ECONOMIE
La Russie semble avoir pour but de rendre l’Ukraine invivable. Cette conviction est largement partagée parmi les Ukrainiens et s’est intensifiée avec les récentes attaques massives du dimanche 17 novembre. Ce jour-là, l’armée russe a tiré 120 missiles et 90 drones, ciblant avant tout les infrastructures énergétiques, comme cela a été souvent le cas. Dès le début de l’année 2024, Moscou en a fait un de ses principaux objectifs.
Ces assauts, menés dimanche dernier, ont causé dix morts et laissé plus d’un million de personnes sans électricité. Les habitants redoutent que les coupures ne perdurent et s’aggravent, alors que l’hiver est imminent.
L’Ukraine ne dispose actuellement que de moins d’un tiers de sa capacité de production d’énergie d’avant-guerre, un chiffre en constante diminution. Déjà, en 2022 et 2023, environ la moitié de ces capacités avaient été perdues (soit détruites ou prises par l’armée russe). Malgré des restrictions énergétiques majeures, le pays a réussi à survivre à deux hivers dans des conditions difficiles, aidé par des températures relativement clémentes et une baisse de la consommation d’énergie, entre autres facteurs.
Mais pour l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la situation est critique en prévision de la prochaine « saison de chauffage ». « Les pressions sur le système sont désormais écrasantes », indique l’AIE dans un rapport publié en septembre.
Une dégradation des conditions de vie
Les coupures d’électricité perturbent déjà gravement la vie des Ukrainiens. Selon un rapport de la Mission de surveillance des droits humains des Nations unies, ces interruptions pourraient durer de quatre à dix-huit heures par jour cet hiver.
Ces perturbations risquent d’amplifier les déplacements internes vers l’ouest du pays et les départs au-delà des frontières. Céline Bayou, chercheuse affiliée au Centre de recherche Europe-Eurasie de l’Inalco, s’est rendue à Kiev durant l’été et relate :
« Dans un train, j’ai parlé à une femme qui allait en Pologne pour quelques jours et qui m’a confié qu’elle ignorait si elle retournerait à Kiev, tant son quotidien était éprouvant en raison des coupures d’électricité. »
La spécialiste a remarqué que cette fatigue et ce stress étaient omniprésents chez de nombreux habitants de la capitale. « Les coupures sont rarement signalées à l’avance. Il est donc impossible d’utiliser l’ascenseur, par exemple. Par temps chaud, il devient difficile de conserver des aliments frais. Sans électricité, il est également impossible de cuisiner », détaille-t-elle.
En juillet dernier, la mission de l’ONU soulignait que la moitié des Ukrainiens quittant le pays citaient la crise énergétique comme principal motif. L’arrivée de l’hiver ajoute l’urgence du chauffage à cette liste de préoccupations. La Banque nationale d’Ukraine anticipe le déplacement de 500 000 personnes supplémentaires en 2024 et 2025.
Les zones les plus proches du front subissent les plus lourdes destructions. L’oblast de Kharkiv, autrefois le troisième plus peuplé du pays avant 2022, ne possède plus aucune grande installation de production de chaleur.
Des centrales nucléaires en péril
« L’Ukraine dépend de plus en plus de ses trois dernières centrales nucléaires [la quatrième, à Zaporijia, étant sous contrôle russe, NDLR] », observe l’AIE. Un scénario redouté serait que le Kremlin cible ces installations stratégiques pour infliger un coup décisif à son voisin.
« Je doute d’une attaque directe. Le coût en termes d’image serait trop élevé. La Russie risquerait de perdre ses alliés, notamment la Chine, pour qui le nucléaire représente une ligne rouge bien définie », estime Céline Bayou.
« Certes, il y a déjà eu des attaques, puisque la centrale nucléaire de Zaporijia est aux mains de l’armée russe », déclare Olena Pavlenko, présidente du groupe de réflexion ukrainien spécialisé dans l’énergie DiXi Group. Elle déplore que « personne ne veuille les reconnaître comme telles ». Même les centrales sur le territoire sous contrôle de Kiev ne sont pas épargnées par les bombardements ennemis.
« Les Russes frappent autour des centrales : stations, transformateurs, et autres infrastructures. Cela nuit gravement à la transmission et, par conséquent, au système électrique dans son ensemble. Sans oublier les dégâts pour les centrales elles-mêmes », ajoute Olena Pavlenko.
Ainsi, le 16 novembre, deux lignes électriques reliant la centrale de Zaporijia ont été endommagées « en raison des bombardements ennemis », d’après DiXi Group.
Un soutien européen important, mais insuffisant
Dans son rapport de septembre, l’AIE a placé en priorité absolue le renforcement de la sécurité des sous-stations proches des centrales nucléaires, mettant en avant leur importance cruciale.
« Nous avons besoin du soutien de l’Union européenne et de nos partenaires pour protéger nos maigres capacités énergétiques restantes, ce qui implique de recevoir davantage d’équipements de défense », insiste Olena Pavlenko.
Dans le cadre des réparations et de l’achat d’équipements, la Commission européenne et le ministère ukrainien de l’Énergie ont mis sur pied le Fonds de soutien à l’énergie de l’Ukraine. Ce mécanisme, salué pour son efficacité, a permis de collecter 750 millions d’euros.
L’Union européenne aide également l’Ukraine via l’exportation d’électricité. Cependant, même avec un approvisionnement maximal de 1,7 GW importé, le manque pourrait atteindre 6 GW, soit l’équivalent de la demande annuelle de pointe au Danemark, avertit l’AIE.
Pour atténuer les tensions sur son réseau et réussir à traverser l’hiver, l’Ukraine devra compter sur un allié imprévisible : la météo.
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