La Fantaisie de la Technologie Confortable
De la tendance du “gaming confortable” à une nouvelle génération de compagnons IA, nos appareils essaient de nous envelopper dans un cocon numérique et physique.
De la tendance du “gaming confortable” à une nouvelle génération de compagnons IA, nos appareils essaient de nous envelopper dans un cocon numérique et physique.
Pensez à un moment où vous n’avez plus à faire de choix, appelons cela « des vacances décisionnelles »
Durant une semaine, l’intelligence artificielle générative a pris en main ma vie. Que ce soit pour mes repas ou mes messages familiaux, tout était orchestré par des chatbots. Au final, cela a donné lieu à un ensemble d’efficacité, de décisions discutables et de situations inattendues.
Lorsque l’intelligence artificielle s’implique dans vos choix quotidiens, l’efficacité devient captivante, mais il y a un manque flagrant d’authenticité humaine.
L’IA a débuté par l’organisation de mes repas et la création d’une liste de courses structurée. ChatGPT a préparé un menu équilibré en un clin d’œil. Avec une patience sans fin, il a également vérifié que mon caddie contenait tout ce qu’il fallait.
— Moi : « Tu prendras les décisions concernant les repas de ma famille cette semaine. Que dois-je acquérir ? Classe la liste par section, en commençant par les fruits et légumes. »
— ChatGPT : « Voici ta liste de courses, classée par section. »
Mes enfants étaient fascinés par cette voix à la fois amusante et réconfortante, que nous avons surnommée Spark. Spark ne se limitait pas à être un assistant culinaire, il a également structuré mes journées de vacances décisionnelles avec des rappels pour faire des pauses d’étirement et suggérer des jeux familiaux en soirée.
La vie orchestrée par l’IA ressemblait à une retraite de bien-être parfaite. Mes enfants ont pris plaisir aux jeux proposés par Spark, comme Pass the Story. Néanmoins, cette perfection perpétuelle a commencé à devenir lourde : tout était trop optimisé, et cela manquait de chaleur humaine.
— Spark : « Que diriez-vous de débuter une histoire sur un arbre enchanté dans une forêt magique ? »
Un projet que j’avais depuis longtemps était de repeindre mon bureau. J’ai recouru à des applications d’IA pour déterminer la couleur parfaite. Après avoir pesé le pour et le contre entre taupe, sauge et terre cuite, ChatGPT m’a orienté vers une teinte olive.
— Moi : « Laquelle de ces couleurs ressemble le plus à celle que nous avions choisie ? »
— ChatGPT : « Sur la base de la teinte olive, Secluded Woods semble être le choix idéal. »
Bien que pratique, cette recommandation avait quelque chose d’inquiétant, comme si je confiais une décision cruciale à un étranger. Pourtant, la couleur choisie, Secluded Woods, a été plutôt réussie.
L’expérience a pris une tournure inattendue lorsque l’IA a évalué ma garde-robe. Style DNA a scruté mon style et suggéré de nouvelles tenues. Lors de mes essayages, presque tout a été rejeté, sauf un débardeur en tricot olive et un jean taille haute.
— Style DNA : « Je te conseille un débardeur en tricot olive et un jean à taille haute. Correspondance : 100 %. »
Mes collègues ont ri de mes selfies en vêtements approuvés par l’IA. Ils ont fait des comparaisons avec le look d’un mannequin d’un autre temps. C’était adapté, mais manquait d’inspiration.
Cloner ma voix et élaborer un avatar vidéo ont été des expériences déroutantes. L’IA a conçu des messages qui, bien que chaleureux, paraissaient inquiétants et légèrement artificiels. Lorsque j’ai envoyé un message vidéo à ma mère, elle a été déconcertée. Elle a trouvé mon avatar effrayant et inauthentique. Même mes proches ont remarqué le manque de sincérité dans les messages que l’IA avait préparés pour eux.
— Moi : « Envoie-moi ce message vidéo chaleureux à ma mère. »
— Maman : « Tu avais l’air tellement faux ! Je pensais que tu étais en colère contre moi ! »
Malgré son efficacité, l’IA n’a souvent pas affiché de personnalité. Viktor Mayer-Schönberger, éminent professeur à l’Oxford Internet Institute, a tout à fait raison : l’IA doit améliorer l’efficacité, mais elle ne garantit pas l’innovation. Les chatbots étaient rapides et compétents mais aucun d’eux ne pouvait réellement saisir ou exprimer ma singularité.
Après cette semaine de « vacances décisionnelles », j’étais contente de retrouver le contrôle. Les assistants IA avaient géré ma vie de manière fluide, mais sans un brin de charme. Bien que l’IA puisse accroître notre productivité, elle ne peut encore remplacer le jugement ou la spontanéité d’un être humain.
Sous-préfecture de Saint-Denis (93) – « Laissez-moi passer ! » Sous son voile rose délicat, Samah, 42 ans, gesticule, anxieuse et en colère, à travers les grandes grilles bleues de la sous-préfecture. L’Algérienne appelle les agents de sécurité. « Mon contrat a été interrompu ! » Cela fait 20 ans qu’elle réside en France. Cadre en management depuis 17 ans, mère de trois enfants, sa vie bien ordonnée est soudainement chamboulée par la difficulté de renouveler son titre de séjour. Ce processus, qui devrait être une simple formalité, doit être effectué tous les 10 ans. Elle a passé presque toute sa semaine à attendre devant l’énorme bâtiment de Seine-Saint-Denis, espérant régulariser rapidement sa situation. « Pas de rendez-vous, pas d’entrée ! », lui lance, de manière agressive, un des agents de sécurité. Depuis 2021, les prises de rendez-vous sont obligatoirement faites en ligne, via la plateforme Administration numérique pour les étrangers en France (ANEF). Samah s’écrie :
« Sauf qu’il n’y a pas de rendez-vous disponibles ! »
Chaque jour, qu’il pleuve ou qu’il vente, des centaines de personnes se massent devant la préfecture pour finaliser ou renouveler leur titre de séjour. Depuis la dématérialisation des démarches, la prise de rendez-vous est pratiquement impossible. Ainsi, l’administration laisse entrer quelques chanceux sans rendez-vous à très petite dose. « Une trentaine », selon l’un des agents de sécurité. Certains sont accompagnés de leurs bébés, d’autres prennent des jours de congé ou s’organisent pour se libérer. Beaucoup, désespérés, pleurent, fulminent et s’inquiètent. Carrière, mariage, enfants, et parfois même petits-enfants, toute leur existence en France dépend de ce précieux document administratif.
Chaque jour, des centaines de personnes s’agglutinent devant la préfecture. /
Crédits : Elisa Verbeke
Cette année, environ 50 % des personnes en attente de régularisation ont vu leurs droits à la Caf, à France Travail et/ou à l’emploi annulés en raison de l’impossibilité d’obtenir des rendez-vous en raison des dysfonctionnements de la plateforme ANEF, selon une récente étude de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) sur 485 participants. Si leurs documents ne sont pas renouvelés à temps, ces personnes risquent une Obligation de quitter le territoire français (OQTF).
« Il faut passer par ce portail de l’ANEF. Je les appelle tous les jours depuis deux mois. » Fazou, 30 ans, explose. « À chaque fois, un message automatique me demande de patienter ! » Les larmes lui montent aux yeux tandis qu’elle raconte la suspension de son contrat le 13 octobre dernier. Pourtant, elle a effectué toutes les démarches requises. Mais rien n’avance. À sa droite, sous sa grande paire de lunettes de soleil, Jacqueline se fâche. C’est sa cinquième visite cette semaine. Son dossier est bloqué en Normandie et, depuis un an, elle ne peut pas renouveler ses documents sans rendez-vous. Cette quadragénaire a travaillé pendant plus de 15 ans dans une grande chaîne d’hôtels à Caen, insiste-t-elle. La Camerounaise reçoit l’allocation aux adultes handicapés (AAH) en raison de graves infections pulmonaires qui ont failli lui coûter la vie :
« C’est ce travail qui m’a détruite. J’ai besoin de mes papiers pour mes médicaments, mes médecins et l’AAH. »
Depuis 2022, les demandes liées aux droits des étrangers et aux dysfonctionnements de l’ANEF sont la principale raison de saisine du Défenseur des droits. Cette année-là, plusieurs associations ont interpellé le Conseil d’État face aux difficultés rencontrées par les usagers. En réponse, un arrêté a été adopté pour que les préfectures instaurent de nouveaux dispositifs d’accompagnement. Deux outils dématérialisés ont été créés : le Centre de contact citoyen, qui propose notamment une aide par téléphone, et le Point d’accès numérique – accessible uniquement si le Centre de contact citoyen n’a pas pu aider –, où un agent assiste les usagers dans leurs démarches en ligne et la constitution de leurs dossiers. 82 % des personnes ayant utilisé ces dispositifs n’ont reçu « aucune aide concrète ». Si ces deux recours n’ont pas suffi, les exilés ont désormais le droit de déposer leur dossier physique à la préfecture ou dans une boîte postale. Cependant, l’enquête de la FAS révèle que la plupart des préfectures « n’ont pas respecté leur obligation d’accès aux guichets », ce qui a eu de lourdes conséquences sur les droits des personnes étrangères.
Un collectif de riverains organise des permanences devant la sous-préfecture. /
Crédits : Elisa Verbeke
« C’est ainsi que de nombreuses personnes se retrouvent avec des dettes ! Ils perdent leur job et leur salaire », s’écrie Diangou Traore. La Dionysienne a récemment aidé à la formation d’un collectif de riverains qui organise tous les vendredis (et parfois d’autres jours) des « piquets de veille ». Ces permanences – avec café, thé et brioche devant la sous-préfecture – offrent un soutien juridique, administratif et moral aux personnes dans des situations similaires à celles de Samah, Fazou ou Jacqueline. Diangou Traore a découvert cet été l’angoisse à la sous-préfecture en aidant un voisin à renouveler son titre de séjour :
« J’étais vraiment choquée : les deux trottoirs de la rue étaient remplis de monde. Des gens venaient avec des seaux pour s’asseoir, ils pleuraient, coincés là car ils ne parvenaient pas à obtenir un rendez-vous. »
La bruine matinale d’octobre contraste avec le manteau rouge de Madame Diallo, assise à côté de Samah, sur le muret de la sous-préfecture. À 67 ans, son visage fin est à peine ridé. Après 30 ans en France à travailler comme femme de ménage dans des collèges, elle aspire à retourner un peu au Mali et honorer la mémoire de sa mère récemment disparue. Toutefois, son titre de séjour de 10 ans expire le mois prochain. Partir représente le risque de ne pas pouvoir revenir. La préfecture l’a récemment sollicitée par l’envoi d’un SMS contenant un lien sur son téléphone à clavier qui ne dispose pas d’accès à Internet : « Merci de prendre rendez-vous sur le site de la préfecture. » Lorsqu’elle parvient à se connecter, elle se retrouve sur une page qui affiche constamment « aucun créneau disponible ». Devant elle, Mehmet hoche la tête comme pour indiquer son assentiment. À 63 ans, l’ancien chauffeur de taxi est lui en retraite anticipée. Il perd la vue et va bientôt être aveugle. « La dématérialisation est très compliquée pour les personnes âgées, malades, qui ne savent ni lire ni écrire ou qui n’ont pas accès à Internet », souffle une riveraine retraitée participant au piquet de veille aujourd’hui.
Il est très difficile d’obtenir un rendez-vous à la sous-préfecture. /
Crédits : Elisa Verbeke
À ces journées kafkaïennes s’ajoute le comportement méprisant des agents de sécurité, qui servent de filtre entre la foule et l’administration. « Ils traitent les gens comme des animaux ! », s’indigne Linda, 52 ans, en France depuis l’âge de 24 ans. Écartée brutalement par un agent, elle est aux prises avec les larmes. L’assistante maternelle pousse une poussette avec à son bord un enfant blond aux yeux bleus. « Je suis forcée d’amener mon travail ici ! », proteste-t-elle. Elle attend son titre de séjour depuis six mois. Elle a même dû annuler ses vacances en famille :
« Personne ne te traite bien. Un homme diabétique est tombé la dernière fois. Les pompiers ont été appelés, mais ils s’en fichent. »
Pour maximiser leurs chances, certains plus rusés trouvent des solutions astucieuses en établissant, par exemple, leur domiciliation dans d’autres régions. Le bouche-à-oreille laisse entendre que les démarches y seraient plus rapides. « Vous vous rendez compte jusqu’où on est prêts à aller juste pour trouver du travail ? », fulmine Diangou Traore. Selon elle, le problème des rendez-vous toucherait toutes les préfectures du pays. Sur son compte TikTok, où elle partage ses actions à Saint-Denis, « les commentaires de personnes vivant des situations semblables proviennent de partout ».
Mamadou, cuisinier à Paris depuis 2011, s’est orienté vers l’achat de rendez-vous sur le marché noir. D’après les témoignages recueillis par StreetPress, le prix varie entre 150 et 800 euros dans les taxiphones, ces petits commerces de téléphonie où se vendent des cartes prépayées. Il a déboursé 250 euros pour le sien dans le 18e arrondissement : « Je n’ai pas le choix, sinon je ne peux plus travailler. » Monsieur Sow, chauffeur de VTC, envisage cette option : « Cela fait un an que je passe mes journées à rafraîchir la page des rendez-vous, sans succès. La prochaine fois, j’en achèterai un ! » C’en est trop pour lui :
« C’est eux qui nous poussent vers le marché noir ! »
L’administration serait en connaissance de cause, selon un article du Parisien de 2019. L’ancien préfet de Seine-Saint-Denis, Pierre-André Durand, y expliquait que ce serait « un système, soit géré par des robots, soit par des petites mains, qui prennent des rendez-vous pour les revendre ». (1)
Les dysfonctionnements liés à la dématérialisation sont également profitables aux escrocs. Sur TikTok, il suffit de commenter une vidéo sur le sujet pour être contacté par des comptes tels que « Préfecture du 69 » ou « Rendez-vous Préfecture ». Mehmet, l’ancien chauffeur de taxi menacé par la cécité, a failli tomber dans le piège. Un jour, après avoir posté dans un groupe Facebook dédié, il reçoit un message en privé lui proposant de prendre rendez-vous à la préfecture. En appelant, on lui demande 400 euros. Il se rend vite compte de la supercherie et raconte l’anecdote en riant :
« J’ai immédiatement compris que c’était une arnaque : la préfecture ne répond jamais au téléphone aussi rapidement. »
Tous les prénoms des personnes en voie de régularisation ont été modifiés.
(1) Contacté, le sous-préfet de Saint-Denis Vincent Lagoguey n’a pas répondu à nos demandes d’informations.
Illustration de Une de Léa Taillefert.
Les deux sujets étaient indissociables. Conduites en simultané, les discussions entre les partenaires sociaux concernant l’assurance chômage et l’emploi des seniors ont abouti, le 14 novembre dernier, à un compromis nécessitant l’approbation de chaque organisation syndicale et patronale.
Il convient de souligner que le texte relatif à l’emploi des seniors était particulièrement attendu. En effet, ce sujet avait permis au gouvernement Attal de reprendre la main sur l’assurance chômage. Les partenaires sociaux avaient convenu en novembre 2023 d’un certain nombre de règles, tout en demandant qu’un accord spécifique soit établi pour l’emploi des seniors.
L’exécutif en a alors profité pour reprendre le contrôle – un comportement devenu habituel depuis 2019 – en rendant les conditions d’indemnisation des chômeurs beaucoup plus strictes. La réforme a finalement été abandonnée le 30 juin, au soir du premier tour des élections législatives.
Le gouvernement Barnier a remis les pendules à l’heure et a demandé aux partenaires sociaux de repartir du texte de novembre 2023. La mesure phare, qui bénéficie le plus aux salariés âgés, concerne l’élargissement de l’accès à la retraite progressive. Une victoire politique significative après la phase difficile entourant la réforme des retraites.
Encore peu connue et peu utilisée – un peu plus de 30 000 travailleurs en profitaient en 2020 – cette mesure permet aux salariés, agents de la fonction publique et travailleurs indépendants ayant validé 150 trimestres, de réduire leur charge de travail de 40 % à 80 % tout en combinant une part de leur salaire et de leur retraite. Pendant cette période, le travailleur continue d’accumuler des droits à la retraite, qui seront recalculés au moment de son départ définitif.
Grâce à cet accord, il sera possible d’y faire appel dès 60 ans, ce qui n’était pas prévu auparavant. Précédemment, ce dispositif n’était accessible que deux ans avant l’âge légal de la retraite. La limite de 64 ans signifie qu’à terme, il aurait fallu attendre 62 ans pour soumettre une demande à l’employeur.
Jusqu’à présent, le faible taux de demande de retraite progressive s’expliquait en partie par le fait que la direction de l’entreprise pouvait s’y opposer. Les syndicats ont souhaité que cela devienne un droit opposable. Cependant, le patronat n’a pas accepté cette avancée. En revanche, à partir de demain, les employeurs devront justifier par écrit leur refus, et le salarié aura la possibilité de faire appel au CSE (Comité social et économique) de sa structure.
Un autre progrès significatif est que l’emploi des seniors devra désormais être l’objet d’une négociation obligatoire dans les branches et les entreprises. De plus, le rendez-vous de carrière de 45 ans sera renforcé.
Plus controversée est la création du « CDI seniors », récemment renommé « CDI de valorisation de l’expérience ». À la demande du patronat, ce contrat ciblera les demandeurs d’emploi de 60 ans et plus. Si un employeur recrute un senior, il pourra mettre fin au contrat lorsque le salarié atteindra l’âge de départ à la retraite à taux plein (c’est-à-dire lorsqu’il remplit les deux critères : âge légal et nombre de trimestres nécessaires).
Cela implique que le salarié devra fournir à l’employeur une date de départ, même s’en théorie, il peut continuer à travailler jusqu’à 70 ans, âge auquel il sera mis à la retraite d’office.
Ce nouveau dispositif pourrait créer des difficultés pour les seniors qui souhaitent surpasser leurs droits « de base » et surcotiser pour obtenir une pension plus élevée. Un senior se retrouvant sans emploi à 64 ans, ayant tous ses trimestres, n’aura d’autre choix que de partir à la retraite ou de tenter de retrouver un emploi, ce qui est complexe à cet âge. De plus, il ne pourra plus compter sur le filet de sécurité de l’assurance chômage, qui cesse de l’indemniser dès qu’il atteint l’âge du taux plein (une règle toujours en vigueur aujourd’hui). La date butoir pour le CDI senior complique davantage la gestion de la fin de carrière pour les salariés.
Les organisations patronales, Medef et U2P, ont cependant accepté de renoncer à l’exonération de cotisations chômage patronales qu’elles revendiquaient pour les CDI seniors. Cette demande sera réexaminée ultérieurement, idéalement après évaluation du dispositif, au plus tôt en 2027.
Cet accord national interprofessionnel relatif à l’emploi des seniors devrait être ratifié par la plupart des organisations. Seules la CGT (côté salarié) et la CPME (côté patronal) semblent, pour l’instant, opposées. Cependant, ce texte engendrera des dépenses. À lui seul, l’élargissement de la retraite progressive coûtera près de 400 millions d’euros par an.
Dans un contexte budgétaire où le gouvernement exige des économies, les regards se tournent donc, sans surprise, vers l’assurance chômage. D’autant plus que la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a sollicité 400 millions d’euros supplémentaires de la part des partenaires sociaux, par rapport à la situation actuelle.
Le compromis atteint concernant l’assurance chômage, qui ne devrait pas être signé par la CGT et la CFE-CGC, devrait à terme engendrer 1,7 milliard d’euros d’économies annuelles en rythme de croisière, bien que toutes les mesures n’aient pas encore été précisément évaluées.
Quelle est la teneur de cet accord ? Tout d’abord, les employeurs obtiennent une réduction de leur cotisation chômage, attendue depuis longtemps. Celle-ci passera à partir de janvier 2025 de 4,05 % à 4 %. Parallèlement, les syndicats de salariés obtiennent un assouplissement des conditions d’accès à l’assurance chômage pour les primo-entrants et les saisonniers, qui devront avoir travaillé 5 mois, au lieu des 6 requis pour les autres chômeurs, afin de bénéficier d’indemnisation.
Pour le reste, le texte limite pour les créateurs et repreneurs d’entreprise la possibilité de cumuler allocations chômage et revenus non-salariés. Il contient également une mesure technique qui mensualisera les allocations pour tous les chômeurs sur une période de 30 jours, même pour les mois de 31 jours. Ce qui réduit mécaniquement les allocations. Ces deux modifications représentent les principales économies prévues.
S’ensuivent les nouvelles dispositions visant les travailleurs frontaliers. Conformément à un accord européen de réciprocité, les travailleurs résidant en France et perdant leur emploi en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Luxembourg ou en Suisse sont pris en charge par l’assurance chômage française. Inversement, les résidents de ces pays, licenciés en France, sont couverts par leur propre régime. À chaque fois, le pays d’emploi s’engage à reverser le montant des allocations au pays de résidence, dans la limite de cinq mois.
Cependant, le différentiel salarial entre les différents pays, par exemple à Mulhouse (France) et à Bâle (Suisse), désavantage l’assurance chômage française (Unédic). Au total, le surcoût engendré par les demandeurs d’emploi frontaliers a atteint 800 millions d’euros l’an dernier. En France, un allocataire perçoit en moyenne 1 265 euros, alors que cela fait plus du double (2 600 euros) pour ceux ayant travaillé en Suisse et 1 780 euros pour ceux ayant un contrat au Luxembourg. Ces deux nations représentent près de 90 % des indemnisations des frontaliers.
L’accord entre partenaires sociaux renforce les conditions pour les travailleurs frontaliers. Un coefficient sera appliqué pour ajuster leurs allocations en fonction des disparités de niveau de vie entre chaque pays. Le texte prévoit également que ces travailleurs bénéficieront d’un meilleur « suivi et accompagnement » par France Travail. Une renégociation plus globale de cet accord de réciprocité est souhaitable. Toutefois, les discussions sont dans l’impasse et la continuelle évolution des institutions européennes complique la situation.
Les demandeurs d’emploi seniors ne seront pas en reste. En effet, toutes les filières dites « seniors » seront repoussées de deux ans pour s’aligner sur la retraite à 64 ans. Actuellement, dès 53 ans, un chômeur peut prétendre à une indemnisation prolongée (22,5 mois, contre 18 mois pour les autres). Il devra à présent attendre 55 ans.
Quant aux chômeurs qui, dès 55 ans, avaient droit à une allocation de 27 mois, ils devront désormais patienter jusqu’à 57 ans. Le maintien des droits des demandeurs d’emploi jusqu’à l’âge de la retraite à taux plein sera également progressivement reculé. Seule (petite) compensation, la dégressivité des allocations sera assouplie : elle ne sera plus appliquée qu’à partir de 57 ans, et non dès 55 ans comme c’est le cas actuellement.
Ces durcissements ne sont pas bien accueillis. Le marché de l’emploi commence à se bloquer, et les plans sociaux se multiplient. Ils risquent d’aggraver la situation des « ni en emploi ni à la retraite » et n’auront probablement pas d’impact significatif sur le taux d’emploi des seniors en France.
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