Mackenzie Davis’s Bookshelf of Crime Stories
L’actrice recommande certains de ses comptes préférés de détectives, de morts et de laissés-pour-compte.
L’actrice recommande certains de ses comptes préférés de détectives, de morts et de laissés-pour-compte.
Roubaix, Nord (59) – Cela fait déjà deux ans que les machines de l’entrepôt de la marque de vêtements Camaïeu, située sur l’avenue Jules Brame, ne résonnent plus. La vaste allée de platanes, autrefois empruntée par les ouvriers pour se rendre au parking, est aujourd’hui oubliée et encombrée de déchets emportés par le vent. Les stocks et les murs ont été cédés à bas prix aux opportunistes tandis que « les employés se retrouvent en difficulté », déplore Sophie (1), les yeux plissés par le vent. Elle a consacré plus de trois ans de sa vie à cette usine textile, recevant la marchandise avant de l’expédier vers les magasins à travers la France. Mais le fleuron roubaisien de la mode féminine, qu’elle a tant chérie, est désormais disparu:
« Ce ne sont pas seulement 2.600 employés qu’ils ont licenciés, mais aussi toutes leurs familles. »
Derrière elle, son compagnon Christophe (1) l’écoute sans l’interrompre. « Pourquoi ressasser le passé ? Mon destin est déjà scellé », semble indiquer son visage triste. Le quinquagénaire laisse sa femme narrer à sa place son parcours en tant qu’employé logistique dans le quartier des Trois-Ponts à Roubaix, son licenciement inattendu en septembre 2022 et, depuis, les multiples rendez-vous à France Travail, où se multiplient les entretiens d’embauche infructueux :
« Nous sommes désormais deux au chômage. Ils ont plongé mon mari dans la galère et nos enfants aussi. »
Les heures de gloire des usines textiles de Roubaix semblent révolues. La Redoute, les 3 Suisses, Damart, et Phildar font partie de ces marques de prêt-à-porter emblématiques de la région. Aujourd’hui, les célèbres « mille cheminées » des manufactures ne fument plus et les enseignes en lettres capitales disparaissent peu à peu des façades de briques rouges. La liquidation judiciaire de Camaïeu marque la fin d’une ère. Les ouvrières – pour la plupart des femmes attirées par cette marque qui leur ressemblait – estiment que cette chute a été précipitée par les manigances irresponsables d’un seul actionnaire : Michel Ohayon, l’ex-propriétaire de l’enseigne, classé 104ème fortune de France en 2022. « Nous étions ses petits playmobils. Le jour où il ne souhaitait plus jouer, il s’est débarrassé de nous pour passer à une autre marque », s’insurge Cathy (1), l’une des leaders de la contestation qui a amené le milliardaire devant les prud’hommes.
La liquidation judiciaire de Camaïeu marque la fin d’une ère. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
« J’espère que chacun d’entre nous réussira à retrouver un travail dans lequel il se sentira bien. Car pour nous, la retraite, ce n’est pas encore pour maintenant », écrit une ancienne employée dans le groupe Facebook « des anciens de Camaïeu ». Ce groupe réunit environ 800 salariés nostalgiques. Depuis la fermeture, les messages de soutien affluent, accompagnés d’offres d’emploi et de conseils juridiques dénichés sur Internet. Cathy a quant à elle transformé son appartement en permanence administrative pour ses collègues aux prises avec les nombreuses démarches suite à leurs licenciements : demandes d’aides au reclassement, inscriptions aux formations et contrats de sécurisation professionnelle, calcul des indemnités… « Pour ma part, je me suis vite relevée. J’avais l’intérim dans le sang. Mais les plus expérimentés ont eu plus de mal à tourner la page », explique la syndicaliste de 40 ans, tirant distraitement sur sa cigarette électronique :
« Certains avaient 30 ans de boîte et ne savaient plus comment rédiger un CV ou une lettre de motivation. »
Aujourd’hui, les célèbres « mille cheminées » des manufactures ne fument plus et les lettres capitales des enseignes ont disparu des façades de briques rouges. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
Cette solidarité a débuté bien plus tôt, se remémore Louisa, une autre ancienne de l’usine Camaïeu. « Nous avons tenu deux mois ensemble devant le siège après l’annonce de la liquidation en 2022. Ceux qui se sont retrouvés seuls chez eux ont sombré dans la dépression. » La sexagénaire a été licenciée après 28 années de service. « Un soir, un ancien collègue m’a même appelés pour dire qu’il envisageait de mettre fin à ses jours », s’émeut-elle.
Plus de la moitié des ouvriers licenciés en 2022 n’auraient pas retrouvé d’emploi. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA
Un plan de sauvegarde de l’emploi a été mis en place lors de la fermeture de l’enseigne. Une procédure légale, à la charge des mandataires judiciaires, pour éviter de laisser des centaines d’ouvriers sur le carreau. « Dans ce plan, ils souhaitaient absolument me former aux métiers de l’aide à domicile ou de la main-d’œuvre. Ils ne pensaient pas un instant que je pourrais vouloir faire autre chose », se souvient Louisa avec amertume, qui a finalement réussi à obtenir une formation dans le domaine administratif. « Les postes pour le reclassement étaient situés à Toulouse (31), Bordeaux (33), Paris (75) ou Lyon (69) », ajoute Cathy, qui a rejeté les diverses offres qu’elle considère déconnectées de la réalité :
« On nous a demandé de tout quitter pour devenir femmes de ménage ou serveuses dans les hôtels d’Ohayon. »
Elle a finalement décroché un emploi de caissière dans la grande distribution de la ville. Selon la syndicaliste, plus de la moitié des employés licenciés en 2022 n’ont pas retrouvé d’emploi depuis.
Cela fait déjà deux ans que les machines de l’entrepôt de la marque de vêtements Camaïeu ne résonnent plus. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA
1993. Louisa enchaîne plusieurs petits boulots précaires lorsque son grand-frère lui suggère de tenter sa chance chez Camaïeu. Née en 1984, l’entreprise locale est alors en pleine expansion. « La marque ouvrait sans cesse de nouveaux magasins et jouissait d’une excellente réputation. J’habitais à proximité de l’entreprise, c’était idéal », se remémore l’ancienne employée. Embauchée dès son premier entretien, elle garde de sa carrière les plus beaux souvenirs :
« Nous étions tous solidaires et sur un même pied d’égalité. Quand de nouvelles personnes arrivaient, nous faisions tout pour les accueillir. »
Jean-Pierre Torck, PDG de l’époque, mise sur le circuit court pour contrer les délocalisations, devenues monnaie courante dans le domaine textile. Il résume sa stratégie avec la formule « 80 % de la production dans un périmètre de 300 km autour de Roubaix » – soutenu par les subventions de la municipalité et de la préfecture du Nord. L’homme d’affaires fonde Camaïeu avec trois autres dirigeants de l’empire Mulliez, une famille influente dans le Nord qui possédait déjà plus d’une centaine de magasins Auchan à l’époque. Les quatre jeunes entrepreneurs des années suivant la récession souhaitaient également profiter de la success-story roubaisienne et entendaient « relancer une nouvelle industrie textile » en s’adressant aux femmes de la classe moyenne. Une collection tendance mais accessible, promettant à la clientèle de se vêtir de la tête aux pieds. « Le vrai bonheur est fait de petits bonheurs », résume leur slogan.
En 2008, la marque ouvre 116 nouveaux magasins et enregistre un chiffre d’affaire de 709 millions d’euros. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA
Le concept fonctionne et Camaïeu connaît son heure de gloire. Rien qu’en 2008, la marque ouvre 116 nouveaux magasins et affiche un chiffre d’affaires de 709 millions d’euros. C’est durant cette période de succès que Cathy rejoint avec fierté la « famille Camaïeu », devenue une icône du prêt-à-porter féminin en Europe. Après un divorce difficile et de nombreuses missions intérimaires, elle signe son premier CDI en tant qu’employée logistique. Avec les 200 salariés de Roubaix, elle est chargée de réceptionner les marchandises, d’emballer les vêtements, de les étiqueter, avant de les envoyer aux magasins. « Je ne souhaitais pas porter des charges jusqu’à ma retraite, mais j’ai rapidement compris que mon poste n’était pas figé. Il n’y avait aucune limite si l’on souhaitait s’investir », se souvient-elle, charmée par cette organisation du travail fondée sur la participation des ouvriers.
Jean-Pierre Torck a fondé Camaïeu avec trois autres cadres de l’empire Mulliez. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
Le début du nouveau millénaire coïncide avec la montée de l’e-commerce. Les dirigeants manquent le coche et le marché est grignoté par Primark, Zalando et d’autres précurseurs de la vente en ligne. Camaïeu accumule les dettes aussi vite que les conditions de travail de ses employés se détériorent. « Lors de chaque réunion mensuelle, nous étions traités comme des lapins de six semaines : un directeur nous assénait des informations tirées du JT pour expliquer les soucis de l’entreprise, avant de nous rassurer », s’énerve encore Cathy :
« Nous aurions pu sauver notre peau en cherchant du travail ailleurs. Mais ils nous ont laissés poireauter jusqu’à la dernière minute. »
En 2012, une grève éclate au siège de Roubaix. Les employés logistiques, souvent obligés de recourir aux compléments RSA pour atteindre le SMIC, exigent une augmentation de salaire. Ils sont soutenus par Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon, qui dénonce alors « des prédateurs qui s’enrichissent au détriment de la misère des autres ». Le député fait référence aux 23 millions d’euros de stock-options attribuées en 2008 à l’ancien PDG sortant, Jean-François Duprez. Les salariés obtiennent enfin satisfaction, mais les exigences de rendement demeurent croissantes et la gestion devient agressive. Cathy évoque « des méthodes militaires » :
« Alors, nous mettions ces managers aux machines, les laissions patauger et nous leur demandions : “Alors, c’est qui les patrons maintenant ?” Les terminators, c’est nous qui les avons mis à genoux. »
La combattante se souvient des noms donnés aux anciennes machines de l’entrepôt : Océane, Corail, Calypso, Atlantis… Elle avait même la responsabilité de leur entretien parfois. Pour réaliser des économies, les budgets de maintenance avaient été supprimés…
Le début du nouveau millénaire correspond à l’essor du e-commerce. Les dirigeants voient leur marché grignoté par la vente en ligne. Camaïeu s’endette, les conditions de travail des ouvriers se détériorent. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA et archives municipales de Roubaix.
2016, Camaïeu cumule une dette d’un milliard d’euros. En 2018, l’entreprise est mise sous sauvegarde par le tribunal du commerce et un mandataire judiciaire est désigné. L’entreprise parvient tout de même à tenir le coup, et les actionnaires continuent à investir, parfois de manière hasardeuse. Camaïeu maintient son image face aux tempêtes : elle est élue en 2017 et 2018 « enseigne de vêtements préférée des Françaises », puis « meilleure chaîne de magasins de la catégorie Mode Femmes ». Les ouvriers de Roubaix refusent de croire en l’effondrement et s’accrochent. « Personne ne s’imaginait que cela puisse vraiment se produire. Jusqu’au bout, les collègues étaient dans le déni », se désole Louisa.
Née en 1984, l’entreprise Camaïeu est à ses débuts en plein essor. /
En mai 2020, Camaïeu est placé en redressement judiciaire : 450 employés sont licenciés, parfois privés d’indemnités pendant plusieurs mois. Au tribunal du commerce, le patron Ohayon se manifeste. Il assure qu’il embauchera tous les salariés et investira 84 millions d’euros pour sauver l’enseigne. Le juge le sélectionne pour le rachat. Un nouvel espoir germe chez les ouvriers. « Au début, nous souhaitions lui accorder notre confiance, il avait mille projets. Et puis, nous avons commencé à ressentir que quelque chose n’allait pas », se remémore Cathy. Louisa ajoute :
« Dès la première réunion, il nous assénait de grands discours. Nous le surnommions : “La vérité si je mens”. »
Le prêt de l’État qu’Ohayon espérait pour relancer l’activité lui est refusé, et les factures continuent à s’accumuler. L’entreprise tente un ultime coup de com’ début 2022 avec une campagne en ligne représentant des femmes victimes de violences conjugales. Accusée de « glamouriser les violences », le bad buzz est immédiat.
La pandémie de Covid-19 aggrave la situation, comme partout ailleurs : jugés comme secteur non essentiel, les 511 magasins du réseau ferment durant le premier confinement. Cependant, les ouvriers de Roubaix ne cessent de lutter, raconte Cathy :
« Dès que nous avons eu la permission de reprendre le travail sur une base volontaire pendant le confinement, nous sommes retournés à l’entrepôt avec des visières et des masques. Nous faisions des journées de 10 heures non-stop. Nous ne voulions pas couler ! »
De son côté, Thierry Siwik, délégué CGT de Camaïeu, tente de solliciter de l’aide auprès du ministre du Travail de l’époque, Roland Lescure. En vain. « Nous avons même présenté un projet de sauvetage de la société avec de nouveaux fonds. Nous avons mis 30 millions sur la table qui auraient pu préserver 1.800 emplois. Ils ont refusé d’en entendre parler », soupire le syndicaliste, qui dénonce une « faillite orchestrée par les actionnaires ». Le 28 septembre 2022, l’alarme retentit. Ohayon fait son apparition au tribunal du commerce avec un plan de continuité bâclé sur une feuille A4. L’entreprise est placée en liquidation judiciaire et les 2.600 employés sont licenciés sur le champ. « On nous a laissé une demi-heure pour vider nos vestiaires. Je n’oublierai jamais les cris de désespoir de mes collègues », s’attriste Louisa.
Le patron Sébastien Bismuth a acquis la marque pour une bouchée de pain. 11 nouveaux magasins consacrés aux collections femmes ouvrent sous une nouvelle identité : « Be Camaïeu ». /
Crédits : Archives municipales de Roubaix et Jeremie Rochas
« Camaïeu va rouvrir ses portes. Un symbole de la France, quoi ! Ils visent à devenir une marque cool, créative, inclusive et surtout moderne », s’enthousiasme Léna Situation dans une vidéo sponsorisée. L’influenceuse aux 4,7 millions d’abonnés sur Instagram a été engagée par le groupe Célio, tout récent propriétaire de Camaïeu, pour annoncer la résurrection de la marque. Le patron Sébastien Bismuth a acquis la marque à bas prix, récupérant les murs et tout le reste. 11 nouveaux magasins dédiés aux collections féminines ouvrent sous une nouvelle identité : « Be Camaïeu ». Mais les centaines d’ouvrières remerciées en 2022 ne font pas partie de l’aventure. Bien que quelques postes aient été proposés dans le nouveau magasin du centre commercial de Lille (59) inauguré fin août, les recruteurs ont rapidement été recalés. « Camaïeu est mort en 2022 avec ses 2.600 salariés, laissez-nous tranquilles », rugit Cathy :
«Aujourd’hui, aucune d’entre nous ne souhaite postuler. Ce sont les valeurs de Camaïeu qui nous attiraient et elles ont disparu. »
Des ouvrières licenciées de Camaïeu racontent la lente mort de la marque, jusqu’à sa résurrection sous la bannière de Célio… sans elles. /
Les anciennes ouvrières ont intenté plusieurs recours aux Prud’hommes pour licenciement abusif. Au tribunal de Roubaix, un petit groupe d’anciens salariés de l’entrepôt est rassemblé derrière Maître Fiodor Rilov, avocat renommé des laissés-pour-compte par les multinationales. Fidèle à son poste, il fait résonner sa voix rauque dans la petite salle d’audience des Prud’hommes :
« Nous sommes là pour faire payer les responsables de cette catastrophe sociale ! »
En février dernier, Cathy et Louisa ont également déposé plainte contre Michel Ohayon pour « abus de biens sociaux », avec 200 autres anciens employés de Camaïeu. Le propriétaire de la holding Financière immobilière bordelaise, qui regroupe plus de 150 sociétés, est accusé d’« un certain nombre d’opérations opaques, anormales et injustifiées » et d’« agissements fautifs », considérés comme « la cause première et déterminante de la faillite de l’entreprise ». En septembre 2021, un trou de 26 millions d’euros dans les comptes de la société avait été mis au jour. « Nous avons compris qu’il utilisait notre travail pour régler les factures de ses autres sociétés pendant que nous travaillions d’arrache-pied pour sauver la boîte », fulmine Cathy. Contactée par StreetPress, la société de Michel Ohayon n’a pas répondu à nos questions. Elle lutte néanmoins pour faire renvoyer l’affaire. Une situation éprouvante pour les ouvrières. Mais Cathy, pleine de détermination, ne compte rien laisser passer :
« Même si ça dure 15 ans, je serai toujours présente. Et si nous perdons, nous lui aurons au moins fait payer les frais d’avocats. »
Les anciennes ouvrières ont engagé plusieurs recours aux Prud’hommes pour licenciement abusif. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
Les prénoms ont été modifiés.
Illustration de Une de Timothée Moreau.
Les élections semblent remonter à une époque lointaine, et le résultat du scrutin est presque oublié, tant la vie politique paraît immuable. Cependant, il est essentiel de se pencher sur un phénomène qui mérite notre attention. Plus de 20 % des enseignants auraient opté pour le rassemblement national (RN) lors des dernières élections. Pourquoi cet électorat, habituellement de gauche, paraît-il également en train de changer de cap ?
Selon les études menées par le politologue Luc Rouban, alors que la moitié des enseignants continuent de voter à gauche, près d’un enseignant sur cinq glisserait aujourd’hui un bulletin d’extrême droite dans l’urne.
Ce chiffre de 20 % est globalement équivalent à celui observé lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022. En revanche, en 2012, le RN, désigné alors sous le nom de Front national, ne recueillait que 3 % des intentions de vote des enseignants.
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Luc Rouban a néanmoins souligné que « le vote des enseignants dans le secteur public demeure toujours plus à gauche que celui des autres agents de la fonction publique ». Pour lui, ce chiffre de 20 % d’enseignants ayant voté pour des candidats de la droite radicale « paraît faible comparé aux 47 % que rassemble cette droite auprès des policiers et militaires. » Cependant, « cela témoigne d’un changement majeur dans le milieu enseignant, qui, jusqu’à présent, était considéré comme un bastion de résistance contre l’extrême droite ».
Une partie significative des enseignants de droite a désormais basculé vers le RN. De plus, il existe également une convergence : les enseignants commencent à adopter des comportements de plus en plus similaires au reste de la population. Bien que le vote pour le RN ne soit plus aussi tabou qu’auparavant, il reste encore discret dans les salles des professeurs.
Le chercheur Benjamin Chevalier, étudiant les enseignants affiliés au RN, met en lumière les stratégies de « gestion du stigmate », qui poussent souvent à s’éloigner des espaces de sociabilité que représentent les salles des profs. Cependant, les choses évoluent et les préférences politiques deviennent de plus en plus visibles. Quelles sont donc les motivations derrière cette droitisation (relative) du corps enseignant ? Qu’est-ce qui, dans le discours du RN, pourrait séduire les enseignants ?
Le discours du FN, longtemps anti-fonctionnaires, a évolué sous le RN, qui présente les enseignants comme des victimes d’un système et d’un excès de réformes. La question de la violence est également mise en avant, soutenue par les médias.
Dans son programme pour les législatives, Jordan Bardella évoquait le « dévouement des enseignants victimes d’une bureaucratie invasive et souvent lâche face aux agressions dont ils souffrent », en proposant leur revalorisation et la « restauration de l’excellence ». Ce discours pourrait séduire un milieu enseignant où le sentiment d’abandon côtoie la dépolitisation et une confusion grandissante.
Les enseignants forment-ils toujours un « bastion de gauche » ? En 2021, l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès, en partenariat avec l’Ifop, a souhaité dresser un portrait des enseignants. L’étude réalisée par Jérôme Fourquet dépeignait « une population culturellement moins homogène et électoralement plus variée ».
L’expression, souvent employée, de « forteresse enseignante » montre ainsi ses limites et ne reflète pas la réalité d’un groupe qui n’a jamais été homogène. Comme évoqué, il existe toujours eu des enseignants de droite, voire d’extrême droite, mais auparavant, ils étaient peu visibles et leur voix inaudible en raison de la culture dominante et du contrôle social en salle des profs.
L’homogénéité n’était qu’apparente. La « matrice enseignante » (Jérôme Fourquet) est remise en question et n’arrive plus à garantir une culture commune. La sociologue Géraldine Farges évoque même les « mondes enseignants ».
Ce qui structurait cette supposée « forteresse » (déjà bien fragilisée) est en train de disparaître. Le triptyque FEN-MGEN-Maif, c’est du passé ! Autrement dit, les instances de socialisation secondaire ne font plus leur office, ou beaucoup moins efficacement.
En premier lieu, les voies d’entrée dans le métier se diversifient. Le parcours par l’école normale, devenue ensuite IUFM/Espé/Inspé, ne va plus de soi. Complètement tourné vers la préparation aux concours, le parcours de formation a perdu sa fonction socialisatrice.
Par ailleurs, la part des emplois précaires (« vacataires », contractuels et autres termes désignant ces postes) s’élève désormais à près de 25 % des emplois actuels. Cela risque de s’aggraver. Quelle identité professionnelle peuvent-ils se construire ? On sait que la précarité et le déclassement sont deux éléments marquants du vote RN.
Il convient également de noter qu’une part importante des enseignants ont exercé une activité professionnelle avant d’intégrer l’Éducation nationale, et qu’ils ont déjà forgé une identité, des normes et des valeurs qui ne seront pas fondamentalement modifiées par leur intégration dans le monde enseignant.
Bien que le taux de syndicalisation des enseignants demeure relativement élevé par rapport à la moyenne générale, cela peut parfois se révéler illusoire. Actuellement, 30 % d’entre eux sont syndiqués (contre 7 % dans la population active), mais ce chiffre était de 45 % dans les années 1990. De plus, la syndicalisation ne signifie pas nécessairement engagement. Les raisons d’adhérer à un syndicat sont souvent utilitaires et liées à la gestion des mutations. Le syndicat joue un rôle socialisateur moindre qu’auparavant, surtout auprès de personnes ayant des statuts et des revendications variés.
L’endogamie parmi les enseignants (le fait de s’unir avec quelqu’un du même groupe social) a diminué dans le premier degré, alors qu’elle s’accroît dans le second, où elle concerne un quart des couples. Néanmoins, cette baisse cache principalement la forte féminisation du corps enseignant.
Or, la socialisation politique est influencée par le milieu social du partenaire, et les conditions de vie peuvent varier considérablement chez les enseignants. Entre une professeure à la tête d’une famille monoparentale et celle qui partage la vie d’un cadre supérieur, le niveau de vie, tout comme les normes et valeurs, diffèrent grandement.
Le rapport au travail n’est pas le même. J’ai souvent évoqué combien le terme « vocation » devrait être écarté, tant pour ce qu’il implique que parce qu’il ne reflète plus la réalité de l’entrée et de la carrière dans ce métier. La profession n’est plus forcément perçue comme une longue traversée qui façonne toute une existence.
Évidemment, on ne choisit pas ce métier « par hasard », il existe nécessairement des valeurs qui lui sont associées. Toutefois, la notion de « vocation » – ou ce que l’on pourrait appeler le « sens du service public » ou « l’intérêt des enfants » – n’est plus une justification pour supporter le poids de l’autorité, la détérioration des conditions de travail et un déclassement connexe largement documenté.
De ce fait, les opinions politiques des enseignants deviennent de plus en plus sensibles aux idées conservatrices et même réactionnaires, surtout qu’elles les renvoient à une époque idéalisée où l’école fonctionnait (mais pour quels élèves ?) et où leur profession était respectée.
Pour mieux appréhender le conservatisme enseignant, il convient de rappeler que les enseignants sont souvent d’anciens « bons élèves » (et de moins en moins issus des classes populaires, malgré quelques « exceptions »). Pourquoi souhaiter changer un système qui vous a permis de « réussir » et qui vous a conféré un statut ?
« Si j’y suis parvenu avec du dévouement, pourquoi d’autres n’y arriveraient-ils pas ? C’est une question de volonté ! », « Il y en a qui sont “talentueux” et d’autres non. Il faut sélectionner en fonction du mérite » : ce sont des déclarations que l’on peut entendre en salle des profs. Elles peuvent paraître banales, mais elles méconnaissent les enseignements de la sociologie de l’éducation et constituent les bases du maintien d’un ordre inégalitaire.
C’est sur ce terreau de la détérioration des conditions de travail et d’une culture commune en déclin que s’épanouit un vote enseignant qui, à l’instar du reste de la société, devient de plus en plus réceptif aux idées réactionnaires et d’extrême droite.
Le vote RN des enseignants ne doit donc pas être uniquement évalué par une perspective morale. Il doit également être perçu comme un indicateur de l’état actuel du système éducatif et de ses personnels.
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