Lucie Castets : « La gauche doit mettre au cœur du débat politique les préoccupations des classes populaires »
La victoire de Donald Trump face à Kamala Harris lors des élections présidentielles américaines, ainsi que celle des républicains « MAGA » (« Make America Great Again ») plus extrêmes que jamais contre le parti démocrate au Congrès suscite de nombreuses interrogations : pourquoi les démocrates ont-ils été abandonnés par les « blue collars » d’Amérique alors que Joe Biden avait mis en place une politique censée répondre à leurs besoins économiques ? Quelles répercussions l’inflation a-t-elle eu sur la vie quotidienne des classes populaires ? Quels impacts a générés la propagande identitaire des républicains ?
Autant de points de réflexion pour la gauche française alors que l’échéance de la prochaine élection majeure approche dans moins de trois ans, à moins que d’autres élections ne se précipitent avant. Premières pistes de réponses avec Lucie Castets, que les dirigeants du Nouveau Front populaire souhaitaient voir devenir Première ministre, et qui se veut le « trait d’union » entre les différentes composantes.
Donald Trump a non seulement remporté l’élection présidentielle, mais a également gagné le vote populaire, le Sénat et potentiellement la Chambre des représentants. Quelles sont vos réactions face à cette défaite significative du parti démocrate et quelles leçons peut-on en tirer pour la gauche française, qui a également perdu une grande partie des voix des classes populaires ?
Lucie Castets : À mon avis, ce qui est le plus marquant dans la victoire de Donald Trump, c’est l’écart de voix avec Kamala Harris, qui dépasse les cinq millions à l’heure actuelle. Cela devrait nous interroger en France, non seulement à gauche mais également pour l’ensemble du camp démocrate, car aux États-Unis, ce parti va bien au-delà de la conception de la gauche que nous avons ici. De plus, le trumpisme semble peu résonner de ce côté-ci de l’Atlantique, et de nombreux électeurs de droite, y compris du Rassemblement national, exprimaient le souhait de voir Harris l’emporter sur Trump !
Une des clés de ce résultat réside dans les classes populaires, qui ont été désapprises à défendre leurs intérêts économiques en étant mobilisées sur des peurs morales largement construites. Cela a permis à Donald Trump de s’imposer dans la « rust belt », où les ouvriers, majoritairement des hommes blancs de la classe moyenne, ont opté pour le vote républicain.
Cependant, je ne pense pas qu’il faille renoncer aux mobilisations sur des questionnements sociétaux, car celles-ci sont nécessaires pour combattre ces peurs morales, mais il est essentiel de recentrer nos discussions sur les enjeux économiques, les intérêts de classe. Quels intérêts sont actuellement lésés par les politiques publiques en cours ? Qui a tout à gagner d’une politique fiscale plus redistributive ? Qui profiterait de politiques industrielles et écologiques plus audacieuses ?
Il est impératif de replacer ces enjeux économiques et sociaux au cœur de nos débats politiques, en mettant notamment en avant les intérêts des classes populaires.
Les démocrates auraient pu jouer un rôle prédominant sur ces thématiques économiques et sociales. Ils auraient donc dû orienter leur campagne dans cette direction.
Les Démocrates avaient pourtant un bilan économique solide, grâce à la relance initiée par Joe Biden pour répondre aux aspirations de la classe moyenne : réindustrialisation via d’importants investissements, protectionnisme, réduction du chômage…
L. C. : Bien que Joe Biden ait connu un succès économique réel, il a beaucoup souffert de l’inflation, contre laquelle il a pourtant lutté avec une certaine détermination. Cependant, pour les Américains défavorisés, cette inflation a duré trop longtemps et a été suffisamment violente pour qu’ils aient du mal à reconnaître qu’ils se trouvent dans une position meilleure aujourd’hui qu’il y a quatre ans, à la fin du dernier mandat de Trump.
En conséquence, le récit démocrate a été contrecarré par l’offensive identitaire des républicains, avec le discours très viril de leur candidat, qui demeure par ailleurs assez creux. À la fin de la campagne, il était toujours flou sur ses véritables intentions. Cela a fonctionné parce que le débat a été détourné des enjeux réels, comme celui de la répartition des richesses générées par l’économie.
Donald Trump a centré sa campagne sur la lutte contre l’immigration. En France, l’extrême droite ainsi que les droites en général investissent également ce thème. La question de l’immigration est évidemment instrumentalisée, mais elle trouve néanmoins un écho auprès des électeurs populaires. Comment, au cours des deux prochaines années, le NFP peut-il l’aborder ?
L. C. : En 2019 – ce n’est pas si loin –, lors du Grand Débat post-gilets jaunes, pratiquement aucune contribution manuscrite des cahiers de doléances n’évoquait l’immigration ou la sécurité, contre 16 % sur la transition écologique, et énormément de propositions relatives à la fiscalité, y compris le rétablissement de l’ISF. Vincent Tiberj, dans son récent ouvrage sur la prétendue « droitisation de la France », a démontré comment le gouvernement Macron-Borne avait construit une demande fictive venant de l’opinion populaire pour justifier sa loi immigration-intégration [promulguée en janvier 2024, NDLR]. La récente enquête du CESE montre que la préoccupation principale des Français demeure la santé, loin devant les questions migratoires.
Effectivement, l’immigration est bien instrumentalisée, comme en témoigne déjà la préparation de la prochaine loi Retailleau, qui ne proposera pas de véritables solutions. Son principal objectif semble être d’augmenter les taux de retour des migrants sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), alors même qu’on sait qu’il y a peu de marge de progression à ce niveau, la France se situant déjà en tête du nombre de reconduites…
Pourtant, je pense que la gauche n’aborde pas suffisamment la question de l’immigration, ne met pas assez en avant ce qu’elle apporte à l’économie française, même en prenant appui sur l’exemple paradoxal de Giorgia Meloni, qui, après avoir été élue avec la promesse d’expulser les migrants au-delà de la Méditerranée, a changé de discours sous l’influence du patronat italien qui a révélé que certains secteurs de l’économie ne pourraient fonctionner sans travailleurs immigrés. Les patrons français de la restauration ou du bâtiment affirment d’ailleurs la même chose.
Nous devons avoir un discours de vérité et établir une politique migratoire claire. Une politique concertée doit se construire en tenant compte de la réalité actuelle, car même avec un taux de chômage de 7 %, certains secteurs – restauration, bâtiment, services à la personne – dépendent des immigrés ; et il est essentiel de considérer l’avenir, car nous savons que notre démographie évolue et que nos besoins en main-d’œuvre vont croître.
Mais la politique migratoire actuelle est insatisfaisante et son résultat le plus évident est la présence de migrants sans-abri qui attendent que l’administration prenne en compte leur situation…
L. C. : C’est un enjeu qu’il est crucial d’aborder, en commençant par rétablir une politique d’accueil digne de ce nom. Nous observons actuellement des personnes qui, en attendant un rendez-vous en préfecture pour renouveler leurs documents, se retrouvent en situation irrégulière. C’est une mécanique qui produit des sans-papiers ! En empêchant ces personnes de s’intégrer, l’État va à l’encontre des principes qu’il prétend défendre. Et au-delà de la justification de la régularisation des sans-papiers par le travail, les considérations humanitaires et de solidarité doivent être prises en compte.
Mais l’économie – sur laquelle la gauche, pas seulement aux États-Unis, peut légitimement revendiquer une réflexion et un savoir-faire accru – peut-elle tout résoudre ? Éradiquer ce que l’on nomme les paniques morales ? Par exemple, satisfaire le désir de sécurité en s’attaquant à un véritable défi que représente le narcotrafic dont la violence se propage jusque dans les villes moyennes ?
L. C. : Sans aller jusqu’à affirmer que tout se résout par une question budgétaire, il est clair qu’ignorer l’aspect économique peut conduire à des illusions et à l’échec. C’est le cas de la lutte contre le narcotrafic, qui a souffert d’un sous-investissement politique structurel visible dans le financement de la lutte contre la criminalité financière au sens large.
Nous avons ainsi constaté que les effectifs de police et de gendarmerie ont été augmentés pour lutter contre le trafic de stupéfiants, tandis qu’aucune réflexion n’a été engendrée sur sa contrepartie financière, entraînant une réduction des effectifs dédiés aux enquêtes complexes sur le blanchiment d’argent, qui nécessitent des personnels très qualifiés. L’État a sous-investi. Résultat : l’accent est mis sur les maillons faibles du trafic – les consommateurs et les petites mains, aux dépens de ceux qui orchestrent le trafic. La cohérence de l’action publique est altérée, ce qui impacte son efficacité.
Nous avons appris début septembre que le déficit de l’État serait beaucoup plus important que prévu, s’établissant à 6,4 % au lieu des 4,4 % initialement anticipés. Cette annonce a-t-elle pris au dépourvu l’ancienne membre de la direction du Trésor ?
L. C. : Oui. Je me mets à la place de mes anciens collègues de bureau, attachés à la défense des intérêts de l’État, et je me dis que ce moment doit être assez inconfortable pour eux… Avec des auditions prévues au Sénat et à l’Assemblée nationale, il sera intéressant de découvrir les avertissements contenus dans les notes que l’administration a envoyées antérieurement aux politiques.
Ce qui m’interpelle, c’est l’irresponsabilité de la politique qui a été menée. Rappelons-nous qu’il a fallu annuler 10 milliards de crédits quelques semaines seulement après l’adoption de la loi de finances 2024. Qui fait ça, sinon des personnes peu expérimentées ? Si la gauche avait commis un dixième de cette erreur, elle aurait été accusée d’incompétence.
Bruno Le Maire aurait-il dû démissionner lorsque Emmanuel Macron et Gabriel Attal lui ont refusé une loi de finances rectificative au printemps 2024 ?
L. C. : La question était effectivement légitime.
La situation des finances publiques étant, hélas, ce qu’elle est, Michel Barnier n’avait-il pas d’autre choix que d’adopter un budget d’austérité ?
L. C. : Oui, il existait bien d’autres alternatives, et cela demeure le cas. Je pense que les différents gouvernements se sont enfermés dans une stratégie dogmatique de rejet du levier fiscal. Au cours de la dernière décennie, on a abandonné entre 50 et 60 milliards d’euros de recettes annuelles. À tel point qu’ils en ont oublié qu’il était possible de mobiliser la fiscalité pour réduire le déficit public, en se concentrant uniquement sur les dépenses. En résumé, le gouvernement s’appuie énormément sur le volet dépenses, redirigeant les maigres recettes supplémentaires vers le désendettement.
La proposition du gouvernement Barnier de toucher marginairement à l’outil fiscal est cependant un tournant idéologique de la part d’un exécutif à tendance LR qui n’a pas été suffisamment souligné. Cette dynamique entraîne d’ailleurs une débâcle par la macronie, accroquée par son refus des impôts, donc sur sa droite ! C’est un aspect intéressant sur le plan idéologique. La droite est en train de perdre toute crédibilité en matière économique, car selon l’OFCE, la contraction budgétaire planifiée par Michel Barnier coûtera 0,8 point de PIB en 2025.
En revanche, le NFP a présenté en ouverture du débat sur la loi de finances 2025 dix mesures susceptibles de générer 50 milliards d’euros. C’est une approche plus responsable car d’une part, elle ne nuira pas à l’activité alors que la croissance est faible [lire ici l’analyse d’Anne-Laure Delatte, NDLR]. Nous pensons que notre plan soutiendrait l’économie et – j’insiste là-dessus – tout en réduisant progressivement l’endettement.
Nous arrivons à la fin de la discussion sur les recettes. Alors que les échanges sont peu clairs à l’Assemblée nationale, quel bilan tirez-vous du plan que vous avez présenté avec les parlementaires du NFP ?
L. C. : Tout le monde considérait le NFP comme mort. Cependant, nous avons su travailler en commun pour proposer des éléments cohérents visant à rendre le budget plus juste et efficace. La plupart de nos amendements ont été adoptés en commission des finances, et certains dans l’Hémicycle. Ainsi, nous avons pu constater qu’il existe à l’Assemblée une demande pour une justice fiscale et un rétablissement de l’équité fiscale.
La cacophonie ne provient pas de la gauche, qui a même restreint le nombre de ses amendements, mais de la compétition au sein du bloc central et du gouvernement qui semble vouloir s’en servir pour faire passer son projet en recourant à l’article 49.3 de la Constitution. Il a d’ailleurs déjà ignoré les votes des députés concernant le projet de loi de financement de la sécurité sociale en soumettant sa propre version au Sénat.
Une dissolution sera à nouveau envisageable à partir de juin 2025. Le NFP ne doit-il pas utiliser cette période pour réajuster son programme, dont on sait qu’il a été élaboré dans la hâte d’une part, et s’adapter à la dégradation de la situation économique et géopolitique ?
L. C. : Pour moi, la dissolution n’est pas la perspective la plus probable, même si le gouvernement Barnier pourrait falloir. Pour approfondir les positions du NFP, nous avons déjà travaillé durant tout l’été sur des sujets significatifs : l’éducation, la santé, les services publics, le pouvoir d’achat, l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, du Smic, et le dialogue avec les partenaires sociaux.
La conjoncture économique peut nécessiter des ajustements, mais je réaffirme l’importance d’une logique cohérente : restaurer la justice fiscale et abolir les aberrations fiscales anti-économiques, les niches fiscales inutiles, ainsi que les dépenses fiscales mal ciblées qui entraînent des effets d’aubaine pour des entreprises qui n’en ont pas besoin. Il est donc nécessaire de mettre en place une réforme fiscale précise qui vise à récupérer de l’argent là où il se trouve sans impact excessif sur l’activité économique et sans conséquences sur les catégories populaires, afin d’aider à réduire le déficit et à financer les services publics, etc. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de revoir totalement le programme du NFP.
Vous souhaitiez être candidate du NFP lors de l’élection législative partielle en Isère, mais les luttes internes ont rendu cela impossible. Le fait qu’une coalition politique ne laisse pas de place à la personnalité qu’elle avait envisagée comme sa future Première ministre ne remet-il pas en question sa solidité ?
L. C. : Quand on s’intéresse à la chose publique, il est normal de vouloir obtenir la légitimité des suffrages de ses concitoyens. En Isère, la France Insoumise n’était pas prête à céder une député qui siégerait dans son groupe. J’ai tenu à conserver ma liberté. Cela a été fait de manière cordiale.
Si une autre circonscription se libérait, j’y réfléchirais à nouveau. À condition que je puisse demeurer un trait d’union entre les partis du NFP, ce qui m’interdit de siéger dans l’un ou l’autre de ses deux pôles, et, bien sûr, que j’obtienne l’accord des militants locaux.
La pression pour qu’Elon Musk façonne la politique américaine en matière d’IA commence déjà.
Illustration par Kristen Radtke / The Verge ; Getty Images Les initiatives pour influencer les politiques du président élu Donald Trump par l’intermédiaire d’Elon Musk ont d’ores et déjà débuté. Vendredi, l’organisation à but non lucratif Americans for Responsible Innovation (ARI) a lancé une pétition demandant à Trump de désigner Musk comme conseiller spécial en matière d’IA, soutenant qu’il est bien positionné pour préserver l’avantage technologique des États-Unis tout en assurant un déploiement sécurisé. “Personne n’est mieux préparé pour aider l’administration Trump à garantir que l’Amérique excelle dans le domaine de l’IA que Elon Musk”, indique la pétition diffusée par l’ARI, dirigée par l’ancien représentant démocrate Brad Carson qui assure ne pas recevoir de financements d’entreprises. Musk a été un critique notable d’OpenAI, une société qu’il a cofondée mais dont il s’est récemment distancié, la transformant en concurrente. Peu de temps après le lancement de ChatGPT, il a signé une lettre appelant à un moratoire sur le développement de modèles d’IA générative avancés afin d’établir des garde-fous. Cependant, ses détracteurs soutiennent que ses positions sont en grande partie égoïstes, étant donné qu’il dirige également sa propre société d’IA, xAI. La pétition de l’ARI soutient qu’il est possible de gérer les conflits d’intérêts de Musk, affirmant qu’avec des “mécanismes adéquats” en place, “Musk représenterait un atout inestimable pour assister l’administration Trump dans l’orientation de cette technologie révolutionnaire.” L’ARI vise à recueillir 10 000 signatures sur la pétition. “Musk pourrait se dresser comme un défenseur de la sécurité de l’IA au sein de l’administration”, a déclaré l’analyste politique de l’ARI, David Robusto, dans un article de blog récent. Robusto a mentionné le cofondateur d’OpenAI par Musk, son appel à un moratoire sur le développement de l’IA, ainsi que son soutien au projet de loi californien sur la sécurité de l’IA, SB 1047,…
Le Nouveau Manuel Pro-Vie
Sous Trump, une nouvelle vision de la politique familiale conservatrice est en pleine ascension.
Les librairies autonomes, cruciales et fragiles
Être entouré de livres n’immunise pas contre les fluctuations économiques. Depuis le printemps passé, Emilie Grieu, créatrice de la librairie Les Pipelettes à Romainville (Seine-Saint-Denis), a « souvent été à découvert dès le dix de chaque mois », partage-t-elle. « C’est inédit », précise cette quadragénaire dynamique.
Pour les environ 3 700 librairies indépendantes présentes en France (au sein de 25 000 points de vente de livres au total, y compris hypermarchés et stations-service, selon le ministère de la Culture), l’année 2024 s’annonce comme un challenge. Après l’enthousiasme des lecteurs et lectrices pour leur librairie de quartier, qualifiée de « commerce essentiel » durant la crise de la Covid, les ventes stagnent.
Selon l’Observatoire de la librairie française, les ventes reculent même pour les livres, hors papeterie (- 0,9 % de janvier à septembre 2024 par rapport aux neuf premiers mois de l’an passé).
Pour les plus petites librairies, celles dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 500 000 euros, comme Les Pipelettes, la condition devient alarmante. D’après une analyse du cabinet Xerfi, de nombreux commerces pourraient faire face à la faillite dès l’année prochaine. Unique au monde grâce à la densité de son réseau, essentielle pour le lien social et le tissu territorial autant que pour l’échange d’idées, cette industrie se retrouve prise dans un redoutable effet ciseau.
Augmentation des coûts
D’une part, les coûts ont fortement grimpé depuis 2021. L’énergie en tête. Les plus grandes librairies indépendantes, parmi les plus coûteuses à chauffer, ont enregistré une hausse de 150 % de leur facture d’électricité.
Contrairement aux boulangers, d’autres commerçants « essentiels », les libraires n’ont pas bénéficié de tarifs plafonnés. Résultat ? Comme beaucoup de patrons de PME, certains libraires expriment parfois le sentiment de « travailler pour Engie », confie Amanda Spiegel, à la tête de Folie d’encre à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et vice-présidente du Syndicat de la librairie française (SLF).
En outre, la flambée des prix des carburants impacte également les frais de transport (+13 % depuis 2021) que supportent les libraires : ils doivent financer l’acheminement des livres commandés et le retour des invendus au distributeur.
Ce n’est pas tout. Les commerces indépendants, généralement situés en centre-ville, doivent aussi gérer la hausse des loyers, un important poste de dépenses. Dans le quartier populaire en transformation de Romainville, Emilie Grieu doit débourser 3 000 euros par mois pour 70 mètres carrés de surface de vente en rez-de-chaussée et un sous-sol de 30 mètres carrés.
Concernant le personnel, souvent mal rémunéré, il a fallu augmenter les salaires (+10 % de masse salariale) pour faire face à l’inflation, atteignant en 2024 un salaire moyen de 1 720 euros nets, somme modeste pour des diplômés engagés et cultivés.
Dans les librairies indépendantes, la masse salariale représente une part plus conséquente du budget (environ 20 % contre 14 % à la Fnac, 10 % en grande surface, 5 % sur Amazon). C’est logique : conseiller les clients, valoriser des titres méconnus et inviter des auteurs requiert du temps et des compétences. « C’est vital », résume Emilie Grieu, qui emploie Cécile, libraire expérimentée en CDI, et un stagiaire, Alexis, apprenti libraire et passionné de sciences humaines.
À l’opposé, les prix ne suivent pas. Fixés par les éditeurs selon la loi Lang de 1981 sur le « prix unique du livre », ils n’ont crû que de 2,2 % en moyenne en 2024. Cette législation a le mérite de protéger l’écosystème des librairies indépendantes de la concurrence des grandes surfaces, sauvegardant ainsi la pluralité éditoriale.
Le souci, c’est que les remises accordées par les éditeurs aux libraires, d’environ un tiers du prix de vente, ne suffisent plus : « Il faudrait obtenir 38 % à 40 % », estime Emilie Grieu. En conséquence, les marges des librairies se resserrent. Cette année, elles ne dépassent pas 1 % de leur chiffre d’affaires moyen, l’un des taux de marge les plus bas dans le commerce de détail, « avec les fleuristes », nous informe-t-on.
Trois fois plus qu’il y a trente ans
Les livres deviendraient-ils jetables ? En termes logistiques, c’est certain. Toutes catégories confondues, du manuel scolaire au livre de cuisine en passant par le roman, environ 75 000 publications voient le jour chaque année, soit trois fois plus que dans les années 1990. Et ce, alors même que la population n’a augmenté que de 20 % et que les Français ne lisent pas davantage.
Bien que cette richesse puisse illustrer une diversité bienvenue dans l’offre de lecture, il en résulte qu’à peine arrivées en rayon, les nouveautés doivent céder la place à des titres encore plus récents. « Nous passons notre temps à décharger et à remplir des cartons », témoigne Anne Martelle. La production éditoriale pousse les cadences à un rythme insoutenable :
« On n’a plus le temps de lire ! s’écrie sa collègue Amanda Spiegel. Dans ces conditions, on ne parvient plus à faire découvrir les livres, on perd l’essence même du métier. »
Cette précipitation impacte également l’empreinte carbone de la filière : l’écologie était l’un des thèmes majeurs des rencontres nationales de la librairie, tenues à Strasbourg en juin dernier. Au début de l’année, l’association de libraires indépendants Pour l’écologie du livre a lancé une « trêve des nouveautés », sous l’égide de sa cofondatrice Anaïs Massola, libraire au Rideau rouge, à Paris.
Ingénieux, les participants ont refusé certains ouvrages selon des critères délibérément surprenants (comme la couleur de la couverture…). Cette initiative incitera-t-elle les éditeurs à réduire leur production (un peu) ? Les libraires auraient tout à y gagner, car le rythme élevé des commandes et des retours pèse sur leur budget.
Diversité de l’offre culturelle
Et après ? « Déjà sur le fil, écrivent les spécialistes de Xerfi, la situation financière des librairies (indépendantes, NDLR.) pourrait encore se détériorer dans les années à venir ». Dès 2025, précisent-ils, les plus petites pourraient encaisser des « pertes considérables » et des fermetures.
Cette vulnérabilité menace la pluralité de l’offre culturelle en France et soulève également une question politique. Dans un contexte économique délicat, les libraires se trouvent en effet exposés aux manœuvres de riches entrepreneurs d’idées, souvent proches de l’extrême droite. En septembre 2023, Vivendi, le groupe dirigé par Vincent Bolloré, a acquis l’Écume des pages, célèbre enseigne parisienne située à Saint-Germain-des-Prés.
Cet automne, un autre milliardaire « patriote » (sic) s’intéresse aux librairies indépendantes : Pierre-Edouard Stérin, leader du fonds Otium Capital, finance le projet nommé « Périclès » à hauteur de 150 millions d’euros pour « l’enracinement, l’identité » et « l’anthropologie chrétienne ».
Après avoir échoué l’an passé à acquérir le groupe Editis (Belfond, Julliard, Robert Laffont…) puis, en août dernier, le magazine Marianne, il a publié une annonce. Il recherche « un entrepreneur » afin de constituer d’ici cinq ans « un réseau de 300 librairies indépendantes dans les régions françaises » qui organiseraient « plus de 5 000 événements culturels locaux ». L’objectif ? « Réinventer le concept de librairie multi-activités avec une offre culturelle au service des familles ». Une bataille culturelle est en cours.
Pourquoi le retour de Trump représente un danger pour l’économie mondiale
Il revient. Quatre ans après son tumultueux retrait de la Maison-Blanche, Donald Trump est devenu le 47e président des Etats-Unis. L’homme d’affaires, qui a su rassembler son électorat tout en grignotant des voix chez sa rivale démocrate Kamala Harris, s’installera au bureau ovale en janvier, bénéficiant d’une victoire indiscutable puisqu’il a remporté à la fois le vote des grands électeurs et le vote populaire, contrairement à son premier mandat.
Malheureusement pour les Etats-Unis et surtout pour le reste du monde, son retour en puissance pourrait s’avérer particulièrement nuisible, avec des mesures fiscales inéquitables, des politiques destructrices pour le climat, une guerre commerciale mondiale et des déstabilisations géopolitiques.
De plus, cette fois-ci, Donald Trump devrait bénéficier des « pleins pouvoirs » : le Sénat est déjà acquis à sa cause, la Chambre des représentants pourrait suivre, et un grand nombre de juges lui sont plus favorables qu’entre 2016 et 2020.
Dans ce contexte, nous avons analysé cinq domaines où le retour de Donald Trump devrait être le plus marquant et préoccupant.
1/ En économie, un triple danger financier
Si Donald Trump met en œuvre son programme économique, le déficit budgétaire sera amené à croître… d’approximativement 8 000 milliards de dollars au cours des dix prochaines années ! C’est en effet l’estimation du Committee for a responsible federal budget, un think tank bi-partisan.
Cette aggravation est principalement due à de vastes réductions d’impôts, dépassant les 10 000 milliards, en faveur des plus riches et des sociétés. Elles seraient légèrement compensées par une diminution de certaines dépenses et des recettes supplémentaires générées par la mise en place de tarifs douaniers. Par conséquent, la dette publique américaine pourrait passer de 100 % du produit intérieur brut (PIB) aujourd’hui à plus de 140 % d’ici 2035.
Premier souci : une telle demande de financement devrait entraîner une hausse des taux d’intérêt dans la décennie à venir. Le taux d’emprunt à 10 ans, actuellement aux alentours de 4,5 %, pourrait être amené à diminuer à court terme grâce à la politique monétaire de la banque centrale, qui est en phase de baisse des taux. Cependant, le besoin massif d’argent de Trump devrait plutôt, toutes choses égales par ailleurs, conduire à une montée des coûts d’emprunt (et donc des taux d’intérêt) à moyen et long terme.
Ce problème interne aux Etats-Unis ne se limitera pas à leurs frontières. La dette américaine agira comme un aspirateur sans précédent de l’épargne mondiale. Alors que le reste du monde est déjà endetté et doit investir massivement dans la transition énergétique, l’innovation, la santé et les retraites, sans oublier la défense face à une Amérique qui se replie, la lutte pour l’épargne mondiale sera acharnée. Cela entraînera des tensions financières régulières.
Ces tensions risquent encore de se transformer en crises bancaires, puisque Donald Trump devrait adopter une politique de déréglementation financière ainsi que de fortes pressions politiques sur la banque centrale. Même un Jamie Dimon, le PDG de J.P. Morgan, qui a longtemps soutenu que de bonnes régulations renforçaient la solidité des bilans bancaires, appelle désormais à une baisse des réglementations.
Nul doute que le Royaume-Uni en profitera pour suivre la même voie afin que la City conserve ses avantages compétitifs. De même, les banques du Vieux continent profiteront de la situation pour demander moins de règles.
Deux scénarios apparaissent désormais possibles. Dans le premier, Donald Trump parvient à appliquer son programme. Les Etats-Unis se trouveraient alors dans une situation semblable aux années 1920 et à la crise de 2007-2008, deux périodes marquées par une triple convergence : des inégalités fortes et croissantes, des banques peu régulées, et au final, une crise financière d’ampleur historique.
Dans le second scénario, les Républicains conservateurs en matière de budget freinent les baisses d’impôts que souhaite Trump (par exemple à hauteur de 5 000 milliards de dollars, comme en 2017).
C’est la tendance ressentie chez les analystes de marchés après l’annonce de la victoire de Donald Trump. Selon un adage américain, il pourrait « aboyer plus fort qu’il ne mord ». Mais quand la première puissance économique mondiale mord, même légèrement, elle a tout de même le potentiel de causer des dommages à tout le monde.
Christian Chavagneux
2/ La guerre commerciale sera bien au rendez-vous
Il est difficile de reprocher à Donald Trump le manque de clarté de ses intentions. Celui qui prendra ses fonctions en janvier prochain a promis un renforcement significatif de la guerre commerciale. Il souhaite porter les droits de douane à 10 % (contre 3 % actuellement) sur tous les produits importés. La Chine, pour sa part, aura un traitement défavorable avec un taux de 60 %.
L’augmentation des droits de douane sur certains produits n’est pas nouvelle, tant les tensions commerciales sont vives depuis des années. Mais le durcissement du protectionnisme américain promis par Donald Trump est d’un tout autre niveau : la dernière fois qu’une telle hausse des tarifs douaniers a été observée aux Etats-Unis remonte aux années 1920.
Si un taux de 10 % peut sembler modeste, il est en réalité très conséquent, sachant que le droit de douane moyen dans le monde est de 3,9 % et qu’aux Etats-Unis, il est même légèrement inférieur (3 %). L’ampleur de la mesure est d’autant plus importante qu’elle touchera tous les pays du monde et tous les produits.
Si les fabricants étrangers et les distributeurs américains ne modifient pas leurs marges, à court terme, ces hausses de tarifs devraient être répercutées sur le consommateur américain. Mais les conséquences ne se limiteront pas aux Etats-Unis, car ce durcissement du protectionnisme de la part de la première puissance économique mondiale risque de bouleverser les flux commerciaux internationaux.
En ciblant très spécifiquement la Chine, avec un taux de 60 %, les exportations de Pékin vers les Etats-Unis devraient mécaniquement diminuer. Une récente étude du Cepii anticipe une réduction de 80 % des exportations chinoises vers Washington si Donald Trump met en œuvre ses promesses. Les capacités de production chinoises étant telles, ce que Pékin n’exporte plus aux Etats-Unis sera vraisemblablement redirigé ailleurs. À commencer par l’Europe, qui pourrait être inondée de Made in China dans ses magasins.
Justin Delépine
3/ Social : une stratégie fiscale indifférente aux inégalités
Rebelote ! Donald Trump n’a pas seulement été réélu, il a également l’intention de renforcer les inégalités aux Etats-Unis. Son programme économique prévoit déréglementation et baisses d’impôts, les mêmes politiques ayant contribué à enrichir les plus riches et à appauvrir les moins chanceux depuis les années 1980.
Le Républicain va reconduire les réductions d’impôts instaurées en 2017 et arrivant à expiration l’an prochain. Ces allégements fiscaux aux plus riches et aux entreprises n’ont pas eu l’effet d’un « ruissellement » sur la classe moyenne comme il l’affirmait. Le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités de revenus, a augmenté après la mise en place de ces réductions d’impôts, atteignant son niveau le plus élevé depuis 1967 avec 0,494 en 2021.
Ce n’est pas de nature à préoccuper l’ancien homme d’affaires, qui veut aller encore plus loin. Il envisage ainsi de faire baisser le taux d’imposition des sociétés. Celui-ci, déjà réduit de 35 % à 21 % en 2017, devrait bientôt passer à 15 %. Le Président promet aussi de nouvelles exonérations fiscales sur le revenu. Des mesures qui bénéficieront uniquement à ceux suffisamment riches pour être imposés.
Selon les calculs du think tank Tax Foundation, cette politique fiscale, couplée à l’augmentation des droits de douane qui alourdira le prix des biens importés, réduira le revenu net des 40 % des Américains les plus pauvres d’ici 2034. Ainsi, les 20 % des ménages les plus pauvres verront leur revenu diminuer de 0,6 %, tandis que le deuxième quintile (les ménages se situant entre les 20 % les moins riches et les 60 % les plus riches) connaîtra une baisse de 0,4 %.
Quant aux 20 % les plus riches, ils devraient bénéficier d’une augmentation de 3,1 % de leur revenu après impôts. De quoi exacerber les inégalités déjà profondes qui prévalent dans ce pays.
Juliette Le Chevallier
4/ Une menace climatique à retardement
« One of the greatest scams of all time » (traduction : « une des plus grandes arnaques de tous les temps ») . Voilà comment Donald Trump qualifie le réchauffement climatique. À quel point donc devrions-nous nous inquiéter de ses perspectives en matière climatique ?
À l’international, Donald Trump a déclaré qu’il ferait à nouveau sortir l’Amérique de l’accord de Paris sur le climat. C’est un coup de tonnerre semblable à celui de 2016, mais amplifié, car l’urgence est telle que tout retard dans les politiques de décarbonation représente une véritable bombes climatique.
À court terme, les négociations de la COP 29 qui débutent la semaine prochaine en Azerbaïdjan, déjà mal engagées, sont plus que jamais compromises. Leur principal enjeu sera d’accroître les financements des pays riches en faveur des nations en développement. Mais si l’acteur mondial principal (en termes d’émissions historiques de gaz à effet de serre) se retire, il sera très compliqué de progresser vers un accord.
Sans financements additionnels significatifs, on craint que les pays émergents et en développement n’acceptent pas d’élever leurs engagements climatiques à court terme. Cela sera d’autant moins probable que les pays riches, à commencer par les Etats-Unis, n’intensifient pas leurs efforts pour diminuer leurs propres émissions de gaz à effet de serre.
De surcroît, l’Europe, dont la détermination climatiques a notablement faibli à cause de la montée des droites dure, pourrait être encore moins encline à maintenir son cap si son concurrent américain choisit de faire un pas en arrière. L’élévation des engagements nationaux (et leur mise en œuvre), au Sud comme au Nord, demeure pourtant une condition essentielle pour s’aligner sur l’objectif vital de rester bien en dessous de 2 °C. Pour référence, les politiques en cours conduisent vers un réchauffement global de + 3 °C.
Sur le plan intérieur, le second mandat de Donald Trump devrait avoir un impact climatique et environnemental bien plus désastreux que le premier. Il est difficile de dire si le nouveau Président va annuler – et dans quelle mesure – les subventions massives accordées aux industries vertes sous Joe Biden dans le cadre de l’Inflation Reduction Act. En effet, ces mesures favorisent le « made in America », ce qui réjouit les dirigeants républicains du secteur. Cet héritage pourrait donc demeurer intact.
En revanche, Donald Trump sera en mesure de modifier considérablement les normes environnementales, bien plus facilement que lors de son premier mandat. Cela pourrait accentuer la prospection et la production de combustibles fossiles, la construction automobile (thermique) et les industries polluantes, ou encore faciliter l’exploitation des centrales électriques à charbon et à gaz.
Au cours de ses quatre premières années au pouvoir, il avait œuvré à supprimer une centaine de réglementations environnementales, dont celles limitant les émissions des véhicules et des centrales électriques. Cependant, ses équipes avaient été confrontées à une fonction publique réticente et à des recours devant la justice fédérale, qui ont souvent annulé ses réformes jugées illégales et mal préparées. De plus, ce qui avait été abrogé sous Trump a pu être facilement rétabli et même renforcé sous Biden.
Depuis, les collaborateurs de Donald Trump ont tiré des leçons de leurs erreurs passées. Ils vont procéder à un nettoyage approfondi au sein des administrations, notamment dans la puissante Agence de protection de l’environnement (EPA) et dans les instances de recherche. Ils s’assureront que les réformes futures soient juridiquement solides et difficilement annulables par la suite.
Donald Trump devrait être soutenu par un congrès désormais majoritairement républicain et par les nombreux juges nommés durant son premier mandat, dont trois à la Cour suprême, qui est majoritairement conservatrice.
Antoine de Ravignan
5/ International : l’Ukraine affaiblie, Israël renforcé
L’Ukraine endure. Dans son message de félicitations à Donald Trump, le président Volodymyr Zelensky a rappelé que son pays fait « d’un soutien fort, continu et bipartisan » dépendre de l’aide des Etats-Unis. Or, celle-ci pourrait diminuer, le camp trumpiste ayant critiqué à plusieurs reprises la politique de livraison d’armes à l’Ukraine initiée par Joe Biden.
Le candidat Trump a promis de mettre fin à la guerre en moins de vingt-quatre heures, sans préciser comment il s’y prendrait. « Il y a beaucoup d’incertitudes sur ce dossier : pourrait-il trouver un accord avec Poutine ? Va-t-il suspendre les livraisons d’armes ? », questionne Adrien Schu, maître de conférences en science politique à l’Université de Bordeaux.
Cependant, le chercheur souligne qu’entre les Républicains modérés et les Démocrates, le Congrès maintiendra toujours une majorité transpartisane en faveur du soutien à l’Ukraine.
« Cette majorité sera-t-elle suffisante pour contraindre l’action présidentielle ? Pour l’instant, nous ne le savons pas », ajoute-t-il.
Concernant le conflit israélo-palestinien, le milliardaire devrait poursuivre la ligne de son prédécesseur, c’est-à-dire un soutien militaire et politique au gouvernement de Benyamin Netanyahou. Ce dernier s’est réjoui sur X (ex-Twitter) : le retour de Trump à la Maison-Blanche « offre un nouveau départ pour l’Amérique et un réengagement puissant en faveur de la grande alliance entre Israël et les Etats-Unis ».
Bibi – surnom du Premier ministre israélien – sait que le prochain Président ne devrait plus dénoncer la « crise humanitaire » (terme utilisé par les démocrates) à Gaza ni inciter verbalement Israël à faire preuve de retenue, comme l’a fait Biden.
« Lors de son premier mandat, Donald Trump avait entouré de Républicains traditionnels issus de l’establishment. Ceux-ci ne partageaient pas forcément la même vision que lui et ont agi comme des contre-pouvoirs internes. Mais il s’est séparé de ces personnes et la loyauté sera le principal critère pour former sa prochaine administration », ajoute Adrien Schu.
En résumé, Trump pourra décider seul de sa politique étrangère qui semble promettre d’être encore moins atlantiste, moins multilatérale, et davantage axée sur le bilatéralisme et la compétition.
Eva Moysan
Avec Lula, le Brésil renoue avec son élan des années 2000.
Enlisée depuis 2015 dans une crise sans fin, l’économie brésilienne semble cette année faire l’objet d’un nouveau revirement. S’agit-il d’un coup de chance passager ou des résultats favorables des politiques mises en œuvre par Luiz Inácio Lula da Silva (« Lula ») depuis son retour au pouvoir il y a deux ans ?
Lorsqu’il accède à la présidence pour la première fois en 2003, avec un programme de gauche en rupture avec ses prédécesseurs, peu d’analystes parient sur une réussite, tant les défis économiques paraissent colossaux pour un président nouveau, issu des syndicats et sans expérience.
Parmi ces défis : un service de la dette publique colossal atteignant 10,3 % du PIB, la nécessité urgente de reconstituer des réserves en dollars pour stabiliser une monnaie nationale vulnérable aux spéculations, et la contrainte de rembourser les prêts souscrits au Fonds monétaire international (FMI).
Contre toute attente, Lula adopte alors une politique monétaire stricte et une rigueur budgétaire pour rassurer les créanciers brésiliens et anticiper le remboursement au FMI.
Deux ans plus tard, profitant de la montée des prix des matières premières agricoles et minières, qui revigorent l’économie brésilienne, le président change de cap et choisit une politique économique plus expansive.
Conséquence, entre 2003 et 2011, le produit intérieur brut (PIB) croît en moyenne de 4,1 % par an, permettant au Brésil de se hisser au rang de septième puissance économique mondiale. 21 ans plus tard, est-il en train de réitérer sa performance des années 2000 ?
Une hausse largement supérieure aux attentes
À la fin de 2023, les évaluations des organismes internationaux et des banques convergeaient vers une prévision de croissance modeste (maximum 1 %) pour 2024 et 2025. Un an plus tard, le tableau a radicalement évolué.
Lors du seul second trimestre 2024, l’activité a progressé de 1,4 %, et la croissance pourrait atteindre jusqu’à 3 ou même 3,5 % en 2024. 2025 s’annonce également sous de bons auspices, plaçant le Brésil parmi les rares pays du G20, aux côtés de l’Inde ou des États-Unis, à afficher une croissance dynamique. Cette perspective n’a pas échappé à l’agence Moody’s qui, le 1er octobre, a amélioré la note du pays.
De plus, l’inflation est maîtrisée à moins de 4 %, le taux de chômage est maintenant de 6,9 %, son niveau le plus bas depuis 2014, et le déficit public, initialement projeté à 2,6 % du PIB, sera finalement largement revu à la baisse.
À l’instar des années 2000, le secteur primaire exportateur reste le principal moteur de l’économie brésilienne grâce à une production et des exportations en hausse de soja, maïs, canne à sucre, poulets, porcs et bœufs. En 2024, la production devrait augmenter grâce à l’expansion des terres cultivables.
Bien que la déforestation en Amazonie ait ralenti depuis la fin du mandat de Jair Bolsonaro, elle demeure à des niveaux historiquement élevés, et la déforestation augmente désormais dans le Cerrado, un macro-biome équivalent à trois fois la France, couvrant 23 % du territoire national dans la région centrale.
En parallèle, l’industrie agroalimentaire (abattage, découpe, transformation, congélation) connaît elle aussi une forte croissance, soutenue par des groupes de portée mondiale comme JBS.
Élargir l’élan des secteurs dynamiques
Cependant, il est complexe d’attribuer ce rebond impressionnant de la croissance uniquement au boom des matières premières, comme au début des années 2000. En 2024, la contribution de ce secteur à la croissance sera même négative, selon l’Institut brésilien de statistiques IGBE, en raison d’une baisse des prix de certains produits agricoles et miniers, ainsi que des impacts du phénomène climatique El Niño.
Toutefois, le Brésil peut s’appuyer sur le secteur industriel de l’énergie, qui s’affirme de plus en plus comme un pilier de l’économie nationale. Cela est vrai tant pour le pétrole, dont l’industrie est en expansion depuis la découverte de nouveaux gisements il y a vingt ans, que pour le gaz et les énergies renouvelables, qui représentent déjà 88 % du mix électrique national.
À l’image de 21 ans auparavant, Lula soutient les secteurs en croissance par une politique de stimulation de la demande intérieure pour propager cet élan au reste de l’économie. L’objectif : générer de la croissance et de nouvelles recettes fiscales en dynamisant à la fois l’investissement public et la consommation des ménages.
Pour inciter à l’investissement, le gouvernement mise sur les entreprises publiques (notamment le géant pétrolier Petrobras) et la banque publique de développement brésilienne (BNDES). Entre 2022 et 2023, celle-ci a injecté, sous formes de prêts avantageux, l’équivalent de 2,5 points de PIB dans l’économie, principalement pour financer d’importants projets d’infrastructure.
Concernant la demande des ménages, le gouvernement a utilisé plusieurs leviers : une augmentation de plus de 50 % de la « Bolsa Familia » (une allocation familiale versée à 18 millions de foyers), une hausse de 6,8 % du salaire minimum (et des retraites indexées sur ce minimum), soit 3 points de pourcentage au-dessus de l’inflation.
On peut également noter l’augmentation du seuil d’exonération de l’impôt sur le revenu de 1 900 à 2 700 réaux par mois (600 euros) ainsi que l’annulation de 57 milliards de réaux (10 milliards d’euros) de dettes après des négociations avec les créanciers, ce qui a soulagé 15 millions de ménages.
Le tabou de la taxation des plus riches
En fin de compte, selon l’IBGE, la consommation des ménages a grimpé de 3,4 % et les dépenses publiques de 2,6 % en l’espace d’un an. Cela peut-il perdurer ? Rien n’est moins sûr.
D’une part, un taux d’intérêt réel élevé, destiné à maîtriser l’inflation, impactera bientôt la croissance. D’autant plus que l’investissement total, qu’il soit privé ou public, demeure désespérément faible au Brésil.
D’autre part, la hausse des importations de 1,4 % au second trimestre 2024 et de 4,1 % sur un an, consécutive à une augmentation de la demande interne, met en lumière le déficit chronique de productivité de l’industrie brésilienne dans son ensemble (hors énergie et agroalimentaire) et des services en particulier.
Surtout, le gouvernement actuel semble ne pas avoir retenu une leçon essentielle des années 2000, à savoir qu’il est illusoire de maintenir un modèle de croissance basé sur la distribution des richesses sans s’attaquer aux revenus élevés.
Or, il n’existe aucun signe indiquant une volonté de faire contribution des plus riches, alors même que le système fiscal brésilien, qui exonère, par exemple, les dividendes de tout impôt, est connu pour sa régressivité.
Cela s’explique politiquement : Lula semble vouloir apaiser le puissant milieu des affaires.
Aux États-Unis, l’élan pour réduire le coût des médicaments se renforce.
En juillet 2024, le Président Joe Biden et le sénateur Bernie Sanders faisaient paraître un éditorial dans USA Today critiquant « la supercherie » des sociétés pharmaceutiques. Ils mettaient en lumière les coûts élevés des nouveaux médicaments de Novo Nordisk et Eli Lilly, notamment des molécules commercialisées, sous une forme, comme antidiabétiques (Ozempic de Novo Nordisk et Mounjaro d’Eli Lilly) et, sous une autre, comme produits de perte de poids (Wegovy pour Novo Nordisk et Zepbound pour Eli Lilly).
Ces traitements engendrent une augmentation significative des dépenses pour Medicare, l’assurance santé des Américains de plus de 65 ans. Une recherche de la Kaiser Family Foundation (KFF) révèle qu’un adulte sur 8 aux Etats-Unis a utilisé l’Ozempic ou un médicament similaire depuis leur introduction sur le marché en 2018.
Aux Etats-Unis, environ 10 millions d’Américains auraient recours à ces médicaments, dont les prix sont exorbitants. Une boîte pour un traitement de 4 semaines se vend à environ 1 000 dollars. Cela pourrait conduire à la faillite du système de santé américain, selon Biden et Sanders. Ils soutiennent que, si la moitié des adultes souffrant d’obésité prenaient Wegovy, cela pourrait coûter plus de 400 milliards de dollars par an, soit plus que le montant dépensé par les Américains pour tous leurs médicaments prescrits en 2022.
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Il serait cependant possible de produire et de vendre ces médicaments à des prix bien plus abordables. Une recherche effectuée en mars 2024 par l’Université de Yale a montré que ces nouveaux traitements pourraient être proposés pour quelques dollars par mois, même en incluant une marge bénéficiaire significative.
Début 2024, Biden et Sanders abordaient la question des traitements contre l’asthme. Alors que cette maladie respiratoire, la plus répandue aux Etats-Unis, touche 27 millions d’Américains (dont 4 millions d’enfants), le coût des inhalateurs est devenu l’objet d’une enquête sénatoriale. Souvent vendus à plusieurs centaines de dollars, les inhalateurs ont été ramenés à un prix maximum de 35 dollars suite à cette initiative.
Régulations
Ces dernières années, les tensions au sujet des prix des médicaments ont augmenté aux Etats-Unis. En 2023, plus de 20 % des adultes ont déclaré ne pas avoir suivi une prescription médicale à cause des coûts, tandis que 12 % affirmaient avoir divisé des pilules ou sauté des doses pour les mêmes raisons.
Diverses mesures ont été mises en place sous l’administration Biden. En 2022, une nouvelle législation concernant les médicaments prescrits, le « Maximum Fair Price » (MFP) ou « Prix équitable maximum », a été adoptée et est entrée en vigueur. Elle fixe notamment un seuil de dépense pour le traitement mensuel de l’insuline pour les produits couverts par Medicare (35 dollars) et établit un principe de négociation des prix avec les fabricants de médicaments.
Dans le cadre du « Maximum Fair Price » (MFP), dix médicaments ont été choisis pour des négociations avec les laboratoires. Ces baisses de prix devraient entrer en vigueur le 1er janvier 2026. La menace de sanctions fiscales est l’un des outils de négociation. Le programme d’assurance maladie Medicare devrait permettre de négocier les prix d’environ soixante médicaments dans les quatre années à venir, avec la possibilité d’ajouter une vingtaine de médicaments supplémentaires par an.
Négociations des prix avec les industriels
En mars dernier, quatre grandes entreprises pharmaceutiques ont porté plainte devant un tribunal du New Jersey, affirmant que ces négociations, qui leur retirent leur libre propriété sur les médicaments, sont contraires à la Constitution. Pourtant, un juge fédéral du Delaware a validé la légitimité de la loi imposant la négociation des prix avec Medicare.
Une transformation significative semble donc être en cours dans le cadre américain. Cela a été en partie marqué par l’instauration de « l’Obamacare », également connu sous le nom de Patient Protection and Affordable Care Act (PPACA). Adoptée en 2010, elle a permis d’augmenter le nombre de personnes couvertes par Medicaid (l’assurance maladie publique destinée aux personnes à faibles revenus ou invalides) et d’améliorer les couvertures santé individuelles proposées par les employeurs.
Face à la pression des lobbys des grandes entreprises pharmaceutiques, Obama avait dû abandonner la possibilité pour Medicare de procéder à des négociations de prix à l’échelle fédérale lors du passage de la loi. Cela alors que Medicare, qui couvre 61 millions de personnes, représente le plus gros client de l’industrie pharmaceutique (1 000 milliards de dollars en médicaments en 2023).
Une bataille intense avec les lobbies
En plus des mesures visant directement les prix, un nouveau cadre juridique a été proposé fin 2023 par l’administration Biden pour permettre, si nécessaire, l’utilisation de découvertes brevetées financées en partie par des fonds publics. Cela s’appuie sur une disposition dénommée « March-in Rights » issue de la loi Bayh-Dole de 1980, qui jusqu’à présent n’a pas été appliquée.
Cette proposition a provoqué des réactions très vives de la part des grandes entreprises ainsi que de tous les acteurs qu’elles influencent (chambre de commerce, avocats, politiciens, voire les administrations universitaires), mais elle illustre l’émergence d’un besoin : réévaluer l’équilibre entre les intérêts privés de ces entreprises et l’intérêt commun.
Simultanément aux actions fédérales, plusieurs Etats ont aussi commencé à mettre en œuvre des mesures pour diminuer le coût des médicaments. En Californie, par exemple, une nouvelle loi a renforcé les exigences de transparence en matière de prix des médicaments sur ordonnance. En 2023, la Californie a également pris l’engagement de produire et de distribuer l’insuline pour 30 dollars par mois, tout en explorant la possibilité de produire d’autres médicaments essentiels.
Joe Biden a fait de la question des prix des médicaments un thème majeur de sa campagne pour l’élection présidentielle de novembre, soutenu par Kamala Harris. Ils ont dénoncé le fait que les prix aux Etats-Unis figurent parmi les plus élevés au monde, souvent bien plus importants que ceux en Europe, qui sont déjà excessifs. On peut déjà imaginer les responsables politiques européens exprimant leurs inquiétudes, de peur que des baisses américaines ne se traduisent par des hausses sur le vieux continent.
Cependant, le statu quo est insoutenable. Pourquoi un Américain devrait-il débourser 645 dollars pour un inhalateur qui coûte 49 dollars au Royaume-Uni ? Et comment peut-on accepter qu’un inhalateur, indispensable à la survie de nombreux malades, soit vendu 49 dollars alors qu’il en coûte seulement 5 à fabriquer ?
Qu’ils soient 10, 20 ou 100 fois trop chers, les prix de ces médicaments sont démesurés par rapport à leur coût de production, et cette situation perdurera tant que les gouvernements ne décideront pas de changer les choses.
Que signifie l’élection de Trump pour les VE, Tesla et Elon Musk ?
Lors de sa campagne, Donald Trump a dit beaucoup de choses sur les véhicules électriques. Il a déclaré qu’il mettrait “fin au mandat des véhicules électriques dès le premier jour”, que les VE “ne fonctionnent pas” et qu’ils bénéficient à la Chine et au Mexique tout en nuisant aux travailleurs de l’automobile américains. Mais il s’est aussi aligné de près avec Elon Musk, qui dirige la plus grande entreprise de véhicules électriques aux États-Unis. Et il est probable qu’il ait Musk continuant à lui chuchoter à l’oreille sur des questions politiques importantes à l’avenir, allant même jusqu’à promettre de nommer le milliardaire mercuriel à un poste dans son administration. Alors maintenant qu’il est le président élu, que fera-t-il réellement qui affectera l’industrie automobile et son changement fragile vers les véhicules électriques ? Tout d’abord, il a dit qu’il “annulerait tous les fonds non dépensés” dans la loi sur la réduction de l’inflation du président Joe Biden, qui comprend de nombreux efforts de l’administration pour inciter à la production de VE aux États-Unis. Trump est susceptible de tuer ces incitations, de tout, du crédit d’impôt pour les VE aux incitations pour les usines de batteries et l’exploitation minière. Que fera-t-il réellement qui affectera l’industrie automobile et son changement fragile vers les véhicules électriques ? Cela pourrait s’avérer être une décision impopulaire, car les crédits d’impôt ont montré qu’ils fonctionnent. L’administration Biden affirme que les crédits d’impôt ont été couronnés de succès, économisant aux acheteurs de voitures 1 milliard de dollars en 2024 rien qu’en 2024. Le crédit peut désormais être appliqué au point de vente, ce qui signifie que les acheteurs peuvent accepter une réduction sur leur achat de VE directement auprès des concessionnaires. Et les ventes de VE continuent d’augmenter, croissant de 11 pour cent d’une année sur l’autre au troisième…