Comment concilier apocalypse et échéance financière ?

ECONOMIE

Comment concilier apocalypse et échéance financière ?

La bataille contre le changement climatique ne pourra se faire sans une diminution des inégalités. C’est avec cette conviction que diverses structures de l’économie sociale et solidaire s’efforcent d’harmoniser la fin du monde et la fin du mois. Le Geres fait partie de cette démarche.

« L’association a vu le jour en 1976 suite au choc pétrolier, fondée par des chercheurs de l’université marseillaise engagés dans des projets d’énergie renouvelable », raconte Hasna Oujamaa, en charge du mécénat et des partenariats au Geres. Ils ont estimé qu’investir dans de tels projets ne devait pas uniquement profiter aux populations aisées et qu’il fallait donner la possibilité aux personnes en situation précaire d’y accéder. »

Le Geres, dont l’acronyme signifie « Groupe énergies renouvelables environnement et solidarité », agit ainsi depuis plus de quarante ans pour honorer cet engagement.

S’adapter au contexte local

Active dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, essentiellement dans la métropole d’Aix-Marseille, l’association lutte contre la précarité énergétique dans le secteur résidentiel.

« Nous soutenons les ménages afin qu’ils puissent diminuer leurs factures d’énergie et effectuer la transition énergétique de leurs logements », explique Hasna Oujamaa. Cela inclut aussi les habitations soumises aux chaleurs estivales pouvant frôler les 45 degrés. »

Les solutions offertes à ces ménages précaires vont des interventions d’urgence, comme la réparation d’un carreau brisé ou le remplacement d’ampoules incandescentes par des modèles plus économes en énergie, jusqu’à des rénovations plus importantes.

« Nous accédons aux logements afin de mieux comprendre leurs caractéristiques et identifier les points d’intervention, et nous guidons les personnes dans l’accès aux financements publics pour réaliser les travaux », poursuit Hasna Oujamaa.

L’ONG, dont le siège est à Aubagne (13), emploie environ quarante personnes en France, mais a un effectif total de 176 salariés, répartis dans plusieurs bureaux à l’international : Bamako (Mali), Oulan-Bator (Mongolie), Douchanbé (Tadjikistan), Phnom Penh (Cambodge)…

En Mongolie, le Geres a aussi un programme dédié à la rénovation énergétique des habitations. L’ONG applique diverses techniques en s’adaptant aux matériaux localement disponibles et au climat, afin d’identifier les solutions les plus efficaces et acceptées.

« Nous adoptons une approche filière, en essayant de créer un équilibre sur le marché en collaborant avec les banques et les organismes de microfinance, ainsi qu’avec les compétences locales en construction, tout en offrant des formations en autoconstruction et autorénovation », précise Hasna Oujamaa.

Le Geres aborde aussi des enjeux purement énergétiques. Au Bénin, il collabore, par exemple, avec des petites entreprises situées aux abords des villes qui n’ont pas accès à l’électricité, qu’il s’agisse de boulangeries, d’artisans ou de salons de coiffure.

Les solutions peuvent varier : créer une zone d’activités électrifiée en regroupant plusieurs structures, les connecter à un mini-réseau, ou déployer un kit solaire pour produire un peu d’électricité. « L’accompagnement inclut aussi l’aspect économique, car passer à une énergie électrifiée pour un boulanger qui pétrissait auparavant à la main modifie son modèle économique », explique Hasna Oujamaa.

Les bénéfices recherchés ne se limitent pas à l’aspect économique, mais englobent également des dimensions environnementales et sanitaires, car certaines énergies utilisées pour la cuisson peuvent être polluantes et néfastes pour la santé.

Un village pour le réemploi

Associer des publics en situation précaire à des activités économiques orientées vers l’écologie est une méthode explorée par de nombreuses structures de l’économie sociale et solidaire depuis plusieurs années, notamment dans les domaines de l’insertion et du réemploi. Le projet Ikos à Bordeaux en est un exemple. Cette société coopérative d’intérêt collectif (Scic) regroupe neuf organisations de réemploi solidaire pour créer un village du réemploi.

« Ce projet a vu le jour en 2017 dans l’esprit de cinq directeurs de structures de réemploi solidaire à Bordeaux », raconte Marion Besse, anciennement à la tête de Relais Gironde, qui collecte et réutilise le textile, et aujourd’hui PDG d’Ikos. Nous avons réalisé que nous étions confrontés aux mêmes défis et qu’en nous unissant, nous pourrions y faire face. »

Ces organismes partagent effectivement des locaux souvent restreints, limitant ainsi le volume de produits traités et pouvant altérer les conditions de travail. « À cette époque, nous avons aussi constaté l’émergence d’acteurs du réemploi avec une approche purement commerciale, tels que Vinted ou Leboncoin, et nous avons conclu qu’avec nos structures, nous avions atteint les limites d’un modèle ; que nous avions de nécessaires petites adresses avec des horaires parfois complexes. »

Parmi les neuf structures fédérées aujourd’hui par Ikos, on trouve Le Relais Gironde, Envie Gironde, entreprise d’insertion reconditionnant des appareils électroménagers, Replay, qui retape des jouets, les Compagnons bâtisseurs, qui collectent des matériaux et équipements de bâtiment, Le livre vert, structure d’insertion qui récupère des livres pour les remettre en circulation ou recycler, ou encore la Recyclerie sportive, qui réemploie du matériel sportif.

Après plusieurs années de travail et de recherche, un terrain a été identifié en 2021. Les travaux devraient commencer l’année prochaine, avec une ouverture au public programmée pour le printemps 2027. Ce village Ikos s’étendra sur 12 000 m2, dont 2 000 m2 seront consacrés à une galerie marchande :

« Nous proposerons une offre globale de réemploi, avec presque tous les domaines de consommation pour les particuliers : mode, mobilier, décoration, jouets, électroménager, culture, épicerie antigaspi, articles de bricolage et de jardinage, ainsi que du matériel sportif », avance Marion Bresse.

Ce lieu offrira principalement 8 000 m2 pour stocker et trier, ce qui permettra aux différentes structures de passer d’une capacité de collecte de 8 000 à 13 000 tonnes par an. De plus, il devrait générer 100 emplois nets, portant le total des postes sur le site à 320, dont la moitié seront en insertion.

L’activité de la Scic Ikos, petite structure comptant quelques employés, consistera à animer ce lieu où les structures de réemploi solidaire poursuivront et développeront leurs activités. Cela démontre que ces projets ne sont pas uniquement des alternatives écologiques et sociales, mais également économiques.

Pour aller plus loin :

Le débat « Transition écologique : comment avancer par vents contraires ? », le vendredi 29 novembre à 16 h 30 aux Journées de l’économie autrement, à Dijon. Voir le programme complet de cet événement organisé par Alternatives Economiques.

Le Pacte vert européen mis en péril par la pression des partis de droite.

ECONOMIE

Le Pacte vert européen mis en péril par la pression des partis de droite.

Assiste-t-on à l’amorce de la fin du Pacte vert européen ? Le 1er octobre, la Commission européenne a proposé de repousser d’un an l’application du règlement sur la déforestation importée, ce qui a été perçu par les ONG environnementales et plusieurs eurodéputés comme le premier signe d’une potentielle démolition de l’ensemble des dispositifs législatifs adoptés par l’Union européenne (UE) pour viser la neutralité climatique d’ici 2050.

« Il s’agit d’un véritable retour de bâton, déclare Marie Toussaint, eurodéputée verte. Les lobbys travaillent d’arrache-pied pour affaiblir les acquis en matière d’environnement, soutenus par l’extrême droite et une partie de la droite européenne. »

Néanmoins, le 18 juillet, Ursula von der Leyen, soutenue par une large majorité des députés européens, allant de certains éléments des verts au Parti populaire européen (PPE), avait cherché à apaiser les inquiétudes concernant ses intentions. Bien que le Pacte vert (ou Green Deal) ait subi un coup d’arrêt à la fin de la précédente législature, ses objectifs de décarbonation, en particulier la réduction des émissions de CO2 de 90 % d’ici 2040, demeurent essentiels dans les politiques européennes.

Le Green Deal n’est donc pas abandonné. Cependant, il sera soumis à une nouvelle priorité, incarnant les nouveaux équilibres politiques européens, plus inclinés à écouter les arguments de l’industrie : la compétitivité des entreprises. Dans l’optique de « stimuler » les performances économiques et écologiques des entreprises, un « plan industriel du Pacte vert » doit être présenté dans les cent jours de cette législature.

Selon Amandine Crespy, professeure en sciences politiques à l’Institut d’études européennes de l’université libre de Bruxelles, la Commission se dirige désormais vers « une vision plus restrictive du Green Deal, axée encore plus sur la croissance verte. Les dimensions non productives du Pacte vert – protection de la nature, agriculture durable, santé, social – risquent d’être mises au second plan. »

Une « polarisation extrême »

Bien que les objectifs de décarbonation soient toujours intégrés dans la proposition politique d’Ursula von der Leyen, rien n’indique que sa majorité formée le 18 juillet démontrera une quelconque cohérence. À chaque proposition, des majorités alternatives – du PPE à l’extrême droite – peuvent émerger et démanteler des aspects critiques du Green Deal.

Quelle sera la réaction du PPE, alors que plusieurs de ses députés remettent en cause divers textes du pacte, notamment Manfred Weber, président du groupe au Parlement ?

« Le PPE devra choisir entre la stratégie d’Ursula von der Leyen et celle de Manfred Weber, qui se rapproche de celle de Giorgia Meloni (cheffe du gouvernement italien d’extrême droite, NDLR.) préconisant une union des droites, analyse l’eurodéputé français Pascal Canfin (Renew). Le Green Deal est en péril car il fait l’objet d’une polarisation extrême. »

De nombreux textes relatifs au climat ou à l’environnement vont faire l’objet de révisions ciblées. La directive habitat, qui concerne la protection des zones naturelles, de la faune et de la flore, sera modifiée pour réduire la protection du loup, conformément aux attentes de la présidente de la Commission. La directive sur la déforestation sera débattue en novembre au Parlement pour retarder sa mise en œuvre d’un an.

Les directives concernant le système d’échange de quotas d’émissions de CO2 et le mécanisme de réajustement carbone aux frontières – visant à préserver la compétitivité des entreprises européennes soumis aux quotas – seront évaluées et probablement révisées en 2025 et 2026.

À chaque ouverture de ces « boîtes de Pandore », des amendements soutenus par la droite et l’extrême droite pourraient annihiler les ambitions de ces textes. Déjà, des courriers d’eurodéputés, principalement issus des groupes d’extrême droite, dénoncent le « monstre bureaucratique » de la taxe carbone aux frontières de l’UE, appelant à une réaction rapide.

Plus concrètement, depuis les élections européennes, les enjeux se concentrent sur les transports et les objectifs de décarbonation des véhicules routiers. Des fabricants automobiles plaident ainsi pour que la Commission européenne reconsidère la législation sur la réduction des émissions de CO2 des véhicules, censée diminuer de 15 % d’ici 2025.

Au Parlement européen, environ une centaine de députés, allant de la droite à l’extrême droite, ont exprimé, en réponse aux demandes des fabricants, leur souhait de revoir au plus vite les objectifs et d’éviter d’imposer des amendes « excessives » aux industriels. Céder à ces exigences serait équivalent à accorder une « prime aux mauvais élèves », déplore Pascal Canfin.

Plus fondamentalement, la cible expresse d’une partie de la droite et de l’extrême droite reste la date limite de 2035, qui obligera les fabricants à ne plus produire que des véhicules non émetteurs de CO2. La pression monte, principalement d’Allemagne et d’Italie, sur la Commission, qui est sommée d’assouplir les contraintes imposées à l’industrie automobile dans un contexte concurrentiel et de revenir sur cet engagement de l’UE.

Pour l’heure, l’objectif n’est pas officiellement remis en question par la Commission européenne, bien qu’elle semble se diriger vers une plus grande ouverture aux carburants de synthèse, issus de CO2 et d’hydrogène vert ou bas carbone. Des lobbys industriels demandent que cette ouverture soit étendue aux biocarburants, malgré leur controverse.

« Simplifier » ou déréguler ?

La nouvelle Commission européenne aspire donc à rassurer les industries. Le 18 juillet, Ursula von der Leyen a déclaré aux eurodéputés qu’il est essentiel de « commencer par simplifier et rendre l’environnement des entreprises plus réactif ». Toutefois, de nombreux députés, pour la plupart de gauche, et des ONG redoutent que cette simplification ne soit que synonyme de dérégulation.

Par conséquent, la réforme ambitieuse de Reach, le règlement européen sur les substances chimiques, abandonnée lors de la précédente législature, visait à éliminer davantage de substances toxiques. Elle devrait revenir sous une forme très différente, ayant pour objectif principal de réduire le fardeau bureaucratique que ce règlement imposerait aux entreprises.

C’est également cette logique de « simplification » qui ressort du rapport sur la compétitivité européenne commandé par le gouvernement à Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne et ex-président du Conseil italien. Ce document très pris au sérieux à Bruxelles influencera les politiques publiques européennes pour les cinq années à venir.

Bien qu’il mette également une emphase sur les objectifs de décarbonation de l’industrie, certaines de ses propositions suscitent la controverse, notamment lorsqu’il n’exclut pas de prolonger l’octroi de quotas de CO2 à titre gratuit pour les industries les plus énergivores.

Et lorsque Mario Draghi propose d’assouplir considérablement les règles de protection de la nature et de l’environnement pour faciliter la construction de capacités de production d’énergies renouvelables, les ONG s’élèvent contre cela.

« Accompagner le secteur industriel dans sa transition doit s’accompagner de conditions environnementales et sociales beaucoup plus strictes. Le rapport Draghi demande un soutien pour les entreprises sans réellement imposer ce type de conditions », affirme Chiara Martinelli, directrice du Réseau action climat européen.

Reste à voir que la nouvelle Commission européenne n’est pas encore officiellement établie. L’avenir du Green Deal a été un point central lors des auditions des commissaires européens qui se sont déroulées au Parlement européen du 4 au 12 novembre. L’issue dépendra également des choix de casting.

Biodiversité : les espèces changent de position, les chercheurs restent confus.

INVESTIGATIONS

Biodiversité : les espèces changent de position, les chercheurs restent confus.

C’était en 1995. Une jeune chercheuse en écologie américaine, Camille Parmesan, examine un superbe papillon de la côte ouest, Euphydras editha, connu sous le nom de damier d’Edith. En confrontant ses recherches à celles de ses collègues du début du siècle dernier, elle remarque que l’aire de répartition (l’espace occupé par l’animal) de cet élégant lépidoptère a évolué : il est désormais trouvé beaucoup plus au nord et à des altitudes plus élevées. Cette découverte marquera un tournant dans la conception du monde, longtemps restée relativement figée, de l’écologie scientifique.

Pourquoi le retour de Trump représente un danger pour l’économie mondiale

ECONOMIE

Pourquoi le retour de Trump représente un danger pour l’économie mondiale

Il revient. Quatre ans après son tumultueux retrait de la Maison-Blanche, Donald Trump est devenu le 47e président des Etats-Unis. L’homme d’affaires, qui a su rassembler son électorat tout en grignotant des voix chez sa rivale démocrate Kamala Harris, s’installera au bureau ovale en janvier, bénéficiant d’une victoire indiscutable puisqu’il a remporté à la fois le vote des grands électeurs et le vote populaire, contrairement à son premier mandat.

Malheureusement pour les Etats-Unis et surtout pour le reste du monde, son retour en puissance pourrait s’avérer particulièrement nuisible, avec des mesures fiscales inéquitables, des politiques destructrices pour le climat, une guerre commerciale mondiale et des déstabilisations géopolitiques.

De plus, cette fois-ci, Donald Trump devrait bénéficier des « pleins pouvoirs » : le Sénat est déjà acquis à sa cause, la Chambre des représentants pourrait suivre, et un grand nombre de juges lui sont plus favorables qu’entre 2016 et 2020.

Dans ce contexte, nous avons analysé cinq domaines où le retour de Donald Trump devrait être le plus marquant et préoccupant.

1/ En économie, un triple danger financier

Si Donald Trump met en œuvre son programme économique, le déficit budgétaire sera amené à croître… d’approximativement 8 000 milliards de dollars au cours des dix prochaines années ! C’est en effet l’estimation du Committee for a responsible federal budget, un think tank bi-partisan.

Cette aggravation est principalement due à de vastes réductions d’impôts, dépassant les 10 000 milliards, en faveur des plus riches et des sociétés. Elles seraient légèrement compensées par une diminution de certaines dépenses et des recettes supplémentaires générées par la mise en place de tarifs douaniers. Par conséquent, la dette publique américaine pourrait passer de 100 % du produit intérieur brut (PIB) aujourd’hui à plus de 140 % d’ici 2035.

Premier souci : une telle demande de financement devrait entraîner une hausse des taux d’intérêt dans la décennie à venir. Le taux d’emprunt à 10 ans, actuellement aux alentours de 4,5 %, pourrait être amené à diminuer à court terme grâce à la politique monétaire de la banque centrale, qui est en phase de baisse des taux. Cependant, le besoin massif d’argent de Trump devrait plutôt, toutes choses égales par ailleurs, conduire à une montée des coûts d’emprunt (et donc des taux d’intérêt) à moyen et long terme.

Ce problème interne aux Etats-Unis ne se limitera pas à leurs frontières. La dette américaine agira comme un aspirateur sans précédent de l’épargne mondiale. Alors que le reste du monde est déjà endetté et doit investir massivement dans la transition énergétique, l’innovation, la santé et les retraites, sans oublier la défense face à une Amérique qui se replie, la lutte pour l’épargne mondiale sera acharnée. Cela entraînera des tensions financières régulières.

Ces tensions risquent encore de se transformer en crises bancaires, puisque Donald Trump devrait adopter une politique de déréglementation financière ainsi que de fortes pressions politiques sur la banque centrale. Même un Jamie Dimon, le PDG de J.P. Morgan, qui a longtemps soutenu que de bonnes régulations renforçaient la solidité des bilans bancaires, appelle désormais à une baisse des réglementations.

Nul doute que le Royaume-Uni en profitera pour suivre la même voie afin que la City conserve ses avantages compétitifs. De même, les banques du Vieux continent profiteront de la situation pour demander moins de règles.

Deux scénarios apparaissent désormais possibles. Dans le premier, Donald Trump parvient à appliquer son programme. Les Etats-Unis se trouveraient alors dans une situation semblable aux années 1920 et à la crise de 2007-2008, deux périodes marquées par une triple convergence : des inégalités fortes et croissantes, des banques peu régulées, et au final, une crise financière d’ampleur historique.

Dans le second scénario, les Républicains conservateurs en matière de budget freinent les baisses d’impôts que souhaite Trump (par exemple à hauteur de 5 000 milliards de dollars, comme en 2017).

C’est la tendance ressentie chez les analystes de marchés après l’annonce de la victoire de Donald Trump. Selon un adage américain, il pourrait « aboyer plus fort qu’il ne mord ». Mais quand la première puissance économique mondiale mord, même légèrement, elle a tout de même le potentiel de causer des dommages à tout le monde.

Christian Chavagneux

2/ La guerre commerciale sera bien au rendez-vous

Il est difficile de reprocher à Donald Trump le manque de clarté de ses intentions. Celui qui prendra ses fonctions en janvier prochain a promis un renforcement significatif de la guerre commerciale. Il souhaite porter les droits de douane à 10 % (contre 3 % actuellement) sur tous les produits importés. La Chine, pour sa part, aura un traitement défavorable avec un taux de 60 %.

L’augmentation des droits de douane sur certains produits n’est pas nouvelle, tant les tensions commerciales sont vives depuis des années. Mais le durcissement du protectionnisme américain promis par Donald Trump est d’un tout autre niveau : la dernière fois qu’une telle hausse des tarifs douaniers a été observée aux Etats-Unis remonte aux années 1920.

Si un taux de 10 % peut sembler modeste, il est en réalité très conséquent, sachant que le droit de douane moyen dans le monde est de 3,9 % et qu’aux Etats-Unis, il est même légèrement inférieur (3 %). L’ampleur de la mesure est d’autant plus importante qu’elle touchera tous les pays du monde et tous les produits.

Si les fabricants étrangers et les distributeurs américains ne modifient pas leurs marges, à court terme, ces hausses de tarifs devraient être répercutées sur le consommateur américain. Mais les conséquences ne se limiteront pas aux Etats-Unis, car ce durcissement du protectionnisme de la part de la première puissance économique mondiale risque de bouleverser les flux commerciaux internationaux.

En ciblant très spécifiquement la Chine, avec un taux de 60 %, les exportations de Pékin vers les Etats-Unis devraient mécaniquement diminuer. Une récente étude du Cepii anticipe une réduction de 80 % des exportations chinoises vers Washington si Donald Trump met en œuvre ses promesses. Les capacités de production chinoises étant telles, ce que Pékin n’exporte plus aux Etats-Unis sera vraisemblablement redirigé ailleurs. À commencer par l’Europe, qui pourrait être inondée de Made in China dans ses magasins.

Justin Delépine

3/ Social : une stratégie fiscale indifférente aux inégalités

Rebelote ! Donald Trump n’a pas seulement été réélu, il a également l’intention de renforcer les inégalités aux Etats-Unis. Son programme économique prévoit déréglementation et baisses d’impôts, les mêmes politiques ayant contribué à enrichir les plus riches et à appauvrir les moins chanceux depuis les années 1980.

Le Républicain va reconduire les réductions d’impôts instaurées en 2017 et arrivant à expiration l’an prochain. Ces allégements fiscaux aux plus riches et aux entreprises n’ont pas eu l’effet d’un « ruissellement » sur la classe moyenne comme il l’affirmait. Le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités de revenus, a augmenté après la mise en place de ces réductions d’impôts, atteignant son niveau le plus élevé depuis 1967 avec 0,494 en 2021.

Ce n’est pas de nature à préoccuper l’ancien homme d’affaires, qui veut aller encore plus loin. Il envisage ainsi de faire baisser le taux d’imposition des sociétés. Celui-ci, déjà réduit de 35 % à 21 % en 2017, devrait bientôt passer à 15 %. Le Président promet aussi de nouvelles exonérations fiscales sur le revenu. Des mesures qui bénéficieront uniquement à ceux suffisamment riches pour être imposés.

Selon les calculs du think tank Tax Foundation, cette politique fiscale, couplée à l’augmentation des droits de douane qui alourdira le prix des biens importés, réduira le revenu net des 40 % des Américains les plus pauvres d’ici 2034. Ainsi, les 20 % des ménages les plus pauvres verront leur revenu diminuer de 0,6 %, tandis que le deuxième quintile (les ménages se situant entre les 20 % les moins riches et les 60 % les plus riches) connaîtra une baisse de 0,4 %.

Quant aux 20 % les plus riches, ils devraient bénéficier d’une augmentation de 3,1 % de leur revenu après impôts. De quoi exacerber les inégalités déjà profondes qui prévalent dans ce pays.

Juliette Le Chevallier

4/ Une menace climatique à retardement

« One of the greatest scams of all time » (traduction : « une des plus grandes arnaques de tous les temps ») . Voilà comment Donald Trump qualifie le réchauffement climatique. À quel point donc devrions-nous nous inquiéter de ses perspectives en matière climatique ?

À l’international, Donald Trump a déclaré qu’il ferait à nouveau sortir l’Amérique de l’accord de Paris sur le climat. C’est un coup de tonnerre semblable à celui de 2016, mais amplifié, car l’urgence est telle que tout retard dans les politiques de décarbonation représente une véritable bombes climatique.

À court terme, les négociations de la COP 29 qui débutent la semaine prochaine en Azerbaïdjan, déjà mal engagées, sont plus que jamais compromises. Leur principal enjeu sera d’accroître les financements des pays riches en faveur des nations en développement. Mais si l’acteur mondial principal (en termes d’émissions historiques de gaz à effet de serre) se retire, il sera très compliqué de progresser vers un accord.

Sans financements additionnels significatifs, on craint que les pays émergents et en développement n’acceptent pas d’élever leurs engagements climatiques à court terme. Cela sera d’autant moins probable que les pays riches, à commencer par les Etats-Unis, n’intensifient pas leurs efforts pour diminuer leurs propres émissions de gaz à effet de serre.

De surcroît, l’Europe, dont la détermination climatiques a notablement faibli à cause de la montée des droites dure, pourrait être encore moins encline à maintenir son cap si son concurrent américain choisit de faire un pas en arrière. L’élévation des engagements nationaux (et leur mise en œuvre), au Sud comme au Nord, demeure pourtant une condition essentielle pour s’aligner sur l’objectif vital de rester bien en dessous de 2 °C. Pour référence, les politiques en cours conduisent vers un réchauffement global de + 3 °C.

Sur le plan intérieur, le second mandat de Donald Trump devrait avoir un impact climatique et environnemental bien plus désastreux que le premier. Il est difficile de dire si le nouveau Président va annuler – et dans quelle mesure – les subventions massives accordées aux industries vertes sous Joe Biden dans le cadre de l’Inflation Reduction Act. En effet, ces mesures favorisent le « made in America », ce qui réjouit les dirigeants républicains du secteur. Cet héritage pourrait donc demeurer intact.

En revanche, Donald Trump sera en mesure de modifier considérablement les normes environnementales, bien plus facilement que lors de son premier mandat. Cela pourrait accentuer la prospection et la production de combustibles fossiles, la construction automobile (thermique) et les industries polluantes, ou encore faciliter l’exploitation des centrales électriques à charbon et à gaz.

Au cours de ses quatre premières années au pouvoir, il avait œuvré à supprimer une centaine de réglementations environnementales, dont celles limitant les émissions des véhicules et des centrales électriques. Cependant, ses équipes avaient été confrontées à une fonction publique réticente et à des recours devant la justice fédérale, qui ont souvent annulé ses réformes jugées illégales et mal préparées. De plus, ce qui avait été abrogé sous Trump a pu être facilement rétabli et même renforcé sous Biden.

Depuis, les collaborateurs de Donald Trump ont tiré des leçons de leurs erreurs passées. Ils vont procéder à un nettoyage approfondi au sein des administrations, notamment dans la puissante Agence de protection de l’environnement (EPA) et dans les instances de recherche. Ils s’assureront que les réformes futures soient juridiquement solides et difficilement annulables par la suite.

Donald Trump devrait être soutenu par un congrès désormais majoritairement républicain et par les nombreux juges nommés durant son premier mandat, dont trois à la Cour suprême, qui est majoritairement conservatrice.

Antoine de Ravignan

5/ International : l’Ukraine affaiblie, Israël renforcé

L’Ukraine endure. Dans son message de félicitations à Donald Trump, le président Volodymyr Zelensky a rappelé que son pays fait « d’un soutien fort, continu et bipartisan » dépendre de l’aide des Etats-Unis. Or, celle-ci pourrait diminuer, le camp trumpiste ayant critiqué à plusieurs reprises la politique de livraison d’armes à l’Ukraine initiée par Joe Biden.

Le candidat Trump a promis de mettre fin à la guerre en moins de vingt-quatre heures, sans préciser comment il s’y prendrait. « Il y a beaucoup d’incertitudes sur ce dossier : pourrait-il trouver un accord avec Poutine ? Va-t-il suspendre les livraisons d’armes ? », questionne Adrien Schu, maître de conférences en science politique à l’Université de Bordeaux.

Cependant, le chercheur souligne qu’entre les Républicains modérés et les Démocrates, le Congrès maintiendra toujours une majorité transpartisane en faveur du soutien à l’Ukraine.

« Cette majorité sera-t-elle suffisante pour contraindre l’action présidentielle ? Pour l’instant, nous ne le savons pas », ajoute-t-il.

Concernant le conflit israélo-palestinien, le milliardaire devrait poursuivre la ligne de son prédécesseur, c’est-à-dire un soutien militaire et politique au gouvernement de Benyamin Netanyahou. Ce dernier s’est réjoui sur X (ex-Twitter) : le retour de Trump à la Maison-Blanche « offre un nouveau départ pour l’Amérique et un réengagement puissant en faveur de la grande alliance entre Israël et les Etats-Unis ».

Bibi – surnom du Premier ministre israélien – sait que le prochain Président ne devrait plus dénoncer la « crise humanitaire » (terme utilisé par les démocrates) à Gaza ni inciter verbalement Israël à faire preuve de retenue, comme l’a fait Biden.

« Lors de son premier mandat, Donald Trump avait entouré de Républicains traditionnels issus de l’establishment. Ceux-ci ne partageaient pas forcément la même vision que lui et ont agi comme des contre-pouvoirs internes. Mais il s’est séparé de ces personnes et la loyauté sera le principal critère pour former sa prochaine administration », ajoute Adrien Schu.

En résumé, Trump pourra décider seul de sa politique étrangère qui semble promettre d’être encore moins atlantiste, moins multilatérale, et davantage axée sur le bilatéralisme et la compétition.

Eva Moysan