Les auteurs de « Comment meurent les démocraties » sur la nouvelle minorité démocratique
Deux politologues de premier plan expliquent pourquoi les électeurs n’ont pas réussi à défendre la démocratie : Nous ne le faisons jamais.
Deux politologues de premier plan expliquent pourquoi les électeurs n’ont pas réussi à défendre la démocratie : Nous ne le faisons jamais.
Physical Intelligence a réuni une équipe de stars et a levé 400 millions de dollars sur la promesse d’une avancée spectaculaire dans la façon dont les robots apprennent.
Depuis des années, les démocrates cherchent à gagner des élections en micro-ciblant des communautés avec des faits détaillés. Que se passerait-il si le secret résidait dans de grandes notions vagues semées à l’échelle nationale ?
En dépit de l’opposition de la France, une directive européenne qui prévoit une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes est en voie d’être adoptée. Reste à déterminer comment elle sera intégrée dans les législations nationales. En attendant, la résistance continue de s’organiser sur le terrain.
Dans le domaine de la livraison à vélo, de nombreuses coopératives de cyclistes ont vu le jour çà et là : en France, Sicklo à Grenoble, Fast and Curious au Havre, Les Coursiers de Metz dans la ville éponyme… Au total, on dénombre environ quarante coopératives de cyclistes livreurs et logisticiens dans le pays, toutes affiliées à la fédération CoopCycle.
Le principe : ces coopératives embauchent les livreurs et ont collaboré au développement d’une application de mise en relation. « Nous sommes à la fois livreurs, logisticiens, gestionnaires et mécaniciens (…) Nous ne désirons pas travailler dans une économie ubérisée, nous créons nos propres coopératives », souligne le site de CoopCycle.
En Seine-Saint-Denis, la démarche des chauffeurs VTC est différente. Plus de 500 d’entre eux se sont regroupés au sein d’une société coopérative d’intérêt collectif (Scic), Maze. L’objectif : offrir « une alternative à l’entrepreneuriat fictif des plateformes », précise Brahim Ben Ali, le fondateur et directeur général. Contrairement aux livreurs à vélo, les chauffeurs de Maze ne sont pas salariés de la Scic. Ils demeurent indépendants, étant chacun propriétaires de leur véhicule.
Quels sont alors les atouts de la coopérative ? « Elle négocie des protections sociales, les tarifs des assurances des véhicules et les véhicules eux-mêmes », énumère Brahim Ben Ali. Il s’agit donc d’assurances individuelles, mais négociées collectivement. L’idée est malgré tout de garantir une uniformité dans le service fourni : par exemple, un code vestimentaire sur lequel les chauffeurs se sont mis d’accord.
De manière générale, fini le lien de subordination : les décisions sont prises de manière collective. Maze est constitué de cinq collèges regroupant différentes catégories d’associés, qui participent aux votes : deux collèges « chauffeurs », selon qu’ils comptent plus ou moins de trois ans d’ancienneté, un collège d’utilisateurs bénéficiaires (la part sociale s’élève à 50 euros), un collège d’institutions publiques, incluant l’intercommunalité Plaine Commune et le département de Seine-Saint-Denis, et enfin, un collège « bénévoles ».
Comme pour les VTC des grandes plateformes, et en accord avec la loi Thévenoud de 2014, il est interdit pour les chauffeurs de Maze de proposer des courses « à la volée ». Les clients doivent s’inscrire via une plateforme de réservation, qui a coûté à la jeune entreprise un investissement de 300 000 euros.
Pour une nuit « normale » dans la métropole parisienne, il faut compter environ 3 000 chauffeurs. Avec ses quelque 500 « chauffeurs-sociétaires », Maze est encore loin du nombre requis. C’est pourquoi l’idée est de se lancer d’abord sur le marché professionnel, le B2B, à Lille et Paris. L’entreprise vise également les collectivités. « Il faut roder la bécane », résume Brahim Ben Ali.
Pour un trajet Lille centre-aéroport, un chauffeur Maze percevra 29 euros, auxquels s’ajoute une commission (15 % sur la gamme économique, 20 % sur les berlines et vans) qui va au pot commun et est redistribuée sous forme de bénéfices.
Sur le plan économique, l’incertitude demeure. L’argent reste un enjeu crucial. « Nous n’avons bénéficié d’aucune aide de l’Etat », déplore le PDG. Mi-octobre, Maze a lancé un financement participatif, espérant collecter entre 1,5 et 2 millions d’euros d’ici février prochain. Avis aux intéressés !
Une autre ville, un autre secteur, un autre modèle. À Nantes, Véry’fiable offre depuis douze ans des services de nettoyage et de ménage pour les entreprises et les particuliers. Bien qu’il n’y ait pas de plateforme d’intermédiation dans ce domaine, la précarité y est omniprésente.
« À l’origine, il y a un groupe de cinq personnes travaillant pour une grande entreprise qui ont décidé de fonder leur propre société », résume Anne Chauchat, qui vient de devenir sociétaire après un parcours d’intégration de deux ans. La Scop compte 35 employés, dont seuls 9 ont été transformés en sociétaires après avoir suivi le célèbre parcours.
Véry’fiable emploie de nombreuses personnes initialement éloignées de l’emploi. « Nous collaborons avec des structures d’insertion et des organismes d’accompagnement pour les personnes étrangères », ajoute encore Anne Chauchat.
Le choix de la coopérative répond à plusieurs objectifs : valoriser des métiers souvent dévalorisés ; offrir des perspectives d’évolution professionnelle, avec l’apprentissage de compétences entrepreneuriales, puisque les sociétaires d’une Scop doivent superviser la gestion ; améliorer les conditions de travail ; et répondre à une demande de clients prêts à payer davantage pour des salariés traités avec plus de considération.
« Lors d’une première visite chez les clients, nous examinons le matériel proposé », explique Anne Chauchat. Nous recommandons d’utiliser uniquement du vinaigre blanc et du liquide vaisselle. Un client qui voudrait imposer de l’eau de javel par exemple, c’est non. »
Idem pour les aspirateurs muraux légers : « À l’usage, ils entraînent des tendinites. »
Les employés sont rémunérés au Smic ou au-dessus, en fonction de leur expérience. Le salaire est annualisé, avec un nombre d’heures fixes comptées dans le mois, afin d’assurer une sécurité tout en tenant compte des annulations de dernière minute. Sur le marché des particuliers, la prestation est facturée 33 euros de l’heure + 4 euros de frais de déplacement. « C’est la fourchette haute, mais nous l’assumons », souligne Anne Chauchat.
Sur le plan financier, la Scop se porte bien, même si elle ne génère pas « des marges énormes », précise encore la sociétaire. Elle investit beaucoup dans la formation aux métiers et les parcours d’intégration pour devenir associé. Tout cela sans bénéficier des aides d’une association ou celles d’une structure d’insertion par l’activité économique. Toutefois, elle est en partie soumise à la convention des services à la personne, ce qui permet à sa clientèle de particuliers de profiter d’un crédit d’impôt de 50 %.
Véry’fiable a reçu en 2021 le prix national de la Fondation du crédit coopératif et, en 2023, le prix régional Pays-de-la-Loire de l’économie sociale et solidaire.
POUR ALLER PLUS LOIN :
Le débat « A-t-on renoncé à lutter contre la pauvreté ? », le samedi 30 novembre à 9 h 45 aux Journées de l’économie autrement, à Dijon. Consultez le programme complet de cet événement organisé par Alternatives Economiques.
Sous Trump, une nouvelle vision de la politique familiale conservatrice est en pleine ascension.
Dans un entrepôt de Londres résonnant de musique dance et de bandes sonores de films, Jadé Fadojutimi peint des toiles exubérantes toute la nuit.
Tout le monde qui réalise avec une alarme appropriée que la réélection de Trump est un moment profondément dangereux dans la vie américaine doit réfléchir sérieusement à notre situation.
La victoire de Donald Trump à la présidentielle suscite des inquiétudes aussi bien aux États-Unis que dans le reste du monde. En 2017, l’homme d’affaires avait accédé à la Maison-Blanche presque de façon inattendue. Mal préparé, il s’était entouré en partie de républicains traditionnels, respectueux des institutions, qui avaient joué le rôle de contre-pouvoirs internes et limité les excès de leur leader.
Donald Trump les a progressivement écartés et a commencé à constituer une équipe dont le critère principal est la loyauté. Son retour à la tête de la première puissance mondiale pourrait donc se révéler encore plus destructeur pour l’État de droit, la séparation des pouvoirs et l’application d’un programme ultraconservateur.
Blandine Chelini-Pont, professeure d’histoire contemporaine à l’université Aix-Marseille, analyse les dérives du premier mandat de Donald Trump et esquisse les tendances de ses quatre années à venir dans le bureau ovale.
Donald Trump a remporté l’élection présidentielle, les républicains dominent le Sénat, la Chambre est encore en suspens. Quels contre-pouvoirs pourraient freiner son action ?
Blandine Chelini-Pont : Les contre-pouvoirs existent, établis par la Constitution fédérale. C’est le système des « checks and balances » qui, en théorie, protège le champ d’action de chaque pouvoir (exécutif, législatif et judiciaire), avec un mécanisme de contrôle et de coopération assez flexible. C’est le fonctionnement idéal. Cependant, ce dernier a été sujet à de nombreuses dérives, notamment une présidentialisation de plus en plus marquée, qui s’est intensifiée pendant le premier mandat de Donald Trump.
Comment cette présidentialisation s’est-elle manifestée ?
B. C.-P. : Donald Trump a négligé les procédures institutionnelles et les règles stipulées dans la Constitution. Par exemple, il a souvent évité de passer par le Sénat pour valider les nominations de son cabinet et d’autres responsables de l’exécutif. Lors de son prochain mandat, il pourrait accentuer l’utilisation de son pouvoir de nomination au sein de l’administration.
Le think tank ultraconservateur Heritage Foundation soutient cette démarche : il espère que Trump va renvoyer toutes les personnes soupçonnées d’être des « gauchistes » au sein de l’administration fédérale et propose le remplacement immédiat de plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux [en comparaison, environ 4 000 remplacements lors d’une alternance classique, NDLR.].
Les républicains accusent l’État fédéral de restreindre les libertés des Américains et des États fédérés. Ils se présentent comme les opposants du Deep State, « l’État profond ».
Néanmoins, paradoxalement, le remède qu’ils suggèrent consiste à octroyer au président des États-Unis un pouvoir maximal sur le contrôle de l’administration. Il est donc légitime de s’inquiéter de l’infiltration des réseaux trumpistes dans tous les services de l’État.
Les agences gouvernementales jouissant d’une certaine indépendance dans leur pouvoir de contrôle [comme la CIA ou l’agence de protection de l’environnement, NDLR.] sont particulièrement visées. Donald Trump pourrait tenter de les subvertir – c’est-à-dire de modifier leurs missions à son avantage – de couper leur financement, voire de les supprimer totalement.
Le parti républicain compte-t-il encore des opposants au trumpisme ? Si oui, ont-ils un quelconque pouvoir ?
B. C.-P. : Un certain nombre de républicains ont publiquement fait part de leur opposition à Donald Trump. Plus de 200 d’entre eux ont signé une tribune dans USA Today pour soutenir Kamala Harris contre leur candidat. La figure la plus emblématique de ces dissidents est Liz Cheney, ancienne numéro trois du Grand Old Party [jusqu’en 2021, NDLR.] et fille de Dick Cheney, vice-président sous George W. Bush. Elle s’est éloignée de Trump depuis l’assaut du Capitole en 2021.
Cependant, ces républicains n’occupent plus de mandat fédéral. Liz Cheney, par exemple, n’a pas été réélue en 2022. Depuis les élections de mi-mandat de 2022, les élus républicains au Congrès sont essentiellement des trumpistes radicaux ayant fait campagne sur le nom du milliardaire.
En plus de la victoire de Trump à la présidence, le Sénat dispose d’une large majorité républicaine, et il est probable que la Chambre des représentants reste également républicaine [les résultats ne sont pas encore connus, NDLR.]. Cela constituerait un coup maître, permettant à Donald Trump d’agir comme bon lui semble.
La justice pourrait-elle le limiter ? Quels événements ont eu lieu à ce sujet durant son premier mandat ?
B. C.-P. : Durant son premier mandat, il a tout mis en œuvre pour que le ministère de la Justice n’ouvre pas d’enquête sur les affaires le concernant, en critique publiquement le procureur général et en lui exerçant des pressions.
Ce fut notamment le cas à propos de l’ingérence russe dans la campagne électorale de 2016, qui a conduit à la condamnation de plusieurs membres de l’équipe de Trump. Ce dossier a contribué ultérieurement à la première procédure d’impeachment, c’est-à-dire de destitution, visant Donald Trump, en 2019-2020. Cependant, il s’agit d’une procédure politique et non judiciaire.
Malgré le déclenchement de deux procédures de destitution, Donald Trump n’a jamais été condamné, ni par le Congrès, ni par la Cour suprême, ni par la justice pour abus de pouvoir. Est-ce une illustration de la faiblesse de l’État de droit américain ?
B. C.-P. : Il a néanmoins été condamné au civil et au pénal dans plusieurs affaires, la plus récente en lien avec la fraude fiscale relative à l’affaire Stormy Daniels, dans l’État de New York. Cependant, il n’a jamais été condamné pour ses abus de pouvoir en tant que chef de l’exécutif.
A la suite de l’insurrection du 6 janvier 2021, le Congrès a rejeté la seconde procédure de destitution de Trump, les républicains ayant voté contre. Par la suite, la Cour suprême a protégé le milliardaire contre des poursuites pénales en arguant dans sa décision du 1er juillet 2024 que le Président bénéficie d’une « présomption d’immunité » concernant ses actes officiels.
En conséquence, il n’a été ni « puni » politiquement par le Congrès ni pénalement pour incitation à l’insurrection, et il n’a donc jamais été déclaré inéligible. Cela donne l’impression que le système judiciaire fédéral a été incapable d’agir, que ce soit de manière volontaire ou involontaire.
Les juges du système judiciaire fédéral n’ont pas eu le courage de déclarer que Trump représentait un danger pour la démocratie. De plus, la décision du 1er juillet de la Cour suprême élimine toute possibilité de contester d’éventuels abus de pouvoir si Trump revient à la Maison-Blanche.
On peut donc conclure que l’État de droit a été affaibli aux États-Unis, car le système américain repose largement sur l’intégrité et l’honnêteté de ses responsables politiques.
Les Pères fondateurs croyaient qu’un homme politique représentant la démocratie devait adopter un comportement décent et respectueux des institutions. Ainsi, il n’existe pas suffisamment de contraintes constitutionnelles pour limiter les excès de pouvoir de l’exécutif et son arbitraire. Or, Trump ne se préoccupe guère de la philosophie des institutions, il se considère comme le chef et décide selon sa propre volonté.
Les observateurs estiment que Donald Trump est aujourd’hui bien mieux préparé pour la fonction, à l’aube de son second mandat. Quel est le rôle de l’Heritage Foundation et de son « Project 2025 » dans cette préparation ?
B. C.-P. : Donald Trump a démenti l’influence du think tank Heritage Foundation durant sa campagne et a affirmé ne pas avoir lu le Project. Sur ce dernier point, cela pourrait être vrai : il ne lit pas. Cependant, toute son équipe l’a analysé en détail, et certains des auteurs du projet deviendront ses conseillers les plus proches à la Maison-Blanche.
Les documents du Project 2025 contiennent une liste de personnalités républicaines prêtes à s’engager. Trump dispose donc d’une armée potentielle de hauts fonctionnaires à sa disposition – ce qui est l’une des raisons pour lesquelles on estime qu’il est mieux préparé que lors de son premier mandat.
Je pense que le Project 2025, qui prône un virage ultraconservateur et une transformation radicale de l’État fédéral, sera appliqué par Donald Trump et son équipe. Plusieurs de ses proches, comme Steve Bannon, ont d’ailleurs multiplié les menaces contre les « conspirateurs » — dans les médias, au gouvernement, dans les administrations — qu’ils prévoient de traquer et de poursuivre pour trahison.
En dehors de l’Heritage Foundation, de nombreux autres réseaux d’influence ont établi des liens avec les équipes de Trump. Je pense par exemple à la Federalist Society, un regroupement de juristes conservateurs et religieux, qui a proposé de nombreux noms de juges fédéraux nommés par Trump lors de son premier mandat. Ces personnes ont des idées très arrêtées et sont extrêmement déterminées. L’une de leurs cibles était d’abroger l’arrêt Roe v. Wade, qui garantissait le droit à l’avortement au niveau fédéral, et ils ont réussi.
Peut-on donc s’attendre à un second mandat plus radical et plus efficace dans l’implémentation de son programme conservateur ?
B. C.-P. : Absolument, surtout en ce qui concerne l’immigration. Trump a promis de traquer les immigrés et de les renvoyer des États-Unis. Globalement, il tend à tenir ses promesses. Il n’éprouve aucune préoccupation pour les procédures ou le respect du droit. Il justifie son discours en affirmant que toute restriction à sa volonté est contraire à la volonté populaire, étant donné qu’il a été élu. Ce discours trouve écho auprès d’une grande partie de la population qui ne saisit pas les mécanismes de l’État de droit ou des institutions américaines.
Il revient. Quatre ans après son tumultueux retrait de la Maison-Blanche, Donald Trump est devenu le 47e président des Etats-Unis. L’homme d’affaires, qui a su rassembler son électorat tout en grignotant des voix chez sa rivale démocrate Kamala Harris, s’installera au bureau ovale en janvier, bénéficiant d’une victoire indiscutable puisqu’il a remporté à la fois le vote des grands électeurs et le vote populaire, contrairement à son premier mandat.
Malheureusement pour les Etats-Unis et surtout pour le reste du monde, son retour en puissance pourrait s’avérer particulièrement nuisible, avec des mesures fiscales inéquitables, des politiques destructrices pour le climat, une guerre commerciale mondiale et des déstabilisations géopolitiques.
De plus, cette fois-ci, Donald Trump devrait bénéficier des « pleins pouvoirs » : le Sénat est déjà acquis à sa cause, la Chambre des représentants pourrait suivre, et un grand nombre de juges lui sont plus favorables qu’entre 2016 et 2020.
Dans ce contexte, nous avons analysé cinq domaines où le retour de Donald Trump devrait être le plus marquant et préoccupant.
Si Donald Trump met en œuvre son programme économique, le déficit budgétaire sera amené à croître… d’approximativement 8 000 milliards de dollars au cours des dix prochaines années ! C’est en effet l’estimation du Committee for a responsible federal budget, un think tank bi-partisan.
Cette aggravation est principalement due à de vastes réductions d’impôts, dépassant les 10 000 milliards, en faveur des plus riches et des sociétés. Elles seraient légèrement compensées par une diminution de certaines dépenses et des recettes supplémentaires générées par la mise en place de tarifs douaniers. Par conséquent, la dette publique américaine pourrait passer de 100 % du produit intérieur brut (PIB) aujourd’hui à plus de 140 % d’ici 2035.
Premier souci : une telle demande de financement devrait entraîner une hausse des taux d’intérêt dans la décennie à venir. Le taux d’emprunt à 10 ans, actuellement aux alentours de 4,5 %, pourrait être amené à diminuer à court terme grâce à la politique monétaire de la banque centrale, qui est en phase de baisse des taux. Cependant, le besoin massif d’argent de Trump devrait plutôt, toutes choses égales par ailleurs, conduire à une montée des coûts d’emprunt (et donc des taux d’intérêt) à moyen et long terme.
Ce problème interne aux Etats-Unis ne se limitera pas à leurs frontières. La dette américaine agira comme un aspirateur sans précédent de l’épargne mondiale. Alors que le reste du monde est déjà endetté et doit investir massivement dans la transition énergétique, l’innovation, la santé et les retraites, sans oublier la défense face à une Amérique qui se replie, la lutte pour l’épargne mondiale sera acharnée. Cela entraînera des tensions financières régulières.
Ces tensions risquent encore de se transformer en crises bancaires, puisque Donald Trump devrait adopter une politique de déréglementation financière ainsi que de fortes pressions politiques sur la banque centrale. Même un Jamie Dimon, le PDG de J.P. Morgan, qui a longtemps soutenu que de bonnes régulations renforçaient la solidité des bilans bancaires, appelle désormais à une baisse des réglementations.
Nul doute que le Royaume-Uni en profitera pour suivre la même voie afin que la City conserve ses avantages compétitifs. De même, les banques du Vieux continent profiteront de la situation pour demander moins de règles.
Deux scénarios apparaissent désormais possibles. Dans le premier, Donald Trump parvient à appliquer son programme. Les Etats-Unis se trouveraient alors dans une situation semblable aux années 1920 et à la crise de 2007-2008, deux périodes marquées par une triple convergence : des inégalités fortes et croissantes, des banques peu régulées, et au final, une crise financière d’ampleur historique.
Dans le second scénario, les Républicains conservateurs en matière de budget freinent les baisses d’impôts que souhaite Trump (par exemple à hauteur de 5 000 milliards de dollars, comme en 2017).
C’est la tendance ressentie chez les analystes de marchés après l’annonce de la victoire de Donald Trump. Selon un adage américain, il pourrait « aboyer plus fort qu’il ne mord ». Mais quand la première puissance économique mondiale mord, même légèrement, elle a tout de même le potentiel de causer des dommages à tout le monde.
Christian Chavagneux
Il est difficile de reprocher à Donald Trump le manque de clarté de ses intentions. Celui qui prendra ses fonctions en janvier prochain a promis un renforcement significatif de la guerre commerciale. Il souhaite porter les droits de douane à 10 % (contre 3 % actuellement) sur tous les produits importés. La Chine, pour sa part, aura un traitement défavorable avec un taux de 60 %.
L’augmentation des droits de douane sur certains produits n’est pas nouvelle, tant les tensions commerciales sont vives depuis des années. Mais le durcissement du protectionnisme américain promis par Donald Trump est d’un tout autre niveau : la dernière fois qu’une telle hausse des tarifs douaniers a été observée aux Etats-Unis remonte aux années 1920.
Si un taux de 10 % peut sembler modeste, il est en réalité très conséquent, sachant que le droit de douane moyen dans le monde est de 3,9 % et qu’aux Etats-Unis, il est même légèrement inférieur (3 %). L’ampleur de la mesure est d’autant plus importante qu’elle touchera tous les pays du monde et tous les produits.
Si les fabricants étrangers et les distributeurs américains ne modifient pas leurs marges, à court terme, ces hausses de tarifs devraient être répercutées sur le consommateur américain. Mais les conséquences ne se limiteront pas aux Etats-Unis, car ce durcissement du protectionnisme de la part de la première puissance économique mondiale risque de bouleverser les flux commerciaux internationaux.
En ciblant très spécifiquement la Chine, avec un taux de 60 %, les exportations de Pékin vers les Etats-Unis devraient mécaniquement diminuer. Une récente étude du Cepii anticipe une réduction de 80 % des exportations chinoises vers Washington si Donald Trump met en œuvre ses promesses. Les capacités de production chinoises étant telles, ce que Pékin n’exporte plus aux Etats-Unis sera vraisemblablement redirigé ailleurs. À commencer par l’Europe, qui pourrait être inondée de Made in China dans ses magasins.
Justin Delépine
Rebelote ! Donald Trump n’a pas seulement été réélu, il a également l’intention de renforcer les inégalités aux Etats-Unis. Son programme économique prévoit déréglementation et baisses d’impôts, les mêmes politiques ayant contribué à enrichir les plus riches et à appauvrir les moins chanceux depuis les années 1980.
Le Républicain va reconduire les réductions d’impôts instaurées en 2017 et arrivant à expiration l’an prochain. Ces allégements fiscaux aux plus riches et aux entreprises n’ont pas eu l’effet d’un « ruissellement » sur la classe moyenne comme il l’affirmait. Le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités de revenus, a augmenté après la mise en place de ces réductions d’impôts, atteignant son niveau le plus élevé depuis 1967 avec 0,494 en 2021.
Ce n’est pas de nature à préoccuper l’ancien homme d’affaires, qui veut aller encore plus loin. Il envisage ainsi de faire baisser le taux d’imposition des sociétés. Celui-ci, déjà réduit de 35 % à 21 % en 2017, devrait bientôt passer à 15 %. Le Président promet aussi de nouvelles exonérations fiscales sur le revenu. Des mesures qui bénéficieront uniquement à ceux suffisamment riches pour être imposés.
Selon les calculs du think tank Tax Foundation, cette politique fiscale, couplée à l’augmentation des droits de douane qui alourdira le prix des biens importés, réduira le revenu net des 40 % des Américains les plus pauvres d’ici 2034. Ainsi, les 20 % des ménages les plus pauvres verront leur revenu diminuer de 0,6 %, tandis que le deuxième quintile (les ménages se situant entre les 20 % les moins riches et les 60 % les plus riches) connaîtra une baisse de 0,4 %.
Quant aux 20 % les plus riches, ils devraient bénéficier d’une augmentation de 3,1 % de leur revenu après impôts. De quoi exacerber les inégalités déjà profondes qui prévalent dans ce pays.
Juliette Le Chevallier
« One of the greatest scams of all time » (traduction : « une des plus grandes arnaques de tous les temps ») . Voilà comment Donald Trump qualifie le réchauffement climatique. À quel point donc devrions-nous nous inquiéter de ses perspectives en matière climatique ?
À l’international, Donald Trump a déclaré qu’il ferait à nouveau sortir l’Amérique de l’accord de Paris sur le climat. C’est un coup de tonnerre semblable à celui de 2016, mais amplifié, car l’urgence est telle que tout retard dans les politiques de décarbonation représente une véritable bombes climatique.
À court terme, les négociations de la COP 29 qui débutent la semaine prochaine en Azerbaïdjan, déjà mal engagées, sont plus que jamais compromises. Leur principal enjeu sera d’accroître les financements des pays riches en faveur des nations en développement. Mais si l’acteur mondial principal (en termes d’émissions historiques de gaz à effet de serre) se retire, il sera très compliqué de progresser vers un accord.
Sans financements additionnels significatifs, on craint que les pays émergents et en développement n’acceptent pas d’élever leurs engagements climatiques à court terme. Cela sera d’autant moins probable que les pays riches, à commencer par les Etats-Unis, n’intensifient pas leurs efforts pour diminuer leurs propres émissions de gaz à effet de serre.
De surcroît, l’Europe, dont la détermination climatiques a notablement faibli à cause de la montée des droites dure, pourrait être encore moins encline à maintenir son cap si son concurrent américain choisit de faire un pas en arrière. L’élévation des engagements nationaux (et leur mise en œuvre), au Sud comme au Nord, demeure pourtant une condition essentielle pour s’aligner sur l’objectif vital de rester bien en dessous de 2 °C. Pour référence, les politiques en cours conduisent vers un réchauffement global de + 3 °C.
Sur le plan intérieur, le second mandat de Donald Trump devrait avoir un impact climatique et environnemental bien plus désastreux que le premier. Il est difficile de dire si le nouveau Président va annuler – et dans quelle mesure – les subventions massives accordées aux industries vertes sous Joe Biden dans le cadre de l’Inflation Reduction Act. En effet, ces mesures favorisent le « made in America », ce qui réjouit les dirigeants républicains du secteur. Cet héritage pourrait donc demeurer intact.
En revanche, Donald Trump sera en mesure de modifier considérablement les normes environnementales, bien plus facilement que lors de son premier mandat. Cela pourrait accentuer la prospection et la production de combustibles fossiles, la construction automobile (thermique) et les industries polluantes, ou encore faciliter l’exploitation des centrales électriques à charbon et à gaz.
Au cours de ses quatre premières années au pouvoir, il avait œuvré à supprimer une centaine de réglementations environnementales, dont celles limitant les émissions des véhicules et des centrales électriques. Cependant, ses équipes avaient été confrontées à une fonction publique réticente et à des recours devant la justice fédérale, qui ont souvent annulé ses réformes jugées illégales et mal préparées. De plus, ce qui avait été abrogé sous Trump a pu être facilement rétabli et même renforcé sous Biden.
Depuis, les collaborateurs de Donald Trump ont tiré des leçons de leurs erreurs passées. Ils vont procéder à un nettoyage approfondi au sein des administrations, notamment dans la puissante Agence de protection de l’environnement (EPA) et dans les instances de recherche. Ils s’assureront que les réformes futures soient juridiquement solides et difficilement annulables par la suite.
Donald Trump devrait être soutenu par un congrès désormais majoritairement républicain et par les nombreux juges nommés durant son premier mandat, dont trois à la Cour suprême, qui est majoritairement conservatrice.
Antoine de Ravignan
L’Ukraine endure. Dans son message de félicitations à Donald Trump, le président Volodymyr Zelensky a rappelé que son pays fait « d’un soutien fort, continu et bipartisan » dépendre de l’aide des Etats-Unis. Or, celle-ci pourrait diminuer, le camp trumpiste ayant critiqué à plusieurs reprises la politique de livraison d’armes à l’Ukraine initiée par Joe Biden.
Le candidat Trump a promis de mettre fin à la guerre en moins de vingt-quatre heures, sans préciser comment il s’y prendrait. « Il y a beaucoup d’incertitudes sur ce dossier : pourrait-il trouver un accord avec Poutine ? Va-t-il suspendre les livraisons d’armes ? », questionne Adrien Schu, maître de conférences en science politique à l’Université de Bordeaux.
Cependant, le chercheur souligne qu’entre les Républicains modérés et les Démocrates, le Congrès maintiendra toujours une majorité transpartisane en faveur du soutien à l’Ukraine.
« Cette majorité sera-t-elle suffisante pour contraindre l’action présidentielle ? Pour l’instant, nous ne le savons pas », ajoute-t-il.
Concernant le conflit israélo-palestinien, le milliardaire devrait poursuivre la ligne de son prédécesseur, c’est-à-dire un soutien militaire et politique au gouvernement de Benyamin Netanyahou. Ce dernier s’est réjoui sur X (ex-Twitter) : le retour de Trump à la Maison-Blanche « offre un nouveau départ pour l’Amérique et un réengagement puissant en faveur de la grande alliance entre Israël et les Etats-Unis ».
Bibi – surnom du Premier ministre israélien – sait que le prochain Président ne devrait plus dénoncer la « crise humanitaire » (terme utilisé par les démocrates) à Gaza ni inciter verbalement Israël à faire preuve de retenue, comme l’a fait Biden.
« Lors de son premier mandat, Donald Trump avait entouré de Républicains traditionnels issus de l’establishment. Ceux-ci ne partageaient pas forcément la même vision que lui et ont agi comme des contre-pouvoirs internes. Mais il s’est séparé de ces personnes et la loyauté sera le principal critère pour former sa prochaine administration », ajoute Adrien Schu.
En résumé, Trump pourra décider seul de sa politique étrangère qui semble promettre d’être encore moins atlantiste, moins multilatérale, et davantage axée sur le bilatéralisme et la compétition.
Eva Moysan
Les avancées en intelligence artificielle engendrent souvent des inquiétudes liées à un potentiel remplacement des travailleurs humains. Cependant, la situation paraît nettement plus encourageante. Une évolution majeure du marché de l’emploi se profile, accompagnée de nouvelles opportunités passionnantes.
Contrairement à une vision de destruction d’emplois à grande échelle, l’intelligence artificielle se présente comme un catalyseur d’emplois. En effet, le Forum économique mondial anticipe la création de 12 millions d’emplois d’ici à 2025. Ce chiffre remarquable met en exergue la croissance des secteurs tirés par les nouvelles technologies intelligentes.
Ainsi, l’IA ne se limite pas à la suppression de tâches routinières. Elle favorise l’émergence de professions nouvelles. Cela requiert des compétences plus avancées et techniques, dans des domaines aussi variés que l’éthique de l’IA et la gestion de systèmes intelligents.
Nous sommes à l’aube d’une époque de changements technologiques rapides, souvent désignée comme la quatrième révolution industrielle. Cette métamorphose impose de développer des compétences pertinentes pour le numérique et l’IA. Les travailleurs doivent se préparer à s’adapter à un environnement en constante évolution. Les employeurs recherchent des professionnels spécialisés en apprentissage automatique, en analyse de données, et en programmation avancée.
En outre, cette transformation dépasse les emplois techniques. Les entreprises sont également en quête de professionnels capables d’évoluer dans des environnements de travail toujours plus automatisés. Les compétences interpersonnelles, telles que la gestion d’équipes mixtes humains-machines, deviennent cruciales.
Les entreprises augmentent leurs investissements dans l’IA générative, générant ainsi de nouvelles initiatives. Cette technologie complète l’effort humain et améliore la productivité sans nécessairement remplacer les employés. En effet, selon McKinsey, les gains d’efficacité apportés par l’IA pourraient augmenter la production mondiale de 0,5 à 0,9 % chaque année jusqu’en 2030.
Cette productivité en hausse pousse aussi les gouvernements et les établissements d’enseignement à renforcer la formation et la reconversion des travailleurs. Ils privilégient des programmes favorisant une adaptation rapide à un monde technologique de plus en plus complexe.
Pour les investisseurs, l’IA constitue une source inépuisable d’opportunités nouvelles. Le marché se dynamise avec des startups innovantes et des entreprises créant des solutions révolutionnaires. De plus, les initiatives gouvernementales visent à stimuler l’innovation à travers des investissements conséquents dans la recherche.
Par conséquent, investir dans des projets liés à l’IA s’annonce comme une stratégie prometteuse. Les fonds comme Xtrackers proposent des opportunités variées en suivant les tendances de l’intelligence artificielle et du big data. Ces placements semblent avoir un potentiel, même si, naturellement, aucun marché n’est sans risque.
Être prêt pour l’avenir implique d’accepter les changements causés par l’IA. Collaborer avec les machines requiert de nouvelles compétences et une flexibilité d’esprit. Néanmoins, le défi en vaut la peine : tirer parti des opportunités d’une économie en pleine évolution. Les entreprises, les travailleurs et les investisseurs qui anticipent cette transformation en bénéficieront largement. Une technologie bien intégrée promet un avenir prospère.
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