“Say Nothing” est un drame captivant sur la désillusion politique
L’adaptation FX du livre de Patrick Radden Keefe capture à la fois l’attrait de la cause de l’I.R.A. et la manière dont la violence pèse sur ses auteurs.
L’adaptation FX du livre de Patrick Radden Keefe capture à la fois l’attrait de la cause de l’I.R.A. et la manière dont la violence pèse sur ses auteurs.
Tribunal de Bobigny (93), 7 novembre 2024 – « Je suis un citoyen français. J’ai des droits. J’ai cru que j’allais mourir. » La juge achève la lecture de la lettre à haute voix puis porte son regard sur la salle d’audience. En face d’elle, Aziz E. demeure silencieux. Ce qu’il avait à exposer, il l’a consigné dans un signalement adressé à l’inspection générale de la police nationale (IGPN) il y a plusieurs années. Il y relate les abus qu’il a subis de la part de deux agents de la BAC de Seine-Saint-Denis, le 26 avril 2020, au commissariat d’Aubervilliers. À ce moment-là, le confinement dû à la pandémie de covid-19 est en vigueur et Aziz enregistre un contrôle lorsque les policiers l’arrêtent pour l’obliger à effacer les images. Il est conduit au poste pour vérification d’identité, où il accuse le chauffeur de lui avoir « tasé les parties intimes » dans le véhicule, avant de le malmener dans un couloir du commissariat. « Mon téléphone se trouve au commissariat si vous souhaitez des preuves », a-t-il noté dans la lettre, soigneusement lue par la magistrate.
Cependant, parmi l’ensemble des violences rapportées, seuls trois gestes sont retenus dans l’enquête, capturés par les caméras de surveillance à l’intérieur du poste. Comme le rappelle le procureur lors de l’audience, concernant les violences policières :
« Ce qui n’est pas filmé n’apparaît pas dans le dossier. »
Et peu importe que, lors de son audition à l’IGPN, Aziz E., âgé de 25 ans au moment des faits, ait décrit une longue série de coups, d’injures et de références à sa foi de la part des agents, depuis son arrestation jusqu’à ce qu’il cède à déverrouiller son téléphone pour faire disparaître la vidéo. Les photographies de ses blessures, jointes à son signalement, montrent des marques de piqûres sur la jambe et aux parties génitales attribuées au taser, ainsi que de nombreuses rougeurs « compatibles avec des traces de coups », selon le procureur.
Le rapport d’analyse des vidéos n’impute à Thomas B. qu’un coup de genou alors qu’il tirait « avec vigueur » le jeune homme, qui ne « résiste pas », du véhicule vers l’entrée du commissariat. À la barre, cet homme de 31 ans, désormais muté à la police de secours, défend l’emploi de la force « strictement nécessaire » pour conduire l’interpellé et conteste avoir porté un coup. Le jeune aurait, selon lui, simplement « perdu l’équilibre ». Il confesse en revanche un croche-pied, également filmé, alors qu’Aziz E. s’apprête à sortir du commissariat, qualifiant cela de « geste regrettable ».
S’agissant de Vincent R., il est accusé d’avoir, peu avant, armé le poing en direction d’Aziz E., dos au mur et « déboussolé » dans l’entrée du commissariat, pendant que les autres agents inspectent son téléphone. L’homme, d’une stature athlétique, ne comprend « plus pourquoi il a agi ainsi ». Comme son collègue, il admet avoir commis « un geste regrettable durant une période gênante », sans y voir pour autant une forme de violence. Sa défense est hésitante :
« Je ne connais pas le code pénal sur le bout des doigts. »
À la barre, quatre ans après les événements, la victime, un peu frêle, semble désorientée. Aziz E. a du mal à suivre les questions du tribunal. Son avocate, Maître Déborah Zubillaga, décrit son client comme une victime « particulièrement traumatisée », s’étonnant qu’il n’ait pas fait examiner ses blessures par un médecin légiste par « méfiance à l’égard de tout service collaborant avec la police ».
Comme c’est souvent le cas dans les affaires de violences collectives, les avocats de la défense ainsi que ceux de la partie civile critiquent également la portée restrictive de l’enquête. « À aucun moment, il n’a été demandé d’identifier les policiers ayant pu interagir avec lui », dénonce l’avocat de Thomas B., Maître Martin Dier, soulignant qu’aucune photo n’a été présentée à la victime. L’avocate d’Aziz E. se désole surtout du « refus des agents de témoigner contre leurs collègues ». « C’est tout un service qui se protège les uns les autres », ajoute-t-elle. L’ensemble des violences avait d’ailleurs été nié par les deux agents face aux enquêteurs, jusqu’à ce que les images leur soient montrées.
Le procureur, de son côté, défend dans son réquisitoire le « bon travail » des enquêteurs sur « un dossier ancien », ainsi que la décision du parquet d’écarter des poursuites l’intégralité de la scène de l’interpellation et du véhicule de police. Car sans l’activation des caméras piéton, pour elle :
« C’est parole contre parole, nous ne saurons jamais ce qu’il s’est réellement produit. »
Les véritables motivations derrière le transport d’Aziz E. au commissariat soulèvent également des questions. Car, bien que tous les policiers affirment avoir cherché à effectuer une vérification d’identité – laquelle permet de retenir une personne pendant quatre heures – celle-ci n’a finalement jamais eu lieu. Pour les agents, c’est parce qu’Aziz E. leur aurait, juste devant la cellule, montré sa carte sur son téléphone.
Ce serait d’ailleurs pour consulter sa carte que les quatre policiers auraient manipulé le téléphone à l’accueil. Une version répétée par Vincent R., qui avait pourtant admis lors de son audition avoir supprimé la vidéo « de peur qu’elle ne circule sur les réseaux sociaux ou ne tombe entre de mauvaises mains ». Cela a agacé la juge : « Nous sommes des professionnels après tout. » « Nous n’avons pas besoin de quatre personnes pour contrôler une carte d’identité », renchérit plus tard le procureur, qui rappelle aux policiers que le fait d’être filmé peut être « très désagréable, mais c’est néanmoins légal ». Mais ces actes, eux aussi, ne sont pas poursuivis. Maître Déborah Zubillaga, l’avocate d’Aziz E., dénonce quant à elle un « prétexte fallacieux » et envisage d’initier une nouvelle procédure pour « détention arbitraire ».
Pour les trois gestes poursuivis, le procureur requiert six mois d’emprisonnement avec sursis contre Thomas B, accompagnés d’une interdiction de port d’arme pendant cinq ans. Concernant son collègue Vincent R, la magistrate demande trois mois avec sursis. Le jugement est attendu le 5 décembre.
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Être entouré de livres n’immunise pas contre les fluctuations économiques. Depuis le printemps passé, Emilie Grieu, créatrice de la librairie Les Pipelettes à Romainville (Seine-Saint-Denis), a « souvent été à découvert dès le dix de chaque mois », partage-t-elle. « C’est inédit », précise cette quadragénaire dynamique.
Pour les environ 3 700 librairies indépendantes présentes en France (au sein de 25 000 points de vente de livres au total, y compris hypermarchés et stations-service, selon le ministère de la Culture), l’année 2024 s’annonce comme un challenge. Après l’enthousiasme des lecteurs et lectrices pour leur librairie de quartier, qualifiée de « commerce essentiel » durant la crise de la Covid, les ventes stagnent.
Selon l’Observatoire de la librairie française, les ventes reculent même pour les livres, hors papeterie (- 0,9 % de janvier à septembre 2024 par rapport aux neuf premiers mois de l’an passé).
Pour les plus petites librairies, celles dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 500 000 euros, comme Les Pipelettes, la condition devient alarmante. D’après une analyse du cabinet Xerfi, de nombreux commerces pourraient faire face à la faillite dès l’année prochaine. Unique au monde grâce à la densité de son réseau, essentielle pour le lien social et le tissu territorial autant que pour l’échange d’idées, cette industrie se retrouve prise dans un redoutable effet ciseau.
D’une part, les coûts ont fortement grimpé depuis 2021. L’énergie en tête. Les plus grandes librairies indépendantes, parmi les plus coûteuses à chauffer, ont enregistré une hausse de 150 % de leur facture d’électricité.
Contrairement aux boulangers, d’autres commerçants « essentiels », les libraires n’ont pas bénéficié de tarifs plafonnés. Résultat ? Comme beaucoup de patrons de PME, certains libraires expriment parfois le sentiment de « travailler pour Engie », confie Amanda Spiegel, à la tête de Folie d’encre à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et vice-présidente du Syndicat de la librairie française (SLF).
En outre, la flambée des prix des carburants impacte également les frais de transport (+13 % depuis 2021) que supportent les libraires : ils doivent financer l’acheminement des livres commandés et le retour des invendus au distributeur.
Ce n’est pas tout. Les commerces indépendants, généralement situés en centre-ville, doivent aussi gérer la hausse des loyers, un important poste de dépenses. Dans le quartier populaire en transformation de Romainville, Emilie Grieu doit débourser 3 000 euros par mois pour 70 mètres carrés de surface de vente en rez-de-chaussée et un sous-sol de 30 mètres carrés.
Concernant le personnel, souvent mal rémunéré, il a fallu augmenter les salaires (+10 % de masse salariale) pour faire face à l’inflation, atteignant en 2024 un salaire moyen de 1 720 euros nets, somme modeste pour des diplômés engagés et cultivés.
Dans les librairies indépendantes, la masse salariale représente une part plus conséquente du budget (environ 20 % contre 14 % à la Fnac, 10 % en grande surface, 5 % sur Amazon). C’est logique : conseiller les clients, valoriser des titres méconnus et inviter des auteurs requiert du temps et des compétences. « C’est vital », résume Emilie Grieu, qui emploie Cécile, libraire expérimentée en CDI, et un stagiaire, Alexis, apprenti libraire et passionné de sciences humaines.
À l’opposé, les prix ne suivent pas. Fixés par les éditeurs selon la loi Lang de 1981 sur le « prix unique du livre », ils n’ont crû que de 2,2 % en moyenne en 2024. Cette législation a le mérite de protéger l’écosystème des librairies indépendantes de la concurrence des grandes surfaces, sauvegardant ainsi la pluralité éditoriale.
Le souci, c’est que les remises accordées par les éditeurs aux libraires, d’environ un tiers du prix de vente, ne suffisent plus : « Il faudrait obtenir 38 % à 40 % », estime Emilie Grieu. En conséquence, les marges des librairies se resserrent. Cette année, elles ne dépassent pas 1 % de leur chiffre d’affaires moyen, l’un des taux de marge les plus bas dans le commerce de détail, « avec les fleuristes », nous informe-t-on.
Les livres deviendraient-ils jetables ? En termes logistiques, c’est certain. Toutes catégories confondues, du manuel scolaire au livre de cuisine en passant par le roman, environ 75 000 publications voient le jour chaque année, soit trois fois plus que dans les années 1990. Et ce, alors même que la population n’a augmenté que de 20 % et que les Français ne lisent pas davantage.
Bien que cette richesse puisse illustrer une diversité bienvenue dans l’offre de lecture, il en résulte qu’à peine arrivées en rayon, les nouveautés doivent céder la place à des titres encore plus récents. « Nous passons notre temps à décharger et à remplir des cartons », témoigne Anne Martelle. La production éditoriale pousse les cadences à un rythme insoutenable :
« On n’a plus le temps de lire ! s’écrie sa collègue Amanda Spiegel. Dans ces conditions, on ne parvient plus à faire découvrir les livres, on perd l’essence même du métier. »
Cette précipitation impacte également l’empreinte carbone de la filière : l’écologie était l’un des thèmes majeurs des rencontres nationales de la librairie, tenues à Strasbourg en juin dernier. Au début de l’année, l’association de libraires indépendants Pour l’écologie du livre a lancé une « trêve des nouveautés », sous l’égide de sa cofondatrice Anaïs Massola, libraire au Rideau rouge, à Paris.
Ingénieux, les participants ont refusé certains ouvrages selon des critères délibérément surprenants (comme la couleur de la couverture…). Cette initiative incitera-t-elle les éditeurs à réduire leur production (un peu) ? Les libraires auraient tout à y gagner, car le rythme élevé des commandes et des retours pèse sur leur budget.
Et après ? « Déjà sur le fil, écrivent les spécialistes de Xerfi, la situation financière des librairies (indépendantes, NDLR.) pourrait encore se détériorer dans les années à venir ». Dès 2025, précisent-ils, les plus petites pourraient encaisser des « pertes considérables » et des fermetures.
Cette vulnérabilité menace la pluralité de l’offre culturelle en France et soulève également une question politique. Dans un contexte économique délicat, les libraires se trouvent en effet exposés aux manœuvres de riches entrepreneurs d’idées, souvent proches de l’extrême droite. En septembre 2023, Vivendi, le groupe dirigé par Vincent Bolloré, a acquis l’Écume des pages, célèbre enseigne parisienne située à Saint-Germain-des-Prés.
Cet automne, un autre milliardaire « patriote » (sic) s’intéresse aux librairies indépendantes : Pierre-Edouard Stérin, leader du fonds Otium Capital, finance le projet nommé « Périclès » à hauteur de 150 millions d’euros pour « l’enracinement, l’identité » et « l’anthropologie chrétienne ».
Après avoir échoué l’an passé à acquérir le groupe Editis (Belfond, Julliard, Robert Laffont…) puis, en août dernier, le magazine Marianne, il a publié une annonce. Il recherche « un entrepreneur » afin de constituer d’ici cinq ans « un réseau de 300 librairies indépendantes dans les régions françaises » qui organiseraient « plus de 5 000 événements culturels locaux ». L’objectif ? « Réinventer le concept de librairie multi-activités avec une offre culturelle au service des familles ». Une bataille culturelle est en cours.
Passer de nombreuses heures par jour à regarder des écrans semble être une conclusion évidente. Le nouveau défi consiste à réduire ce qui les remplit.
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