Peut-on alors penser qu’une augmentation d’un milliard des prélèvements pour le secteur serait facilement supportable pour les compagnies aériennes ? La réalité est plus complexe : les compagnies constituent le maillon le moins rentable de la chaîne, et de nombreuses entreprises reçoivent un soutien de l’État, avec des recapitalisations fréquentes.

Bien que des disparités notables existent, les low-cost comme Ryanair et Easyjet affichent des marges supérieures à celles d’Air France-KLM ou Lufthansa, leurs bénéfices demeurent proportionnellement bien inférieurs à ceux des avionneurs et des aéroports.

Alors que le trafic aérien a atteint des niveaux records cette année et que le secteur se porte bien, les compagnies devraient générer environ 9 milliards de dollars de bénéfices nets sur le marché européen, représentant une marge positive, mais relativement faible, de 3,8 % selon les prévisions de l’Association du transport aérien international (IATA). Sans ces avantages fiscaux, le secteur pourrait-il maintenir un équilibre ? Ou plutôt : serait-il en mesure de soutenir un trafic aussi massif et en forte croissance ?

Un impact limité sur les prix et le trafic

Revenons aux conséquences de la taxe. Comme l’indiquent les compagnies, elle devrait être répercutée sur les voyageurs, les entreprises ayant du mal à diminuer leurs marges, ou très légèrement. Quelles en seraient les répercussions sur leur modèle économique ?

Les augmentations de prix des billets devraient être, pour un vol vers l’Europe, de l’ordre de 7 euros en classe économique et de 10 euros en classe affaires, et de 32 à 60 euros pour les longs courriers. Cela pourrait significativement augmenter le prix des billets de quelques points de pourcentage.

Il est difficile de prévoir les conséquences sur l’évolution du trafic, car elles dépendent de l’élasticité-prix des billets d’avion, c’est-à-dire de la variation à la baisse de la demande lorsque le prix augmente.

Cependant, comme l’expliquent les économistes Emmanuel Combe et Paul Chiambaretto, cette élasticité est faible : « L’impact du PIB est deux fois plus conséquent que celui du prix du billet : cela signifie que […] le PIB explique les deux tiers de l’évolution du trafic aérien dans le monde. » En somme, la croissance économique et l’évolution des revenus auront bien plus d’impact sur le trafic que l’augmentation d’une taxe.

« Selon nos analyses, une telle augmentation de la taxe ne devrait pas stopper la hausse du trafic aérien, mais seulement permettre d’en modérer quelque peu la croissance », déclare Jérôme du Boucher, en charge de l’aviation au bureau français de l’ONG Transport & Environnement.

Une étude du Secrétariat général à la planification écologique avait d’ailleurs anticipé qu’une hausse de la taxe sur les billets d’avion réduirait la croissance des vols internationaux au départ de la France de seulement 2 % à 1,8 %.

Comment atteindre la sobriété ?

Le mouvement Transport & Environnement souligne cependant que cette augmentation de la fiscalité ne devrait être qu’un début, incitant à ce que la taxe française rejoigne à moyen terme le niveau de son équivalent britannique, qui est deux à trois fois plus élevée.

« Pour réussir la décarbonation du secteur, il est essentiel de gérer le trafic afin que les solutions techniques puissent jouer leur rôle », soutient Jérôme Le Boucher.

En effet, le renouvellement des flottes d’avions devrait déjà permettre de diminuer la consommation de carburant, avec des gains d’efficacité énergétique de 15 à 25 %. Dans un second temps, les biocarburants devraient, selon les prévisions, remplacer le kérosène afin de diminuer la dépendance aux énergies fossiles.

Cependant, il sera impératif d’activer le levier de la sobriété en réduisant ou en maîtrisant le trafic, pour éviter l’effet rebond, c’est-à-dire que les gains d’efficacité énergétique se traduisent par une augmentation du trafic.

<pAinsi, si la voie d'un relèvement de la fiscalité est poursuivie, ce qui n'est pas du tout certain aujourd'hui, nous n'en serons qu'au début de la transformation du modèle économique des compagnies.

La triple incertitude que l'élection américaine impose au monde

ECONOMIE

La triple incertitude que l’élection américaine impose au monde

Tandis que notre classe politique s’interroge sur les mesures à prendre pour redresser nos finances publiques, un autre événement va avoir un impact considérable sur notre économie. Au moment où vous parcourez ces lignes, la nation la plus puissante économiquement, les Etats-Unis, est sur le point d’élire un nouveau leader. Enfin, peut-être.

En effet, d’après les récents sondages, le résultat semble prometteur d’incertitudes. Si l’écart est étroit entre les deux candidats, des recomptages prolongés sont à prévoir. Il se pourrait même que certaines circonscriptions ne communiquent pas les résultats pour engendrer le désordre. Il sera crucial de suivre de près qui remportera le Sénat et la Chambre des représentants.

D’autre part, si Donald Trump parvient à la victoire, il faudra composer avec un individu imprévisible. Les témoignages d’anciens conseillers dépeignent un homme souffrant de « troubles cognitifs » et admirateur des autocrates. Dans ce cas, un contre-pouvoir législatif incertain devra être espéré, reposant sur une alliance entre démocrates et républicains modérés.

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Mais même si Trump est défait, la démocratie américaine ne peut pas prétendre disposer des moyens nécessaires pour garantir le respect du vote. Le climat de guerre froide civile qui y règne est le principal souci que font peser les Etats-Unis sur la scène mondiale.

Le second facteur d’incertitude concerne le commerce. Les tendances protectionnistes de Trump (application d’un tarif douanier de 10 voire 20 % sur toutes les importations, et de 60 % pour les produits chinois) inquiètent les libéraux. Toutefois, comme Paul Krugman, nombreux sont les économistes qui jugent que de telles mesures ont des effets économiques limités. Gilles Moëc, le chef économiste d’Axa, résumait récemment le consensus parmi les économistes en affirmant que chaque point de tarif douanier additionnel accroît l’inflation de 0,1 point et réduit la croissance de manière équivalente.

Si Trump fait passer les droits de douane de 3 % à 10 %, cela induirait une inflation supplémentaire de 0,7 point et une diminution de 0,7 point de la croissance. Si, comme cela pourrait être le cas, le Canada et le Mexique sont épargnés, on resterait dans une fourchette de 0,25 point. Selon Hadrien Camatte de Natixis CIB, une telle augmentation des droits de douane aurait des conséquences modestes du côté français, ce que confirment les évaluations des experts du Cepii.

Les 60 % sur les produits chinois suscitent des inquiétudes plus importantes, car ils inciteraient les entreprises de ce pays à intensifier leurs ventes en Europe. C’est ici que se situe le véritable enjeu pour les Européens, selon Gilles Moëc.

Trump fait peu preuve d’empathie, même envers ses alliés économiques. Néanmoins, ne nous illusionnons pas sur une éventuelle Kamala Harris bienveillante. Elle défendra le capitalisme américain avec le sourire, endeuillant les affrontements avec ses partenaires, tout en n’offrant aucun avantage.

Devons-nous donc nous préoccuper de ces tendances protectionnistes ? Si l’histoire peut nous éclairer, rappelons-nous que dans les années 1930, le ralentissement de la croissance et les crises financières ont provoqué une chute des échanges, et non l’inverse.

Enjeux financiers

Les enjeux se révèlent en réalité davantage financiers que commerciaux. Quel que soit le nouveau président de la Maison Blanche, les calculs du Committee for a responsible federal budget, un think tank indépendant, indiquent qu’avec le programme de la démocrate Kamala Harris, la dette publique américaine devrait grimper de 4 000 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. Pour Trump, ce total serait de 8 000 milliards.

Autant dire que les Etats-Unis continueront à exercer leur fonction de bouffée aspirante d’épargne mondiale ces prochaines années. À une époque où tous les grands pays devront accroître leurs dépenses pour faire face au vieillissement de la population, à l’innovation technologique et à la transition écologique, la compétition pour l’épargne mondiale ne pourra que s’intensifier et entraîner une hausse généralisée des taux d’intérêt.

Cette lutte financière est d’autant plus probable que si Trump est réélu, il plaidera en même temps pour une déréglementation financière (ainsi que dans d’autres secteurs tels que l’environnement), que les acteurs européens, notamment les banques, chercheront à exploiter pour revendiquer des normes moins strictes dans leurs pays d’origine.

En résumé, les Etats-Unis ne semblent pas envisager de jouer le rôle d’un leader financier aimable. Surtout avec un Donald Trump qui rendrait le monde plus conflictuel, plus instable, plus pollué et plus coûteux.