la Élection
Depuis des mois, les responsables de l’État se préparent à gérer la menace des complotistes d’extrême droite qui pourraient essayer de « stopper le vol ».
Depuis des mois, les responsables de l’État se préparent à gérer la menace des complotistes d’extrême droite qui pourraient essayer de « stopper le vol ».
Chaque semaine, Alternatives Economiques sélectionne quatre graphiques qui offrent un éclairage distinct sur l’actualité.
Dans ce nouveau graphorama : les Français sont disposés à accepter des impôts plus élevés ; les voix comptent différemment à l’élection présidentielle américaine ; les banques françaises n’ont pas réduit leur taille depuis la crise financière ; en Norvège, l’augmentation de l’impôt sur la fortune n’a pas poussé les riches à quitter le pays.
Les Français sont-ils épuisés par la pression fiscale ? Refusent-ils absolument de contribuer davantage par le biais d’impôts pour leurs services publics et l’environnement ? Publiée juste avant le début du débat budgétaire, l’enquête annuelle de l’Ademe sur la fiscalité écologique révèle une opinion différente de celle relayée par certains médias et la droite parlementaire.
En janvier 2023, 53 % des Français excluaient l’idée de payer plus d’impôts pour n’importe quelle politique publique, mais ce refus a reculé à 44 % en janvier 2024, d’après l’étude. La santé reste leur préoccupation principale, suivie de l’éducation et des personnes âgées.
Bien qu’une majorité évalue négativement toute hausse de la fiscalité environnementale, cette enquête, comme les précédentes, démontre que tout dépend de la façon dont cela est mis en œuvre. Pour financer la transition climatique, seuls 35 % des Français seraient en faveur d’une augmentation progressive de l’impôt sur le revenu, mais 68 % soutiennent une hausse des impôts sur le patrimoine des 10 % de la population les plus riches.
Qu’en est-il de la taxe carbone ? « Près de la moitié des personnes initialement opposées à une fiscalité sur les carburants pourraient changer d’avis selon l’usage des recettes, principalement sous forme de redistribution monétaire, que ce soit en faveur des ménages modestes et moyens ou par une réduction d’autres impôts profitant à tous », indique Patrick Jolivet, directeur « Transition Juste » à l’Ademe. Au total, dans ces conditions, 57 % de la population pourrait envisager une hausse de la fiscalité sur les carburants pour lutter contre le changement climatique. » À bon entendeur…
Antoine de Ravignan
« Une homme, une voix. » La mise en pratique de ce magnifique principe démocratique est particulièrement distinctive aux États-Unis. À quelques jours de l’élection présidentielle, l’accent est mis sur quelques États décisifs, où les résultats détermineront la victoire de Kamala Harris ou de Donald Trump. Dans le système américain, les électeurs n’élisent pas directement leur candidat à la présidentielle, comme c’est le cas en France, mais choisissent des grands électeurs qui sont ensuite responsables de voter pour le ticket présidentiel (composé d’un président et d’un vice-président).
Chaque État se voit attribuer un certain nombre de grands électeurs, qui sont tous donnés au candidat en tête (sauf pour le Maine et le Nebraska). Ce système de « winner takes all » (le gagnant rafle tout) concentre les efforts de campagne des candidats sur un petit nombre d’États où les résultats sont indécis. Ce sont les fameux « swing states », représentés en blanc sur le graphique.
Dans ce cadre, la distribution des grands électeurs désavantage les États les plus densément peuplés au profit des moins peuplés. Par exemple, le Texas détient 40 grands électeurs pour une population de 30,5 millions d’habitants, représentant donc plus de 760 000 personnes par voix pour le collège électoral. À l’inverse, le Wyoming, avec ses 580 000 habitants, dispose de trois grands électeurs (le nombre minimum), chaque électeur représentant seulement 195 000 personnes.
Un candidat peut donc l’emporter en étant élu par le collège électoral tout en perdant le vote populaire, comme cela s’est produit en 2016 avec l’élection de Donald Trump contre Hillary Clinton. Cette année, Kamala Harris mène dans les sondages nationaux, mais elle est en compétition serrée avec Donald Trump dans les projections de collège électoral.
Eva Moysan
À la fin de l’année 2023, le volume total des activités du système bancaire français était de 9 289 milliards d’euros, selon le rapport statistique annuel sur la banque et l’assurance 2023 publié par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Cela reste équivalent à 3,3 fois le PIB français, contre 4,1 fois à son maximum en 2008, juste avant la crise financière.
Malgré une baisse, l’importance du secteur bancaire français demeure considérable. Cela se manifeste par le fait que la France est l’unique pays avec quatre banques considérées comme systémiques. Ces institutions sont dites systémiques parce que leurs défaillances pourraient déclencher une crise nationale, européenne ou mondiale. Sur tous les établissements surveillés étroitement par le Mécanisme de surveillance unique (le régulateur européen), 35,1 % sont basés en France, loin devant l’Allemagne (18,5 %) et l’Espagne (14,2 %).
Les banques françaises génèrent des bénéfices comme des commerçants. Elles achètent sur un marché de gros à court terme (les dépôts représentant 68 % de leurs ressources), qu’elles prêtent au détail sur le moyen ou le long terme (les prêts à l’économie représentant 57 % de leur activité). La différence entre les intérêts perçus et versés leur a rapporté l’an dernier 70 milliards d’euros de chiffre d’affaires (soit 43,5 % du total), auxquels s’ajoutent des commissions de 60 milliards pour l’ensemble de leurs opérations. Néanmoins, le secteur bancaire français reste peu profitable : le rendement des capitaux propres s’élevait à 5,9 % en 2023.
Christian Chavagneux
Les contribuables les plus riches quittent-ils leur pays quand l’imposition de leurs richesses augmente ? Plusieurs exemples tirés des pays scandinaves montrent que non. La Norvège a, par exemple, relevé son taux d’imposition sur la fortune en 2022 : il est passé de 1 à 1,1 % pour les ménages possédant un patrimoine supérieur à 20 millions de couronnes norvégiennes (1,8 million de dollars).
Après cela, certains contribuables ont effectivement décidé de quitter la Norvège, mais cela a eu un impact limité : leur patrimoine total s’élevant à 4,3 milliards de dollars n’a pas empêché une hausse des recettes de l’impôt sur la fortune. Des économistes ont récemment conduit une étude similaire concernant la Suède, qui avait introduit un impôt sur la fortune en 1911 et l’a supprimé en 2007.
Une fois leur impôt réduit, les 2 % de Suédois les plus riches ont-ils moins souvent quitté leur pays comparativement à la période de 1999 à 2006 ? La réponse est clairement négative : la suppression de l’ISF a eu « des effets remarquablement limités » sur les flux migratoires des personnes soumises à cette taxe, remarquent les économistes. Cet argument, souvent avancé par les opposants à l’impôt sur la fortune, est affaibli.
Aude Martin
Les troubles liés au commerce international vont-ils s’intensifier suite à l’élection présidentielle américaine du 5 novembre prochain ? Donald Trump annonce pour sa part une intensification de la guerre commerciale. Le candidat républicain envisage d’augmenter de 10 points de pourcentage les tarifs douaniers sur tous les produits importés, et de 60 points pour ceux en provenance de Chine.
Cette hausse est significative, sachant que le droit de douane moyen mondial s’établit à 3,9 %. Aux États-Unis, il est même légèrement inférieur, à 3 %. Si le candidat l’emporte, ce durcissement du protectionnisme américain modifierait considérablement les échanges et l’équilibre du commerce international.
Est-ce un point de divergence majeur entre Kamala Harris et Donald Trump ? La candidate démocrate est relativement discrète sur ce sujet et suit globalement les traces de Joe Biden. Durant son mandat, celui-ci n’a guère dévié de l’héritage laissé par Donald Trump, qui avait lancé une guerre commerciale dès 2017, en particulier avec la Chine.
En augmentant les droits de douane sur divers produits stratégiques, le candidat républicain visait à la fois à contrer les déséquilibres commerciaux mondiaux et à réduire le déficit commercial des États-Unis, qui dépendent fortement de l’étranger pour l’approvisionnement en biens.
Il cherchait aussi à réindustrialiser le pays après une période où la part de l’industrie dans l’économie américaine a chuté de 21 % du PIB en 1980 à 10 % aujourd’hui.
« La désindustrialisation des États-Unis résulte en partie des stratégies des entreprises nationales qui, dès les années 1980, ont développé des chaînes de valeur mondiales, en divisant leur processus de production en plusieurs étapes et en externalisant les étapes moins rentables, ce qui a finalement permis d’augmenter la rentabilité des entreprises américaines axées sur l’innovation, » précise Benjamin Bürbaumer, économiste à Sciences Po Bordeaux.
Après son élection, Joe Biden a maintenu les droits de douane élevés par son prédécesseur et a même introduit des augmentations sur certains produits tels que les voitures électriques, l’acier et l’aluminium.
Cette continuité en matière de protectionnisme américain provient de la redéfinition des rapports de force entre les grandes puissances économiques mondiales. La part de la Chine dans les exportations mondiales n’a cessé d’augmenter depuis le début des années 2000, et ce pays a comblé (ou s’apprête à le faire) son retard technologique dans plusieurs secteurs.
En approchant de la pointe de l’innovation, la Chine menace désormais les fondements de la suprématie américaine, incitant Washington à tenter de conserver un écart.
« Les mesures protectionnistes ne limitent pas seulement la circulation du commerce mondial. C’est une façon pour les États-Unis d’intervenir de manière extraterritoriale dans la production chinoise pour tenter de garder durablement la Chine dans une position de retard sur le plan technologique, » analyse Benjamin Bürbaumer.
Car la guerre commerciale est principalement technologique. Donald Trump avait ouvert ce front en 2019 en tentant d’interdire toute collaboration ou commande des opérateurs de télécommunications américains avec Huawei, dans le but d’empêcher la domination de la société chinoise en matière de technologies 5G.
Joe Biden a poursuivi cette tendance en limitant fortement les partenariats des entreprises américaines avec des sociétés chinoises dans les domaines de l’intelligence artificielle et de l’informatique quantique, ainsi que leurs investissements dans ces entreprises.
S’il existe une continuité dans la politique menée par les deux présidents, Joe Biden a toutefois ajouté un aspect de politique industrielle qui faisait défaut dans la stratégie de son prédécesseur. Cette approche s’est concrétisée à travers le Chips Act de 2022, qui vise à stimuler la production de semi-conducteurs aux États-Unis, et l’Inflation Reduction Act (IRA), adopté la même année, combinant des subventions pour les industries américaines de la transition énergétique et des aides à l’achat assorties de conditions de production locale.
Le démocrate n’a donc pas uniquement agi sur le plan fiscal, mais a aussi cherché à orienter et à dynamiser les investissements vers des secteurs jugés stratégiques. Avec un certain recul, quels sont les résultats du protectionnisme américain, notamment l’augmentation des droits de douane ?
À court terme, cette politique entraîne une hausse des prix si le distributeur et le fabricant étranger ne modifient pas leurs marges. Les ménages américains ont donc supporté une grande partie du coût de cette politique. Concernant les déséquilibres commerciaux que Donald Trump souhaitait corriger, on peut observer une dissociation des économies américaine et chinoise.
« Il y a eu une baisse significative de la part de la Chine dans les importations des États-Unis, » précise Sébastien Jean, économiste au Cnam. « Celle-ci est passée de 27 % à 14 %. »
Cela a des répercussions pour le reste du monde. En effet, ce que la Chine n’exporte plus vers les États-Unis, elle l’envoie ailleurs, notamment vers l’Europe. Une intensification de la guerre commerciale en cas de victoire de Donald Trump pourrait exacerber ces impacts.
En ciblant tous les produits et pays, une simple hausse de 10 % sur l’ensemble des pays représenterait une augmentation des taxes de plus de 300 milliards de dollars par an. Comparativement, l’ensemble des mesures commerciales entreprises durant son premier mandat a engendré une hausse de seulement 84 milliards de dollars.
Si le découplage entre la Chine et les États-Unis devrait s’accentuer, Sébastien Jean souligne qu’il est en partie factice :
« Les importations en provenance de Chine ont effectivement diminué, mais comme il n’y a pas eu de réduction du déficit commercial, cela signifie que ce que les États-Unis n’importent plus de la Chine, ils l’importent d’autres pays. Les pays qui ont le plus augmenté leurs exportations vers les États-Unis sont le Vietnam et le Mexique, et eux-mêmes ont largement accru leurs importations en provenance de Chine. »
En d’autres termes, les entreprises chinoises ont en partie contourné les restrictions imposées par les États-Unis en s’installant dans des pays voisins.
Quant au déficit commercial des États-Unis, la guerre commerciale s’avère donc être un échec. Le solde entre les exportations et les importations a même continué de s’aggraver, atteignant en 2023 le seuil symbolique de 1 000 milliards de dollars.
De quoi placer en péril la première économie mondiale ? Paradoxalement, non. C’est l’un des privilèges du dollar, qui permet de soutenir les déficits.
« Quand un pays a un déficit de cette ampleur, cela signifie qu’il dépense plus que ses revenus et qu’il s’endette auprès de l’étranger, » résume Sébastien Jean. « Dans tout autre pays, cela conduirait à une crise, mais grâce au rôle du dollar dans le système financier international, les États-Unis n’ont jamais de difficulté à trouver des prêteurs. »
Sur le plan industriel, « l’impact des politiques de Joe Biden reste difficile à évaluer, » poursuit l’économiste. « On constate une forte augmentation des investissements et des dépenses de construction dans le secteur manufacturier, mais pas encore d’effet sur la production. »
Cependant, ces politiques marquent une inflexion « grâce à leur orientation claire du capital vers tout ce qui concerne l’électronique, l’informatique et les industries vertes – batteries, énergies renouvelables, etc. », ajoute Sarah Guillou, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Dans ce dernier domaine, « l’industrie américaine accusait un important retard. »
Cette faiblesse des États-Unis dans le secteur manufacturier est en partie le résultat de leur force dans le numérique.
« Les facteurs de production (travail, capital) sont limités dans une économie. Pendant des décennies, les États-Unis ont orienté le capital vers le secteur numérique, avec succès, » explique Sarah Guillou. « Cette allocation du capital s’est faite au détriment de l’industrie, mais pas de la croissance. Grâce à ces investissements dans les technologies numériques, les États-Unis disposent aujourd’hui d’une industrie parmi les plus puissantes au monde. »
« La recherche et développement (R&D) permet une appropriation démesurée de la valeur ajoutée du produit fini, » ajoute Benjamin Bürbaumer. « C’est donc le monopole sur la propriété intellectuelle qui constitue la source des revenus des entreprises américaines. »
Le cas d’Apple illustre bien cette dynamique : l’entreprise conçoit des téléphones et délègue leur fabrication, mais c’est elle qui se réserve in fine la majorité des revenus générés par la vente d’un iPhone, au détriment des sociétés qui fabriquent les différents composants ou de celles qui les assemblent. Nvidia, Qualcomm, Broadcom, pour ne citer que quelques autres géants américains des technologies, tirent également leurs profits de leur monopole intellectuel.
« Si la Chine réussit à rivaliser avec la capacité d’innovation des entreprises américaines, le modèle de ces entreprises est menacé, » constate Benjamin Bürbaumer.
Ainsi, qu’importe qui l’emportera lors de l’élection aux États-Unis : les forces qui ont conduit le pays vers une politique protectionniste continueront d’exister. D’une part, Kamala Harris n’envisage pas une diminution des tensions commerciales. D’autre part, Donald Trump promet d’accroître considérablement le niveau de confrontation.
Aucune des deux parties, démocrates ou républicains, n’a contribué à relancer l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui est en stagnation depuis des années, symbolisant un multilatéralisme censé veiller à une résolution collective des conflits.
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Dans cet État rural et républicain du nord du pays, ce n’est pas la présidentielle qui passionne les foules, mais la bataille que mène le sénateur démocrate sortant, Jon Tester, pour sa réélection face au républicain Tim Sheehy. Un scrutin déterminant pour le contrôle de la chambre haute.
Les élections semblent remonter à une époque lointaine, et le résultat du scrutin est presque oublié, tant la vie politique paraît immuable. Cependant, il est essentiel de se pencher sur un phénomène qui mérite notre attention. Plus de 20 % des enseignants auraient opté pour le rassemblement national (RN) lors des dernières élections. Pourquoi cet électorat, habituellement de gauche, paraît-il également en train de changer de cap ?
Selon les études menées par le politologue Luc Rouban, alors que la moitié des enseignants continuent de voter à gauche, près d’un enseignant sur cinq glisserait aujourd’hui un bulletin d’extrême droite dans l’urne.
Ce chiffre de 20 % est globalement équivalent à celui observé lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022. En revanche, en 2012, le RN, désigné alors sous le nom de Front national, ne recueillait que 3 % des intentions de vote des enseignants.
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Luc Rouban a néanmoins souligné que « le vote des enseignants dans le secteur public demeure toujours plus à gauche que celui des autres agents de la fonction publique ». Pour lui, ce chiffre de 20 % d’enseignants ayant voté pour des candidats de la droite radicale « paraît faible comparé aux 47 % que rassemble cette droite auprès des policiers et militaires. » Cependant, « cela témoigne d’un changement majeur dans le milieu enseignant, qui, jusqu’à présent, était considéré comme un bastion de résistance contre l’extrême droite ».
Une partie significative des enseignants de droite a désormais basculé vers le RN. De plus, il existe également une convergence : les enseignants commencent à adopter des comportements de plus en plus similaires au reste de la population. Bien que le vote pour le RN ne soit plus aussi tabou qu’auparavant, il reste encore discret dans les salles des professeurs.
Le chercheur Benjamin Chevalier, étudiant les enseignants affiliés au RN, met en lumière les stratégies de « gestion du stigmate », qui poussent souvent à s’éloigner des espaces de sociabilité que représentent les salles des profs. Cependant, les choses évoluent et les préférences politiques deviennent de plus en plus visibles. Quelles sont donc les motivations derrière cette droitisation (relative) du corps enseignant ? Qu’est-ce qui, dans le discours du RN, pourrait séduire les enseignants ?
Le discours du FN, longtemps anti-fonctionnaires, a évolué sous le RN, qui présente les enseignants comme des victimes d’un système et d’un excès de réformes. La question de la violence est également mise en avant, soutenue par les médias.
Dans son programme pour les législatives, Jordan Bardella évoquait le « dévouement des enseignants victimes d’une bureaucratie invasive et souvent lâche face aux agressions dont ils souffrent », en proposant leur revalorisation et la « restauration de l’excellence ». Ce discours pourrait séduire un milieu enseignant où le sentiment d’abandon côtoie la dépolitisation et une confusion grandissante.
Les enseignants forment-ils toujours un « bastion de gauche » ? En 2021, l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès, en partenariat avec l’Ifop, a souhaité dresser un portrait des enseignants. L’étude réalisée par Jérôme Fourquet dépeignait « une population culturellement moins homogène et électoralement plus variée ».
L’expression, souvent employée, de « forteresse enseignante » montre ainsi ses limites et ne reflète pas la réalité d’un groupe qui n’a jamais été homogène. Comme évoqué, il existe toujours eu des enseignants de droite, voire d’extrême droite, mais auparavant, ils étaient peu visibles et leur voix inaudible en raison de la culture dominante et du contrôle social en salle des profs.
L’homogénéité n’était qu’apparente. La « matrice enseignante » (Jérôme Fourquet) est remise en question et n’arrive plus à garantir une culture commune. La sociologue Géraldine Farges évoque même les « mondes enseignants ».
Ce qui structurait cette supposée « forteresse » (déjà bien fragilisée) est en train de disparaître. Le triptyque FEN-MGEN-Maif, c’est du passé ! Autrement dit, les instances de socialisation secondaire ne font plus leur office, ou beaucoup moins efficacement.
En premier lieu, les voies d’entrée dans le métier se diversifient. Le parcours par l’école normale, devenue ensuite IUFM/Espé/Inspé, ne va plus de soi. Complètement tourné vers la préparation aux concours, le parcours de formation a perdu sa fonction socialisatrice.
Par ailleurs, la part des emplois précaires (« vacataires », contractuels et autres termes désignant ces postes) s’élève désormais à près de 25 % des emplois actuels. Cela risque de s’aggraver. Quelle identité professionnelle peuvent-ils se construire ? On sait que la précarité et le déclassement sont deux éléments marquants du vote RN.
Il convient également de noter qu’une part importante des enseignants ont exercé une activité professionnelle avant d’intégrer l’Éducation nationale, et qu’ils ont déjà forgé une identité, des normes et des valeurs qui ne seront pas fondamentalement modifiées par leur intégration dans le monde enseignant.
Bien que le taux de syndicalisation des enseignants demeure relativement élevé par rapport à la moyenne générale, cela peut parfois se révéler illusoire. Actuellement, 30 % d’entre eux sont syndiqués (contre 7 % dans la population active), mais ce chiffre était de 45 % dans les années 1990. De plus, la syndicalisation ne signifie pas nécessairement engagement. Les raisons d’adhérer à un syndicat sont souvent utilitaires et liées à la gestion des mutations. Le syndicat joue un rôle socialisateur moindre qu’auparavant, surtout auprès de personnes ayant des statuts et des revendications variés.
L’endogamie parmi les enseignants (le fait de s’unir avec quelqu’un du même groupe social) a diminué dans le premier degré, alors qu’elle s’accroît dans le second, où elle concerne un quart des couples. Néanmoins, cette baisse cache principalement la forte féminisation du corps enseignant.
Or, la socialisation politique est influencée par le milieu social du partenaire, et les conditions de vie peuvent varier considérablement chez les enseignants. Entre une professeure à la tête d’une famille monoparentale et celle qui partage la vie d’un cadre supérieur, le niveau de vie, tout comme les normes et valeurs, diffèrent grandement.
Le rapport au travail n’est pas le même. J’ai souvent évoqué combien le terme « vocation » devrait être écarté, tant pour ce qu’il implique que parce qu’il ne reflète plus la réalité de l’entrée et de la carrière dans ce métier. La profession n’est plus forcément perçue comme une longue traversée qui façonne toute une existence.
Évidemment, on ne choisit pas ce métier « par hasard », il existe nécessairement des valeurs qui lui sont associées. Toutefois, la notion de « vocation » – ou ce que l’on pourrait appeler le « sens du service public » ou « l’intérêt des enfants » – n’est plus une justification pour supporter le poids de l’autorité, la détérioration des conditions de travail et un déclassement connexe largement documenté.
De ce fait, les opinions politiques des enseignants deviennent de plus en plus sensibles aux idées conservatrices et même réactionnaires, surtout qu’elles les renvoient à une époque idéalisée où l’école fonctionnait (mais pour quels élèves ?) et où leur profession était respectée.
Pour mieux appréhender le conservatisme enseignant, il convient de rappeler que les enseignants sont souvent d’anciens « bons élèves » (et de moins en moins issus des classes populaires, malgré quelques « exceptions »). Pourquoi souhaiter changer un système qui vous a permis de « réussir » et qui vous a conféré un statut ?
« Si j’y suis parvenu avec du dévouement, pourquoi d’autres n’y arriveraient-ils pas ? C’est une question de volonté ! », « Il y en a qui sont “talentueux” et d’autres non. Il faut sélectionner en fonction du mérite » : ce sont des déclarations que l’on peut entendre en salle des profs. Elles peuvent paraître banales, mais elles méconnaissent les enseignements de la sociologie de l’éducation et constituent les bases du maintien d’un ordre inégalitaire.
C’est sur ce terreau de la détérioration des conditions de travail et d’une culture commune en déclin que s’épanouit un vote enseignant qui, à l’instar du reste de la société, devient de plus en plus réceptif aux idées réactionnaires et d’extrême droite.
Le vote RN des enseignants ne doit donc pas être uniquement évalué par une perspective morale. Il doit également être perçu comme un indicateur de l’état actuel du système éducatif et de ses personnels.
Le nouveau document de programmation des investissements publics pour la transition écologique était très attendu. Il espère une hausse des investissements privés… sans prévoir les évolutions réglementaires nécessaires.
Depuis sa première campagne présidentielle, Donald Trump suscite des controverses quant à la nature fasciste de son projet. Si le débat n’est pas clos, il est impossible de minimiser la dérive extrémiste qu’il a imprimée au camp républicain, et qui pourrait fracasser les institutions.
L’ancien rédacteur en chef discute de sa relation avec le propriétaire du journal, Jeff Bezos, qui aurait été à l’origine de l’appel de dernière minute pour annuler un éditorial soutenant Kamala Harris.
Les téléspectateurs peuvent profiter des événements enregistrés avec Rachel Maddow, Atul Gawande, Liz Cheney, Sara Bareilles, et d’autres.
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